Métrique en Ligne
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e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
GAU_5/GAU188
Théophile GAUTIER
POÉSIES DIVERSES, 1833-1838
Tome premier
édition Maurice Dreyfous
1833-1838
LES VENDEURS DU TEMPLE
I
Il est par les faubourgsun ramas de maisons 6+6 a
Dont les murs verts ont l'airde suer des poisons, 6+6 a
Et dont les pieds baignésd'eau croupie et de boue 6+6 b
Passent en puanteurl'odeur de la gadoue. 6+6 b
5 Rien n'est plus triste à voir,dans ce vilain Paris, 6+6 a
Entre le ciel tout jauneet le pavé tout gris, 6+6 a
Que ne sont ces maisonslaides et rechignées. 6+6 b
Les carreaux y sont faitsde toiles d'araignées ; 6+6 b
Le toit pleure toujourscomme un œil chassieux ; 6+6 a
10 Les murs, bâtis d'hier,semblent déjà tout vieux, 6+6 a
Pas un seul pan d'aplomb,pas une pierre égale, 6+6 b
Ils sont tous bourgeonnés,pleins de lèpre et de gale, 6+6 b
Pareils à des vieillardsde débauche pourris, 6+6 a
Ruines sans grandeuret dignes de mépris. 6+6 a
15 Un bâton, comme un brasque la maigreur décharne, 6+6 b
Un lange sale au poingsort de chaque lucarne. 6+6 b
Ce ne sont sur le borddes fenêtres que pots, 6+6 a
Matelas à sécher,guenilles et drapeaux, 6+6 a
Si que chaque maison,dépassant ses murailles, 6+6 b
20 A l'air d'un ventre ouvertdont coulent les entrailles. 6+6 b
Des hommes vivent là,dans leur fange abrutis ; 6+6 a
Leurs femmes mettent bas,et leur font des petits 6+6 a
Qui grouillent aussitôtsous les pieds de leurs pères, 6+6 b
Comme sous un fumiergrouille un nœud de vipères. 6+6 b
25 Dans la plus noire ordure,au milieu des ruisseaux, 6+6 a
On les voit barboter,pareils à des pourceaux ; 6+6 a
On les voit scrofuleux,noués et culs-de-jattes, 6+6 b
Comme un crapaud blesséqui saute sur trois pattes, 6+6 b
Descendre en trébuchantquelque roide escalier 6+6 a
30 Ou suivre tout en pleursun coin de tablier. 6+6 a
D'autres, en vagissantd'une bouche flétrie, 6+6 b
Sucent une mamelleépuisée et tarie, 6+6 b
Et les mères s'en vontchantant d'une aigre voix 6+6 a
Un ignoble refrainen ignoble patois. 6+6 a
35 Quant aux hommes, ils sontpartis à la maraude ; 6+6 b
A peine verrez-vousquelque fiévreux qui rôde, 6+6 b
Le corps entortillédans un pâle lambeau, 6+6 a
Plus jaune et plus osseuxqu'un mort sous le tombeau. 6+6 a
Aucun soleil jamaisne dore ces fronts hâves, 6+6 b
40 Nul rayon ne descenden ces affreuses caves, 6+6 b
Et n'y jette à traversla noire humidité 6+6 a
Un blond fil de lumièreaux chauds jours de l'été. 6+6 a
Une odeur de prisonet de maladrerie, 6+6 b
Je ne sais quel parfumde vieille juiverie 6+6 b
45 Vous écœure en entrantet vous saisit au nez. 6+6 a
Des vivants comme noussont pourtant condamnés 6+6 a
A respirer cet airaux miasmes méphitiques, 6+6 b
Ainsi qu'en exhalaientles Avernes antiques. 6+6 b
Les belles fleurs de maine s'ouvrent pas pour eux, 6+6 a
50 C'est pour d'autres qu'en juinles cieux se font plus bleus ; 6+6 a
Ils sont déshéritésde toute la nature, 6+6 b
Pour apanage ils n'ontque fange et pourriture. 6+6 b
Ces hommes, n'est-ce pas,ont le sort bien mauvais ? 6+6 a
Tout malheureux qu'ils sont,moi pourtant je les hais, 6+6 a
55 Et si j'ai fait jaillirde ma sombre palette, 6+6 b
