Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_11/HUG266
Victor HUGO
Les Rayons et les Ombres
1840
XI
FIAT VOLUNTAS
Pauvre femme ! son lait | à sa tête est monté. 6+6 a
Et, dans ses froids salons, | le monde a répété, 6+6 a
Parmi les vains propos | que chaque jour emporte, 6+6 b
Hier, qu'elle était folle, | aujourd'hui, qu'elle est morte ; 6+6 b
5 Et, seul au champ des morts, | je foule ce gazon, 6+6 c
Cette tombe où sa vie | a suivi sa raison ! 6+6 c
Folle ! morte ! pourquoi ? | Mon Dieu ! pour peu de chose ! 6+6 a
Pour un fragile enfant | dont la paupière est close, 6+6 a
Pour un doux nouveau-né, | tête aux fraîches couleurs, 6+6 b
10 Qui naguère à son sein, | comme une mouche aux fleurs, 6+6 b
Pendait, riait, pleurait, | et, malgré ses prières, 6+6 a
Troublant tout leur sommeil | pendant des nuits entières, 6+6 a
Faisait mille discours, | pauvre petit ami ! 6+6 b
Et qui ne dit plus rien, | car il est endormi. 6+6 b
15 Quand elle vit son fils, | le soir d'un jour bien sombre, 6+6 a
Car elle l'appelait | son fils, cette vaine ombre ! 6+6 a
Quand elle vit l'enfant | glacé dans sa pâleur, 6+6 b
— Oh ! ne consolez point | une telle douleur ! 6+6 b
Elle ne pleura pas. | Le lait avec la fièvre 6+6 a
20 Soudain troubla sa tête | et fit trembler sa lèvre ; 6+6 a
Et depuis ce jour-là, | sans voir et sans parler, 6+6 b
Elle allait devant elle | et regardait aller. 6+6 b
Elle cherchait dans l'ombre | une chose perdue, 6+6 a
Son enfant disparu | dans la vague étendue ; 6+6 a
25 Et par moments penchait | son oreille en marchant, 6+6 b
Comme si sous la terre | elle entendait un chant. 6+6 b
Une femme du peuple, | un jour que dans la rue 6+6 a
Se pressait sur ses pas | une foule accourue, 6+6 a
Rien qu'à la voir souffrir | devina son malheur. 6+6 b
30 Les hommes, en voyant | ce beau front sans couleur, 6+6 b
Et cet œil froid toujours | suivant une chimère, 6+6 c
S'écriaient : Pauvre folle ! | Elle dit : Pauvre mère ! 6+6 c
Pauvre mère, en effet ! | Un soupir étouffant 6+6 a
Parfois coupait sa voix | qui murmurait : L'enfant ! 6+6 a
35 Parfois elle semblait, | dans la cendre enfouie, 6+6 b
Chercher une lueur | au ciel évanouie ; 6+6 b
Car la jeune âme enfuie, | hélas ! de sa maison 6+6 c
Avait en s'en allant | emporté sa raison ! 6+6 c
On avait beau lui dire, | en parlant à voix basse, 6+6 a
40 Que la vie est ainsi ; | que tout meurt, que tout passe ; 6+6 a
Et qu'il est des enfants, | — mères, sachez-le bien ! 6+6 b
Que Dieu, qui prête tout | et qui ne donne rien, 6+6 b
Pour rafraîchir nos fronts | avec leurs ailes blanches, 6+6 a
Met comme des oiseaux | pour un jour sur nos branches ! 6+6 a
45 On avait beau lui dire, | elle n'entendait pas. 6+6 b
L'œil fixe, elle voyait | toujours devant ses pas 6+6 b
S'ouvrir les bras charmants | de l'enfant qui l'appelle. 6+6 a
Elle avait des hochets | fait une humble chapelle. 6+6 a
C'est ainsi qu'elle est morte — | en deux mois, sans efforts — 6+6 b
50 Car rien n'est plus puissant | que ces petits bras morts 6+6 b
Pour tirer promptement | les mères dans la tombe. 6+6 a
Où l'enfant est tombé | bientôt la femme tombe. 6+6 a
Qu'est-ce qu'une maison | dont le seuil est désert ? 6+6 b
Qu'un lit sans un berceau ? | Dieu clément ! à quoi sert 6+6 b
55 Le regard maternel | sans l'enfant qui repose ? 6+6 a
À quoi bon ce sein blanc | sans cette bouche rose ? 6+6 a
Après avoir longtemps, | le cœur mort, les yeux morts, 6+6 a
Erré sur le tombeau | comme étant en dehors, 6+6 a
— Longtemps ! ce sont ici | des paroles humaines, 6+6 b
60 Hélas ! il a suffi | de bien peu de semaines ! — 6+6 b
Malheureuse ! en deux mois | tout s'est évanoui. 6+6 c
Hier elle était folle, | elle est morte aujourd'hui ! 6+6 c
Il suffit qu'un oiseau | vienne sur une rive 6+6 a
Pour qu'un deuxième oiseau | tout en hâte l'y suive. 6+6 a
65 Sur deux il en est un | toujours qui va devant. 6−6 b
Après avoir à peine | ouvert son aile au vent, 6+6 b
Il vint, le bel enfant, | s'abattre sur la tombe ; 6+6 c
Elle y vint après lui, | comme une autre colombe. 6+6 c
On a creusé la terre, | et là, sous le gazon, 6+6 a
70 On a mis la nourrice | auprès du nourrisson. 6+6 a
Et moi je dis : — Seigneur ! | votre règne est austère ! 6+6 a
Seigneur ! vous avez mis | partout un noir mystère, 6+6 a
Dans l'homme et dans l'amour, | dans l'arbre et dans l'oiseau, 6+6 b
Et jusque dans ce lait | que réclame un berceau, 6+6 b
75 Ambroisie et poison, | doux miel, liqueur amère, 6+6 a
Fait pour nourrir l'enfant | ou pour tuer la mère ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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