Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_12/HUG927
Victor HUGO
l'Art d'être grand-père
1877
IV
LE POËME DU JARDIN DES PLANTES
X
Toutes sortes d'enfants, | blonds, lumineux, vermeils, 6+6 a
Dont le bleu paradis | visite les sommeils 6+6 a
Quand leurs yeux sont fermés | la nuit dans les alcôves, 6+6 b
Sont là, groupés devant | la cage aux bêtes fauves ; 6+6 b
Ils regardent.
5 Ils ont | sous les yeux l'élément, 6+6 a
Le gouffre, le serpent | tordu comme un tourment, 6+6 a
L'affreux dragon, l'onagre | inepte, la panthère, 6+6 b
Le chacal abhorré | des spectres, qu'il déterre, 6+6 b
Le gorille, fantôme | et tigre, et ces bandits, 6+6 a
10 Les loups, et les grands lynx | qui tutoyaient jadis 6+6 a
Les prophètes sacrés | accoudés sur des bibles ; 6+6 b
Et, pendant que ce tas | de prisonniers terribles 6+6 b
Gronde, l'un vil forçat, | l'autre arrogant proscrit, 6+6 a
Que fait le groupe rose | et charmant ? Il sourit. 6+6 a
15 L'abîme est là qui gronde | et les enfants sourient. 6+6 b
Ils admirent. Les voix | épouvantables crient 6+6 b
Tandis que cet essaim | de fronts pleins de rayons, 6+6 a
Presque ailé, nous émeut | comme si nous voyions 6+6 a
L'aube s'épanouir | dans une géorgique, 6+6 b
20 Tandis que ces enfants | chantent, un bruit tragique 6+6 b
Va, chargé de colère | et de rébellions 6+6 a
Du cachot des vautours | au bagne des lions. 6+6 a
Et le sourire frais | des enfants continue. 6+6 b
Devant cette douceur | suprême, humble, ingénue, 6+6 b
25 Obstinée, on s'étonne, | et l'esprit stupéfait 6+6 a
Songe, comme aux vieux temps | d'Orphée et de Japhet, 6+6 a
Et l'on se sent glisser | dans la spirale obscure 6+6 b
Du vertige, où tombaient | Job, Thalès, Épicure, 6+6 b
Où l'on cherche à tâtons | quelqu'un, ténébreux puits 6+6 a
30 Où l'âme dit : Réponds ! | où Dieu dit : Je ne puis ! 6+6 a
Oh ! si la conjecture | antique était fondée, 6+6 b
Si le rêve inquiet | des mages de Chaldée, 6+6 b
L'hypothèse qu'Hermès | et Pythagore font, 6+6 a
Si ce songe farouche | était le vrai profond ; 6+6 a
35 La bête parmi nous, | si c'était là Tantale ! 6+6 b
Si la réalité | redoutable et fatale 6+6 b
C'était ceci : les loups, | les boas, les mammons 6+6 a
Masques sombres, cachant | d'invisibles démons ! 6+6 a
Oh ! ces êtres affreux | dont l'ombre est le repaire, 6+6 b
40 Ces crânes aplatis | de tigre et de vipère, 6+6 b
Ces vils fronts écrasés | par le talon divin, 6+6 a
L'ours, rêveur noir, le singe, | effroyable sylvain, 6+6 a
Ces rictus convulsifs, | ces faces insensées, 6+6 b
Ces stupides instincts | menaçant nos pensées, 6+6 b
45 Ceux-ci pleins de l'horreur | nocturne des forêts, 6+6 a
Ceux-là, fuyants aspects, | flottants, confus, secrets, 6+6 a
Sur qui la mer répand | ses moires et ses nacres, 6+6 b
Ces larves, ces passants | des bois, ces simulacres, 6+6 b
Ces vivants dans la tombe | animale engloutis, 6+6 a
50 Ces fantômes ayant | pour loi les appétits, 6+6 a
Ciel bleu ! s'il était vrai | que c'est là ce qu'on nomme 6+6 b
Les damnés, expiant | d'anciens crimes chez l'homme, 6+6 b
Qui, sortis d'une vie | antérieure, ayant 6+6 a
Dans les yeux la terreur | d'un passé foudroyant, 6+6 a
55 Viennent, balbutiant | d'épouvante et de haine, 6+6 b
Dire au milieu de nous | les mots de la géhenne, 6+6 b
