Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
HUG_10/HUG145
Victor HUGO
Les feuilles d'automne
1831
II
À M. LOUIS B.
Lyrnessi domus alta, solo Laurente sepulcrum.
VIRGILE.
Louis, quand vous irez, | dans un de vos voyages, 6+6 a
Voir Bordeaux, Pau, Bayonne | et ses charmants rivages, 6+6 a
Toulouse la romaine | où dans des jours meilleurs 6+6 b
J'ai cueilli tout enfant | la poésie en fleurs, 6+6 b
5 Passez par Blois. — Et là, | bien volontiers sans doute, 6+6 a
Laissez dans le logis | vos compagnons de route, 6+6 a
Et tandis qu'ils joueront, | riront ou dormiront, 6+6 b
Vous, avec vos pensers | qui haussent votre front, 6+6 b
Montez à travers Blois | cet escalier de rues 6+6 a
10 Que n'inonde jamais | la Loire au temps des crues ; 6+6 a
Laissez là le château, | quoique sombre et puissant, 6+6 b
Quoiqu'il ait à la face | une tache de sang ; 6+6 b
Admirez, en passant, | cette tour octogone 6+6 a
Qui fait à ses huit pans | hurler une gorgone ; 6+6 a
15 Mais passez. — Et sorti | de la ville, au midi, 6+6 b
Cherchez un tertre vert, | circulaire, arrondi, 6+6 b
Que surmonte un grand arbre, | un noyer, ce me semble, 6+6 a
Comme au cimier d'un casque | une plume qui tremble. 6+6 a
Vous le reconnaîtrez, | ami, car, tout rêvant, 6+6 b
20 Vous l'aurez vu de loin | sans doute en arrivant. 6+6 b
Sur le tertre monté, | que la plaine bleuâtre, 6+6 a
Que la ville étagée | en long amphithéâtre, 6+6 a
Que l'église, ou la Loire, | et ses voiles aux vents, 6+6 b
Et ses mille archipels | plus que ses flots mouvants, 6+6 b
25 Et de Chambord là-bas | au loin les cent tourelles 6+6 a
Ne fassent pas voler | votre pensée entre elles. 6+6 a
Ne levez pas vos yeux | si haut que l'horizon, 6+6 b
Regardez à vos pieds. |
Louis, cette maison 6+6 b
Qu'on voit, bâtie en pierre | et d'ardoise couverte, 6+6 a
30 Blanche et carrée, au bas | de la colline verte, 6+6 a
Et qui, fermée à peine | aux regards étrangers, 6+6 b
S'épanouit charmante | entre ses deux vergers, 6+6 b
C'est là. — Regardez bien. | C'est le toit de mon père. 6+6 a
C'est ici qu'il s'en vint | dormir après la guerre, 6+6 a
35 Celui que tant de fois | mes vers vous ont nommé, 6+6 b
Que vous n'avez pas vu, | qui vous aurait aimé ! 6+6 b
Alors, ô mon ami, | plein d'une extase amère, 6+6 a
Pensez pieusement, | d'abord à votre mère, 6+6 a
Et puis à votre sœur, | et dites : « Notre ami 6+6 b
40 Ne reverra jamais | son vieux père endormi ! 6+6 b
« Hélas ! il a perdu | cette sainte défense 6+6 a
Qui protège la vie | encore après l'enfance, 6+6 a
Ce pilote prudent, | qui pour dompter le flot 6+6 b
Prête une expérience | au jeune matelot ! 6+6 b
45 Plus de père pour lui ! | plus rien qu'une mémoire ! 6+6 a
Plus d'auguste vieillesse | à couronner de gloire ! 6+6 a
Plus de récits guerriers, | plus de beaux cheveux blancs 6+6 b
À faire caresser | par les petits enfants ! 6+6 b
Hélas ! il a perdu | la moitié de sa vie, 6+6 a
50 L'orgueil de faire voir | à la foule ravie 6+6 a
Son père, un vétéran, | un général ancien ! 6+6 b
Ce foyer où l'on est | plus à l'aise qu'au sien, 6+6 b
Et le seuil paternel | qui tressaille de joie 6+6 a
Quand du fils qui revient | le chien fidèle aboie ! 6+6 a
55 « Le grand arbre est tombé ! | resté seul au vallon, 6+6 b
L'arbuste est désormais | à nu sous l'aquilon. 6+6 b
Quand l'aïeul disparaît | du sein de la famille, 6+6 a
