Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_10/HUG148
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
V
CE QU'ON ENTEND SUR LA MONTAGNE
O altitudo !
Avez-vous quelquefois, calme et silencieux, 6+6 a
Monté sur la montagne, en présence des cieux ? 6+6 a
Était-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ? 6+6 b
Aviez-vous l'océan au pied de la montagne ? 6+6 b
5 Et là, penché sur l'onde et sur l'immensité, 6+6 a
Calme et silencieux avez-vous écouté ? 6+6 a
Voici ce qu'on entend : — du moins un jour qu'en rêve 6+6 b
Ma pensée abattit son vol sur une grève, 6+6 b
Et, du sommet d'un mont plongeant au gouffre amer, 6+6 a
10 Vit d'un côté la terre et de l'autre la mer, 6+6 a
J'écoutai, j'entendis, et jamais voix pareille 6+6 b
Ne sortit d'une bouche et n'émut une oreille. 6+6 b
Ce fut d'abord un bruit large, immense, confus, 6+6 a
Plus vague que le vent dans les arbres touffus, 6+6 a
15 Plein d'accords éclatants, de suaves murmures, 6+6 b
Doux comme un chant du soir, fort comme un choc d'armures 6+6 b
Quand la sourde mêlée étreint les escadrons 6+6 a
Et souffle, furieuse, aux bouches des clairons. 6+6 a
C'était une musique ineffable et profonde, 6+6 b
20 Qui, fluide, oscillait sans cesse autour du monde, 6+6 b
Et dans les vastes cieux, par ses flots rajeunis, 6+6 a
Roulait élargissant ses orbes infinis 6+6 a
Jusqu'au fond où son flux s'allait perdre dans l'ombre 6+6 b
Avec le temps, l'espace et la forme et le nombre. 6+6 b
25 Comme une autre atmosphère épars et débordé, 6+6 a
L'hymne éternel couvrait tout le globe inondé. 6+6 a
Le monde, enveloppé dans cette symphonie, 6+6 b
Comme il vogue dans l'air, voguait dans l'harmonie. 6+6 b
Et pensif, j'écoutais ces harpes de l'éther, 6+6 a
30 Perdu dans cette voix comme dans une mer. 6+6 a
Bientôt je distinguai, confuses et voilées, 6+6 b
Deux voix, dans cette voix l'une à l'autre mêlées, 6+6 b
De la terre et des mers s'épanchant jusqu'au ciel, 6+6 a
Qui chantaient à la fois le chant universel ; 6+6 a
35 Et je les distinguai dans la rumeur profonde, 6+6 b
Comme on voit deux courants qui se croisent sous l'onde. 6+6 b
L'une venait des mers ; chant de gloire ! hymne heureux ! 6+6 a
C'était la voix des flots qui se parlaient entre eux ; 6+6 a
L'autre, qui s'élevait de la terre où nous sommes, 6+6 b
40 Était triste ; c'était le murmure des hommes ; 6+6 b
Et dans ce grand concert, qui chantait jour et nuit, 6+6 a
Chaque onde avait sa voix et chaque homme son bruit. 6+6 a
Or, comme je l'ai dit, l'océan magnifique 6+6 b
Épandait une voix joyeuse et pacifique, 6+6 b
45 Chantait comme la harpe aux temples de Sion, 6+6 a
Et louait la beauté de la création. 6+6 a
Sa clameur, qu'emportaient la brise et la rafale, 6+6 b
Incessamment vers Dieu montait plus triomphale, 6+6 b
Et chacun de ses flots que Dieu seul peut dompter, 6+6 a
50 Quand l'autre avait fini, se levait pour chanter. 6+6 a
Comme ce grand lion dont Daniel fut l'hôte, 6+6 b
L'océan par moments abaissait sa voix haute ; 6+6 b
Et moi je croyais voir, vers le couchant en feu, 6+6 a
Sous sa crinière d'or passer la main de Dieu. 6+6 a
55 Cependant, à côté de l'auguste fanfare, 6+6 b
L'autre voix, comme un cri de coursier qui s'effare, 6+6 b
Comme le gond rouillé d'une porte d'enfer, 6+6 a
Comme l'archet d'airain sur la lyre de fer, 6+6 a
Grinçait ; et pleurs, et cris, l'injure, l'anathème, 6+6 b
60 Refus du viatique et refus du baptême, 6+6 b
Et malédiction, et blasphème, et clameur, 6+6 a
Dans le flot tournoyant de l'humaine rumeur 6+6 a
Passaient, comme le soir on voit dans les vallées 6+6 b
De noirs oiseaux de nuit qui s'en vont par volées. 6+6 b
65 Qu'était-ce que ce bruit dont mille échos vibraient ? 6+6 a
Hélas ! c'était la terre et l'homme qui pleuraient. 6+6 a
Frère ! de ces deux voix étranges, inouïes, 6+6 b
Sans cesse renaissant, sans cesse évanouies, 6+6 b
Qu'écoute l'Éternel durant l'éternité, 6+6 a
70 L'une disait : NATURE ! et l'autre : HUMANITÉ ! 6+6 a
Alors je méditai ; car mon esprit fidèle, 6+6 b
Hélas ! n'avait jamais déployé plus grande aile ; 6+6 b
Dans mon ombre jamais n'avait lui tant de jour ; 6+6 a
Et je rêvai longtemps, contemplant tour à tour, 6+6 a
75 Après l'abîme obscur que me cachait la lame, 6+6 b
L'autre abîme sans fond qui s'ouvrait dans mon âme. 6+6 b
Et je me demandai pourquoi l'on est ici, 6+6 a
Quel peut être après tout le but de tout ceci, 6+6 a
Que fait l'âme, lequel vaut mieux d'être ou de vivre, 6+6 b
80 Et pourquoi le Seigneur, qui seul lit à son livre, 6+6 b
Mêle éternellement dans un fatal hymen 6+6 a
Le chant de la nature au cri du genre humain ? 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université