Avec ses tons boueuxcette ébauche incomplète, 6+6 b
Certes, ce n'était pasdans le dessein pieux 6+6 a
De sécher votre bourseet de mouiller vos yeux. 6+6 a
Dieu merci ! je n'ai pastant de philanthropie, 6+6 b
60 Et je dis anathèmea cette race impie. 6+6 b
II
Entrez dans leurs taudis.Parmi tous ces haillons, 6+6 a
Vous verrez s'allumerde flamboyants rayons. 6+6 a
Moins l'aile et le bec d'aigle,ils sont en tout semblables 6+6 b
Aux avares griffonsdont nous parlent les fables, 6+6 b
65 Et veillent accroupis,sans cligner leurs yeux verts, 6+6 a
Sur de gros monceaux d'orde fumier recouverts. 6+6 a
Pour y chercher de l'orils vous fendraient le ventre ; 6+6 b
Pour l'or ils perceraientla terre jusqu'au centre, 6+6 b
Ils iraient dans le ciel,de leurs marteaux hardis, 6+6 a
70 Arracher vos clous d'or,portes du paradis, 6+6 a
Et pour les faire fondreen leurs cavernes noires, 6+6 b
Anges et chérubins,ils vous prendraient vos gloires. 6+6 b
Non que l'or soit pour euxce qu'il serait pour nous, 6+6 a
Un moyen d'imposerses volontés à tous, 6+6 a
75 Et de faire fleurirsa libre fantaisie 6+6 b
Comme un lotus qui s'ouvreau chaud pays d'Asie. 6+6 b
L'or, ce n'est pas pour euxdes châteaux au soleil, 6+6 a
Un voyage lointainsous un ciel plus vermeil, 6+6 a
Un sérail à choisir,de belles courtisanes 6+6 b
80 Baignant de noirs cheveuxleurs tempes diaphanes, 6+6 b
Des coureurs de pur sang,une meute de chiens, 6+6 a
Une collectionde grands mtres anciens, 6+6 a
L'impérial tokay,côte à côte en sa cave, 6+6 b
Avec les pleurs de Christsur leur natale lave. 6+6 b
85 L'or, ce n'est pas pour euxla clef de l'idéal, 6+6 a
L'anneau de Salomon,le talisman fatal, 6+6 a
Qui, foant à venirles démons et les anges, 6+6 b
Fait les réalitésde nos rêves étranges. 6+6 b
Ils aiment l'or pour l'or :c'est là leur passion ; 6+6 a
90 Le seul bonheur pour eux,c'est la possession ; 6+6 a
Comme un vieil impuissantaime une jeune fille, 6+6 b
Quoiqu'ils n'en fassent rien,ils aiment l'or qui brille. 6+6 b
Et voudraient sous leurs dents,pour grossir leur trésor, 6+6 a
Pouvoir, comme Midas,changer le pain en or. 6+6 a
95 Les choses de ce mondeet les choses divines, 6+6 b
Les plus grands souvenirs,les plus saintes ruines, 6+6 b
Ils ne respectent rienet vont détruisant tout. 6+6 a
Ils jettent sans pitiédans le creuset qui bout, 6+6 a
Avec leurs cercueils peintset dorés, les momies 6+6 b
100 Des générationsdans le temps endormies. 6+6 b
Ils brûlent le passépour avoir ce peu d'or 6+6 a
Qu'aux plis de son manteaules ans laissaient encor. 6+6 a
Chandeliers de l'autel,vases du sacrifice, 6+6 b
Ouvrages merveilleuxpleins d'art et de caprice, 6+6 b
105 Cadres et bas-reliefsaux fantasques dessins, 6+6 a
L'ange du tabernacleet les châsses des saints, 6+6 a
Les beaux lambris d'égliseet les stalles sculptées 6+6 b
Gisent au fond des coursà pleines charretées ; 6+6 b
Pour cuire leur pâtureils n'ont pas d'autre bois 6+6 a
110 Que des débris d'autelet des morceaux de croix. 6+6 a
C'est un bûcher doréqui chauffe leur cuisine, 6+6 b
Cependant qu'accroupieau coin du feu Lésine, 6+6 b
Les yeux caves, le teintplus pâle qu'un citron, 6+6 a
Tourne un maigre brouetau fond d'un grand chaudron. 6+6 a
