Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
HUG_1/HUG410
Victor HUGO
LES CONTEMPLATIONS
tome I
AUTREFOIS
1830-1843
LIVRE PREMIER
AURORE
VIII
Suite
Car le mot, qu'on le sache,est un être vivant. 6+6 a
La main du songeur vibreet tremble en l'écrivant ; 6+6 a
La plume, qui d'une aileallongeait l'envergure, 6+6 b
Frémit sur le papierquand sort cette figure, 6+6 b
5 Le mot, le terme, typeon ne sait d' venu, 6+6 a
Face de l'invisible,aspect de l'inconnu ; 6+6 a
Créé, par qui ? forgé,par qui ? jailli de l'ombre ; 6+6 b
Montant et descendantdans notre tête sombre, 6+6 b
Trouvant toujours le senscomme l'eau le niveau ; 6+6 a
10 Formule des lueursflottantes du cerveau. 6+6 a
Oui, vous tous, comprenezque les mots sont des choses. 6+6 b
Ils roulent pêle-mêleau gouffre obscur des proses, 6+6 b
Ou font gronder le vers,orageuse forêt. 6+6 a
Du sphinx Esprit Humainle mot sait le secret. 6+6 a
15 Le mot veut, ne veut pas,accourt, fée ou bacchante, 6+6 b
S'offre, se donne ou fuit ;devant Néron qui chante 6+6 b
Ou Charles-Neuf qui rime,il recule hagard ; 6+6 a
Tel mot est un sourire,et tel autre un regard ; 6+6 a
De quelque mot profondtout homme est le disciple ; 6+6 b
20 Toute force ici-basa le mot pour multiple ; 6+6 b
Moulé sur le cerveau,vif ou lent, grave ou bref, 6+6 a
Le creux du crâne humainlui donne son relief ; 6+6 a
La vieille empreinte y resteauprès de la nouvelle ; 6+6 b
Ce qu'un mot ne sait pas,un autre le révèle ; 6+6 b
25 Les mots heurtent le frontcomme l'eau le récif ; 6+6 a
Ils fourmillent, ouvrantdans notre esprit pensif 6+6 a
Des griffes ou des mains,et quelques-uns des ailes ; 6+6 b
Comme en un âtre noirerrent des étincelles, 6+6 b
Rêveurs, tristes, joyeux,amers, sinistres, doux, 6+6 a
30 Sombre peuple, les motsvont et viennent en nous ; 6+6 a
Les mots sont les passantsmystérieux de l'âme 6+6 b
Chacun d'eux porte une ombreou secoue une flamme ; 6+6 b
Chacun d'eux du cerveaugarde une région ; 6+6 a
Pourquoi ? c'est que le mots'appelle Légion, 6+6 a
35 C'est que chacun, selonl'éclair qui le traverse, 6+6 b
Dans le labeur communfait une œuvre diverse ; 6+6 b
C'est que de ce troupeaude signes et de sons 6+6 a
Qu'écrivant ou parlant,devant nous nous chassons, 6+6 a
Naissent les cris, les chants,les soupirs, les harangues ; 6+6 b
40 C'est que, présent partout,nain caché sous les langues, 6+6 b
Le mot tient sous ses piedsle globe et l'asservit ; 6+6 a
Et, de même que l'hommeest l'animal vit 6+6 a
L'âme, clarté d'en hautpar le corps possédée, 6+6 b
C'est que Dieu fait du motla bête de l'idée. 6+6 b
45 Le mot fait vibrer toutau fond de nos esprits. 6+6 a
Il remue, en disant :Béatrix, Lycoris, 6+6 a
Dante au Campo-Santo,Virgile au Pausilippe. 6+6 b
De l'océan penséeil est le noir polype. 6+6 b
Quand un livre jaillitd'Eschyle ou de Manou, 6+6 a
50 Quand saint Jean à Patmosécrit sur son genou, 6+6 a
On voit, parmi leurs verspleins d'hydres et de stryges 6+6 b
Des mots monstres ramperdans ces œuvres prodiges. 6+6 b
O main de l'impalpable !ô pouvoir surprenant ! 6+6 a
Mets un mot sur un homme,et l'homme frissonnant 6+6 a
55 Sèche et meurt, pénétrépar la force profonde ; 6+6 b
