Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_11/HUG262
Victor HUGO
Les Rayons et les Ombres
1840
VII
LE MONDE ET LE SIÈCLE
Que faites-vous, Seigneur ? | à quoi sert votre ouvrage ? 6+6 a
À quoi bon l'eau du fleuve | et l'éclair de l'orage ? 6+6 a
Les prés ? les ruisseaux purs | qui lavent le gazon ? 6+6 b
Et, sur les coteaux verts | dont s'emplit l'horizon, 6+6 b
5 Les immenses troupeaux | aux fécondes haleines 6+6 a
Que l'aboiement des chiens | chasse à travers les plaines ? 6+6 a
Pourquoi, dans ce doux mois | où l'air semble attiédi, 6+6 b
Quand un calice s'ouvre | aux souffles de midi, 6+6 b
Y plonger, ô Seigneur, | l'abeille butinante, 6+6 a
10 Et changer toute fleur | en cloche bourdonnante ? 6+6 a
Pourquoi le brouillard d'or | qui monte des hameaux ? 6+6 b
Pourquoi l'ombre et la paix | qui tombent des rameaux ? 6+6 b
Pourquoi le lac d'azur | semé de molles îles ? 6+6 a
Pourquoi les bois profonds, | les grottes, les asiles ? 6+6 a
15 À quoi bon, chaque soir, | quand luit l'été vermeil, 6+6 b
Comme un charbon ardent | déposant le soleil 6+6 b
Au milieu des vapeurs | par les vents remuées, 6+6 a
Allumer au couchant | un brasier de nuées ? 6+6 a
Pourquoi rougir la vigne | et jeter aux vieux murs 6+6 b
20 Le rayon qui revient | gonfler les raisins mûrs ? 6+6 b
À quoi bon incliner | sur ses axes mobiles 6+6 a
Ce globe monstrueux | avec toutes ses villes, 6+6 a
Et ses monts et ses mers | qui flottent alentour, 6+6 b
À quoi bon, ô Seigneur, | l'incliner tour à tour, 6+6 b
25 Pour que l'ombre l'éteigne | ou que le jour le dore, 6+6 a
Tantôt vers la nuit sombre | et tantôt vers l'aurore ? 6+6 a
À quoi vous sert le flot, | le nuage, le bruit 6+6 b
Qu'en secret dans la fleur | fait le germe du fruit ? 6+6 b
À quoi bon féconder | les éthers et les ondes, 6+6 a
30 Faire à tous les soleils | des ceintures de mondes, 6+6 a
Peupler d'astres errants | l'arche énorme des cieux, 6+6 b
Seigneur ! et sur nos fronts, | d'où rayonnent nos yeux, 6+6 b
Entasser en tous sens | des millions de lieues 6+6 a
Et du vague infini | poser les plaines bleues ? 6+6 a
35 Pourquoi sur les hauteurs | et dans les profondeurs 6+6 b
Cet amas effrayant | d'ombres et de splendeurs ? 6+6 b
À quoi bon parfumer, | chauffer, nourrir et luire, 6+6 a
Tout aimer, et, Dieu bon ! | incessamment traduire, 6+6 a
Pour l'œil intérieur | comme pour l'œil charnel, 6+6 b
40 L'éternelle pensée | en spectacle éternel ? 6+6 b
Si c'est pour qu'en ce siècle | où la loi tombe en cendre 6+6 a
L'homme passe sans voir, | sans croire, sans comprendre, 6+6 a
Sans rien chercher dans l'ombre, | et sans lever les yeux 6+6 b
Vers les conseils divins | qui flottent dans les cieux, 6+6 b
45 Sous la forme sacrée | ou sous l'éclatant voile 6+6 a
Tantôt d'une nuée | et tantôt d'une étoile ! 6+6 a
Si c'est pour que ce temps | fasse, en son morne ennui, 6+6 b
De l'opprimé d'hier | l'oppresseur d'aujourd'hui ; 6+6 b
Pour qu'on s'entre-déchire | à propos de cent rêves ; 6+6 a
50 Pour que le peuple, foule | où dorment tant de sèves, 6+6 a
Aussi bien que les rois, | — grave et haute leçon ! — 6+6 b
Ait la brutalité | pour dernière raison, 6+6 b
Et réponde, troupeau | qu'on tue ou qui lapide, 6+6 a
À l'aveugle boulet | par le pavé stupide ! 6+6 a
55 Si c'est pour que l'émeute | ébranle la cité ! 6+6 b
Pour que tout soit tyran, | même la liberté ! 6+6 b
Si c'est pour que l'honneur | des anciens gentilshommes, 6+6 a
Par eux-même amené | dans l'ornière où nous sommes, 6+6 a
Aux projets des partis | s'attelle tristement ; 6+6 b
60 Si c'est pour qu'à sa haine | on ajoute un serment 6+6 b
Comme à son vieux poignard | on remet une lame ; 6+6 a
Si c'est pour que le prince, | homme né d'une femme, 6+6 a
Né pour briller bien vite | et pour vivre bien peu, 6+6 b
S'imagine être roi | comme vous êtes Dieu ! 6+6 b
65 Si c'est pour que la joie | aux justes soit ravie ; 6+6 a
Pour que l'iniquité | règne, pour que l'envie, 6+6 a
Emplissant tant de fronts | de brasiers dévorants, 6+6 b
Fasse petits des cœurs | que l'amour ferait grands ! 6+6 b
Si c'est pour que le prêtre, | infirme et triste apôtre, 6+6 a
70 Marche avec ses deux yeux, | ouvrant l'un fermant l'autre, 6+6 a
Insulte à la nature | au nom du verbe écrit, 6+6 b
Et ne comprenne pas | qu'ici tout est l'esprit, 6+6 b
Que Dieu met comme en nous | son souffle dans l'argile, 6+6 a
Et que l'arbre et la fleur | commentent l'Évangile ! 6+6 a
75 Si c'est pour que personne | enfin, grand ou petit, 6+6 b
Pas même le vieillard | que l'âge appesantit, 6+6 b
Personne, du tombeau | sondant les avenues, 6+6 a
N'ait l'austère souci | des choses inconnues, 6+6 a
Et que, pareil au bœuf | par l'instinct assoupi, 6+6 b
80 Chacun trace un sillon | sans songer à l'épi ! 6+6 b
Car l'humanité, morne | et manquant de prophètes, 6+6 a
Perd l'admiration | des œuvres que vous faites ; 6+6 a
L'homme ne sent plus luire | en son cœur triomphant 6+6 b
Ni l'aube, ni le lys, | ni l'ange, ni l'enfant, 6+6 b
85 Ni l'âme, ce rayon | fait de lumière pure, 6+6 a
Ni la création, | cette immense figure ! 6+6 a
De là vient que souvent | je rêve et que je dis : 6+6 b
— Est-ce que nous serions | condamnés et maudits ? 6+6 b
Est-ce que ces vivants, | chétivement prospères, 6+6 a
90 Seraient déshérités | du souffle de leurs pères ? 6+6 a
Ô Dieu ! considérez | les hommes de ce temps, 6+6 b
Aveugles, loin de vous | sous tant d'ombre flottants. 6+6 b
Éteignez vos soleils, | ou rallumez leur flamme ! 6+6 a
Reprenez votre monde, | ou donnez-leur une âme ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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