Et qui tâchent en vain | d'exprimer leur tourment 6+6 a
A notre verbe avec | le sourd rugissement ; 6+6 a
Tas de forçats qui grince | et gronde, aboie et beugle ; 6+6 b
60 Muets hurlants qu'éclaire | un flamboiement aveugle ; 6+6 b
Oh ! s'ils étaient là, nus | sous le destin de fer, 6+6 a
Méditant vaguement | sur l'éternel enfer ; 6+6 a
Si ces mornes vaincus | de la nature immense 6+6 b
Se croyaient à jamais | bannis de la clémence ; 6+6 b
65 S'ils voyaient les soleils | s'éteindre par degrés, 6+6 a
Et s'ils n'étaient plus rien | que des désespérés ; 6+6 a
Oh ! dans l'accablement | sans fond, quand tout se brise, 6+6 b
Quand tout s'en va, refuse | et fuit, quelle surprise, 6+6 b
Pour ces êtres méchants | et tremblants à la fois, 6+6 a
70 D'entendre tout à coup | venir ces jeunes voix ! 6+6 a
Quelqu'un est là ! Qui donc ? | On parle ! ô noir problème ! 6+6 b
Une blancheur paraît | sur la muraille blême 6+6 b
Où chancelle l'obscure | et morne vision. 6+6 a
Le léviathan voit | accourir l'alcyon ! 6+6 a
75 Quoi ! le déluge voit | arriver la colombe ! 6+6 b
La clarté des berceaux | filtre à travers la tombe 6+6 b
Et pénètre d'un jour | clément les condamnés ! 6+6 a
Les spectres ne sont point | haïs des nouveau-nés ! 6+6 a
Quoi ! l'araignée immense | ouvre ses sombres toiles ! 6+6 b
80 Quel rayon qu'un regard | d'enfant, saintes étoiles ! 6+6 b
Mais puisqu'on peut entrer, | on peut donc s'en aller ! 6+6 a
Tout n'est donc pas fini ! | L'azur vient nous parler ! 6+6 a
Le ciel est plus céleste | en ces douces prunelles ! 6+6 b
C'est quand Dieu, pour venir | des voûtes éternelles 6+6 b
85 Jusqu'à la terre, triste | et funeste milieu, 6+6 a
Passe à travers l'enfant | qu'il est tout à fait Dieu ! 6+6 a
Quoi ! le plafond difforme | aurait une fenêtre ! 6+6 b
On verrait l'impossible | espérance renaître ! 6+6 b
Quoi ! l'on pourrait ne plus | mordre, ne plus grincer ! 6+6 a
90 Nous représentons-nous | ce qui peut se passer 6+6 a
Dans les craintifs cerveaux | des bêtes formidables ? 6+6 b
De la lumière au bas | des gouffres insondables ! 6+6 b
Une intervention | de visages divins ! 6+6 a
La torsion du mal | dans les brûlants ravins 6+6 a
95 De l'enfer misérable | est soudain apaisée 6+6 b
Par d'innocents regards | purs comme la rosée ! 6+6 b
Quoi ! l'on voit des yeux luire | et l'on entend des pas ! 6+6 a
Est-ce que nous savons | s'ils ne se mettent pas, 6+6 a
Ces monstres, à songer, | sitôt la nuit venue, 6+6 b
100 S'appelant, stupéfaits | de cette aube inconnue 6+6 b
Qui se lève sur l'âpre | et sévère horizon ? 6+6 a
Du pardon vénérable | ils ont le saint frisson ; 6+6 a
Il leur semble sentir | que les chaînes les quittent ; 6+6 b
Les échevèlements | des crinières méditent ; 6+6 b
105 L'enfer, cette ruine, | est moins trouble et moins noir ; 6+6 a
Et l'œil presque attendri | de ces captifs croit voir 6+6 a
Dans un pur demi-jour | qu'un ciel lointain azure 6+6 b
Grandir l'ombre d'un temple | au seuil de la masure. 6+6 b
Quoi ! l'enfer finirait ! | l'ombre entendrait raison ! 6+6 a
110 Ô clémence ! ô lueur | dans l'énorme prison ! 6+6 a
On ne sait quelle attente | émeut ces cœurs étranges. 6+6 b
Quelle promesse au fond | du sourire des anges ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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