Attache un mot vengeurau flanc de tout un monde, 6+6 b
Et le monde, entrnantpavois, glaive, échafaud, 6+6 a
Ses lois, ses mœurs, ses dieux,s'écroule sous le mot. 6+6 a
Cette toute-puissanceimmense sort des bouches. 6+6 b
60 La terre est sous les motscomme un champ sous les mouches 6+6 b
Le mot dévore, et rienne résiste à sa dent. 6+6 a
À son haleine, l'âmeet la lumière aidant, 6+6 a
L'obscure énormitélentement s'exfolie. 6+6 b
Il met sa force sombreen ceux que rien ne plie ; 6+6 b
65 Caton a dans les reinscette syllabe : NON. 6+6 a
Tous les grands obstinés,Brutus, Colomb, Zénon, 6+6 a
Ont ce mot flamboyantqui luit sous leur paupière : 6+6 b
ESPÉRANCE ! — Il entr'ouvreune bouche de pierre 6+6 b
Dans l'enclos formidable les morts ont leur lit, 6+6 a
70 Et voilà que don Juanpétrifié pâlit ! 6+6 a
Il fait le marbre spectre,il fait l'homme statue. 6+6 b
Il frappe, il blesse, il marque,il ressuscite, il tue ; 6+6 b
Nemrod dit : « Guerre ! » alors,du Gange à l'Illissus, 6+6 a
Le fer luit, le sang coule.« Aimez-vous ! » dit Jésus. 6+6 a
75 Et ce mot à jamaisbrille et se réverbère 6+6 b
Dans le vaste univers,sur tous, sur toi, Tibère, 6+6 b
Dans les cieux, sur les fleurs,sur l'homme rajeuni, 6+6 a
Comme le flamboiementd'amour de l'infini ! 6+6 a
Quand, aux jours la terreentr'ouvrait sa corolle, 6+6 b
80 Le premier homme ditla première parole, 6+6 b
Le mot né de sa lèvre,et que tout entendit, 6+6 a
Rencontra dans les cieuxla lumière, et lui dit : 6+6 a
« Ma sœur !
« Envole-toi !plane ! sois éternelle ! 6+6 b
« Allume l'astre ! emplisà jamais la prunelle ! 6+6 b
85 « Échauffe éthers, azurs,sphères, globes ardents ; 6+6 a
« Éclaire le dehors,j'éclaire le dedans. 6+6 a
« Tu vas être une vie,et je vais être l'autre. 6+6 b
« Sois la langue de feu,ma sœur, je suis l'apôtre. 6+6 b
« Surgis, effare l'ombre,éblouis l'horizon, 6+6 a
90 « Sois l'aube ; je te vaux,car je suis la raison ; 6+6 a
« A toi les yeux, à moiles fronts. O ma sœur blonde, 6+6 b
« Sous le réseau Clartétu vas saisir le monde ; 6+6 b
« Avec tes rayons d'or,tu vas lier entre eux 6+6 a
« Les terres, les soleils,les fleurs, les flots vitreux, 6+6 a
95 « Les champs, les cieux ; et moi,je vais lier les bouches ; 6+6 b
« Et sur l'homme, emportépar mille essors farouches, 6+6 b
« Tisser, avec des filsd'harmonie et de jour, 6+6 a
« Pour prendre tous les cœurs,l'immense toile Amour. 6+6 a
« J'existais avant l'âme,Adam n'est pas mon père. 6+6 b
100 « J'étais même avant toi ;tu n'aurais pu, lumière, 6+6 b
« Sortir sans moi du gouffre tout rampe enchaîné ; 6+6 a
« Mon nom est FIAT LUX,et je suis ton aîné 6+6 a
Oui, tout-puissant ! tel estle mot. Fou qui s'en joue ! 6+6 b
Quand l'erreur fait un nœuddans l'homme, il le dénoue. 6+6 b
105 Il est foudre dans l'ombreet ver dans le fruit mûr. 6+6 a
Il sort d'une trompette,il tremble sur un mur, 6+6 a
Et Balthazar chancelle,et Jéricho s'écoule. 6+6 b
Il s'incorpore au peuple,étant lui-même foule. 6+6 b
Il est vie, esprit, germe,ouragan, vertu, feu ; 6+6 a
110 Car le mot, c'est le Verbe,et le Verbe, c'est Dieu. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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