Tout le groupe orphelin, | mère, enfants, jeune fille, 6+6 a
Se rallie inquiet | autour du père seul 6+6 b
60 Que ne dépasse plus | le front blanc de l'aïeul. 6+6 b
C'est son tour maintenant. | Du soleil, de la pluie, 6+6 a
On s'abrite à son ombre, | à sa tige on s'appuie. 6+6 a
C'est à lui de veiller, | d'enseigner, de souffrir, 6+6 b
De travailler pour tous, | d'agir et de mourir ! 6+6 b
65 Voilà que va bientôt | sur sa tête vieillie 6+6 a
Descendre la sagesse | austère et recueillie ; 6+6 a
Voilà que ses beaux ans | s'envolent tour à tour, 6+6 b
Emportant l'un sa joie | et l'autre son amour, 6+6 b
Ses songes de grandeur | et de gloire ingénue, 6+6 a
70 Et que pour travailler | son âme reste nue, 6+6 a
Laissant là l'espérance | et les rêves dorés, 6+6 b
Ainsi que la glaneuse, | alors que dans les prés 6+6 b
Elle marche, d'épis | emplissant sa corbeille, 6+6 a
Quitte son vêtement | de fête de la veille ! 6+6 a
75 Mais le soir, la glaneuse | aux branches d'un buisson 6+6 b
Reprendra ses atours, | et chantant sa chanson 6+6 b
S'en reviendra parée, | et belle, et consolée ; 6+6 a
Tandis que cette vie, | âpre et morne vallée, 6+6 a
N'a point de buisson vert | où l'on retrouve un jour 6+6 b
80 L'espoir, l'illusion, | l'innocence et l'amour ! 6+6 b
« Il continuera donc | sa tâche commencée, 6+6 a
Tandis que sa famille | autour de lui pressée, 6+6 a
Sur son front, où des ans | s'imprimera le cours, 6+6 b
Verra tomber sans cesse | et s'amasser toujours, 6+6 b
85 Comme les feuilles d'arbre | au vent de la tempête, 6+6 a
Cette neige des jours | qui blanchit notre tête ! 6+6 a
« Ainsi du vétéran | par la guerre épargné, 6+6 b
Rien ne reste à son fils, | muet et résigné, 6+6 b
Qu'un tombeau vide, et toi, | la maison orpheline 6+6 a
90 Qu'on voit blanche et carrée | au bas de la colline, 6+6 a
Gardant, comme un parfum | dans le vase resté, 6+6 b
Un air de bienvenue | et d'hospitalité ! 6+6 b
« Un sépulcre à Paris ! | de pierre ou de porphyre, 6+6 a
Qu'importe ! Les tombeaux | des aigles de l'empire 6+6 a
95 Sont auprès. Ils sont là | tous ces vieux généraux 6+6 b
Morts un jour de victoire | en antiques héros, 6+6 b
Ou, regrettant peut-être | et canons et mitraille, 6+6 a
Tombés à la tribune, | autre champ de bataille. 6+6 a
Ses fils ont déposé | sa cendre auprès des leurs, 6+6 b
100 Afin qu'en l'autre monde, | heureux pour les meilleurs, 6+6 b
Il puisse converser | avec ses frères d'armes. 6+6 a
Car sans doute ces chefs, | pleurés de tant de larmes, 6+6 a
Ont là-bas une tente. | Ils y viennent le soir 6+6 b
Parler de guerre ; au loin, | dans l'ombre, ils peuvent voir 6+6 b
105 Flotter de l'ennemi | les enseignes rivales ; 6+6 a
Et l'empereur au fond | passe par intervalles. 6+6 a
« Une maison à Blois ! | riante, quoique en deuil, 6+6 b
Élégante et petite, | avec un lierre au seuil, 6+6 b
Et qui fait soupirer | le voyageur d'envie 6+6 a
110 Comme un charmant asile | à reposer sa vie, 6+6 a
Tant sa neuve façade | a de fraîches couleurs, 6+6 b
Tant son front est caché | dans l'herbe et dans les fleurs ! 6+6 b
« Maison ! sépulcre ! hélas, | pour retrouver quelque ombre 6+6 a
De ce père parti | sur le navire sombre, 6+6 a
115 Où faut-il que le fils | aille égarer ses pas ? 6+6 b
Maison, tu ne l'as plus ! | tombeau, tu ne l'as pas ! » 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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