Métrique en Ligne
HAR_2/HAR74
Edmond HARAUCOURT
L’Âme nue
1885
I
LA VIE EXTÉRIEURE
LES LOIS — LES CULTES — LES FORMES
LES CULTES
LE BEAUPRÉ
À JOSEPH CARRIÈS
Au large, dans un cercle absolu de mer libre, 12
Berçant sous le plein ciel son puissant équilibre, 12
Tranquille, arrondissant l’ampleur de ses flancs creux, 12
Un navire, bardé de fer comme les preux, 12
5 Cinglait royalement vers des guerres lointaines. 12
Ses mâts bruns, ses haubans, ses drisses, ses antennes 12
Tailladaient de traits fins les ors chauds du couchant. 12
En le léchant, les eaux d’argent brisaient leur chant 12
Sur le tranchant penchant de sa proue, et les brises 12
10 Sifflaient et zézayaient autour des cordes grises… 12
Le vent baisait les pieds et le col empourpré 12
D’un pendu qui tordait son hart sous le beaupré. 12
L’homme se balançait, maigre, dans sa vareuse, 12
Avec un rictus bleu sur sa lèvre glaireuse, 12
15 Le front crispé, l’œil fou, la langue entre les dents : 12
Et le roulis faisait danser ses bras pendants… 12
Les oiseaux avaient fui les terreurs de son râle ; 12
Les requins, alentour, glissant leur ventre pâle, 12
Guettaient ; et les flots verts montaient pour l’engloutir. 12
20 Quel crime avait-il donc commis, ce long martyr 12
Qui, la face gonflée et les prunelles vides, 12
Ouvrait de désespoir ses paupières avides 12
Vers des pays perdus et chers, vers des là-bas ?… 12
— Punir ! Un droit que Dieu lui-même n’aurait pas ! 12
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