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F = "e" féminin
| = césure
HUG_1/HUG462
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome I
AUTREFOIS
1830-1843
LIVRE TROISIÈME
LES LUTTES ET LES RÊVES
III
Saturne
I
Il est des jours de brume | et de lumière vague, 6+6 a
Où l'homme, que la vie | à chaque instant confond, 6+6 b
Étudiant la plante, | ou l'étoile, ou la vague, 6+6 a
S'accoude au bord croulant | du problème sans fond ; 6+6 b
5 Où le songeur, pareil | aux antiques augures, 6+6 a
Cherchant Dieu, que jadis | plus d'un voyant surprit, 6+6 b
Médite en regardant | fixement les figures 6+6 a
Qu'on a dans l'ombre de l'esprit ; 8 b
Où, comme en s'éveillant | on voit, en reflets sombres, 6+6 a
10 Des spectres du dehors | errer sur le plafond, 6+6 b
Il sonde le destin, | et contemple les ombres 6+6 a
Que nos rêves jetés | parmi les choses font ! 6+6 b
Des heures où, pourvu | qu'on ait à sa fenêtre 6+6 a
Une montagne, un bois, | l'océan qui dit tout, 6+6 b
15 Le jour prêt à mourir | ou l'aube prête à naître, 6+6 a
En soi-même on voit tout à coup 8 b
Sur l'amour, sur les biens | qui tous nous abandonnent, 6+6 a
Sur l'homme, masque vide | et fantôme rieur, 6+6 b
Éclore des clartés | effrayantes qui donnent 6+6 a
20 Des éblouissements | à l'œil intérieur ; 6+6 b
De sorte qu'une fois | que ces visions glissent 6+6 a
Devant notre paupière | en ce vallon d'exil, 6+6 b
Elles n'en sortent plus | et pour jamais emplissent 6+6 a
L'arcade sombre du sourcil ! 8 b
II
25 Donc, puisque j'ai parlé | de ces heures de doute 6+6 a
Où l'un trouve le calme | et l'autre le remords. 6+6 b
Je ne cacherai pas | au peuple qui m'écoute 6+6 a
Que je songe souvent | à ce que font les morts ; 6+6 b
Et que j'en suis venu — | tant la nuit étoilée 6+6 a
30 A fatigué de fois | mes regards et mes vœux, 6+6 b
Et tant une pensée | inquiète est mêlée 6+6 a
Aux racines de mes cheveux ! — 8 b
À croire qu'à la mort, | continuant sa route, 6+6 a
L'âme, se souvenant | de son humanité, 6+6 b
35 Envolée à jamais | sous la céleste voûte, 6+6 a
À franchir l'infini | passait l'éternité ! 6+6 b
Et que les morts voyaient | l'extase et la prière, 6+6 a
Nos deux rayons, pour eux | grandir bien plus encor, 6+6 b
Et qu'ils étaient pareils | à la mouche ouvrière, 6+6 a
40 Au vol rayonnant, aux pieds d'or. 8 b
Qui, visitant les fleurs | pleines de chastes gouttes, 6+6 a
Semble une âme visible | en ce monde réel, 6+6 b
Et, leur disant tout bas | quelque mystère à toutes, 6+6 a
Leur laisse le parfum | en leur prenant le miel ! 6+6 b
45 Et qu'ainsi, faits vivants | par le sépulcre même, 6+6 a
Nous irons tous un jour, | dans l'espace vermeil, 6+6 b
Lire l'œuvre infinie | et l'éternel poëme, 6+6 a
Vers à vers, soleil à soleil ! 8 b
Admirer tout système | en ses formes fécondes, 6+6 a
50 Toute création | dans sa variété, 6+6 b
Et comparant à Dieu | chaque face des mondes, 6+6 a
Avec l'âme de tout | confronter leur beauté ! 6+6 b
Et que chacun ferait | ce voyage des âmes, 6+6 a
Pourvu qu'il ait souffert, | pourvu qu'il ait pleuré. 6+6 b
55 Tous ! hormis les méchants, | dont les esprits infâmes 6+6 a
Sont comme un livre déchiré. 8 b
Ceux-là, Saturne, un globe | horrible et solitaire, 6+6 a
Les prendra pour le temps | où Dieu voudra punir 6+6 b
Châtiés à la fois | par le ciel et la terre, 6+6 a
60 Par l'aspiration | et par le souvenir ! 6+6 b
III
Saturne ! sphère énorme ! | astre aux aspects funèbres ! 6+6 a
Bagne du ciel ! prison | dont le soupirail luit ! 6+6 b
Monde en proie à la brume, | aux souffles, aux ténèbres ! 6+6 a
Enfer fait d'hiver et de nuit ! 8 b
65 Son atmosphère flotte | en zones tortueuses. 6+6 a
Deux anneaux flamboyants, | tournant avec fureur, 6+6 b
Font, dans son ciel d'airain, | deux arches monstrueuses 6+6 a
D'où tombe une éternelle | et profonde terreur. 6+6 b
Ainsi qu'une araignée | au centre de sa toile, 6+6 a
70 Il tient sept lunes d'or | qu'il lie à ses essieux ; 6+6 b
Pour lui, notre soleil, | qui n'est plus qu'une étoile, 6+6 a
Se perd, sinistre, au fond des cieux ! 8 b
Les autres univers, | l'entrevoyant dans l'ombre, 6+6 a
Se sont épouvantés | de ce globe hideux. 6+6 b
75 Tremblants, ils l'ont peuplé | de chimères sans nombre, 6+6 a
En le voyant errer | formidable autour d'eux ! 6+6 b
IV
Oh ! ce serait vraiment | un mystère sublime 6+6 a
Que ce ciel si profond, | si lumineux, si beau, 6+6 b
Qui flamboie à nos yeux | ouvert comme un abîme, 6+6 a
80 Fût l'intérieur du tombeau ! 8 b
Que tout se révélât | à nos paupières closes ! 6+6 a
Que, morts, ces grands destins | nous fussent réservés !… 6+6 b
Qu'en est-il de ce rêve | et de bien d'autres choses ? 6+6 a
Il est certain, Seigneur, | que seul vous le savez. 6+6 b
V
85 Il est certain aussi | que, jadis, sur la terre, 6+6 a
Le patriarche, ému | d'un redoutable effroi, 6+6 b
Et les saints qui peuplaient | la Thébaïde austère 6+6 a
On fait des songes comme moi ; 8 b
Que, dans sa solitude | auguste, le prophète 6+6 a
90 Voyait, pour son regard | plein d'étranges rayons, 6+6 b
Par la même fêlure | aux réalités faite, 6+6 a
S'ouvrir le monde obscur | des pâles visions ; 6+6 b
Et qu'à l'heure où le jour | devant la nuit recule, 6+6 a
Ces sages que jamais | l'homme, hélas ! ne comprit, 6+6 b
95 Mêlaient, silencieux, | au morne crépuscule 6+6 a
Le trouble de leur sombre esprit ; 8 b
Tandis que l'eau sortait | des sources cristallines, 6+6 a
Et que les grands lions, | de moments en moments, 6+6 b
Vaguement apparus | au sommet des collines, 6+6 a
100 Poussaient dans le désert | de longs rugissements ! 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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