115 L'épine de son dosest collée à son ventre, 6+6 b
Son épaule est convexeet sa poitrine rentre, 6+6 b
Elle a des sourcils grismêlés de longs poils blancs ; 6+6 a
Comme un bissac de pauvre,à chacun de ses flancs 6+6 a
Sa mamelle s'allongeet passe la ceinture ; 6+6 b
120 On peut compter les filsde sa robe de bure, 6+6 b
Et, quoiqu'elle soit richeà payer vingt palais, 6+6 a
Ses manches laissent voirses coudes violets ; 6+6 a
Elle claque du beccomme fait la cigogne, 6+6 b
Et, quand elle remueet vaque à sa besogne, 6+6 b
125 On entend ses os secsà chaque mouvement, 6+6 a
Comme un gond mal graissé,rendre un sourd grincement. 6+6 a
III
Ah ! race de corbeaux,ignoble bande noire, 6+6 b
Hyènes du passé,vrais chacals de l'histoire, 6+6 b
C'est vous qui disputez,dans les tombeaux ouverts, 6+6 a
130 Pour prendre leur linceul,les trépassés aux vers, 6+6 a
Et qui ne laissez pasdebout une colonne 6+6 b
Sur la fosse d'un siècle pendre sa couronne. 6+6 b
Par la vie et la mort,par l'enfer et le ciel, 6+6 a
Par tout ce que mon cœurpeut contenir de fiel, 6+6 a
Soyez maudits !
135 Jamaisdéluge de Barbares, 6+6 b
Ni Huns, ni Visigoths,ni Russes, ni Tartares, 6+6 b
Non, Genseric jamais,non, jamais Attila, 6+6 a
N'ont fait autant de malque vous en faites là. 6+6 a
Quand ils eurent tuéla ville aux sept collines, 6+6 b
140 Ils laissèrent au corpsson linceul de ruines. 6+6 b
Ils détruisaient, car telleétait leur mission, 6+6 a
Mais ne spéculaient passur leur destruction. 6+6 a
C'est vous qui perdez l'artet par qui les statues 6+6 b
Près de leurs piédestauxmoisissent abattues ! 6+6 b
145 Destructeurs endiablés,c'est vous dont le marteau 6+6 a
Laisse une cicatriceau front de tout château ; 6+6 a
C'est vous qui décoiffeztoutes nos métropoles, 6+6 b
Et, comme on prend un casque,enlevez leurs coupoles ; 6+6 b
Vous qui déshabillezles saintes et les saints, 6+6 a
150 Qui, pour avoir le plomb,cassez les vitraux peints 6+6 a
Et rompez les clochers,comme une jeune fille 6+6 b
Entre ses doigts distraitsrompt une frêle aiguille ; 6+6 b
C'est à cause de vousque l'on dit des Français : 6+6 a
Ils brisent leur passé :c'est un peuple mauvais. 6+6 a
155 Encor, si vous étiezla vieille bande noire ! 6+6 b
Mais vous êtes venusbien après la victoire. 6+6 b
Vous becquetez le corpsque d'autres ont tué ; 6+6 a
Vous avez attenduque sa chair ait pué, 6+6 a
Avant que de tombersur le géant à terre, 6+6 b
160 Vautours du lendemain !Dans le champ solitaire, 6+6 b
Par une nuit sans lune, le firmament noir 6+6 a
N'avait pas un seul œilentr'ouvert pour vous voir, 6+6 a
Vous avez abattuvotre vol circulaire 6+6 b
Et porté tout joyeuxla charogne à votre aire. 6+6 b
165 Les bons et braves chiens,lorsque le cerf est mort, 6+6 a
S'en vont. Toute la meutearrive alors et mord, 6+6 a
Mêlant ses vils aboisà la trompe de cuivre, 6+6 b
Le noble cerf dix cors,qu'à peine elle osait suivre ; 6+6 b
Et les bassets trapus,arrivés les derniers, 6+6 a
170 Ont de plus gros morceauxque n'en ont les premiers. 6+6 a
Vous êtes les bassets.Vous mangez la curée 6+6 b
Par les chiens courageuxaux lâches préparée. 6+6 b
Quand les guerriers ont fait,les goujats vont au corps, 6+6 a
Et dérobent l'argentdans les poches des morts. 6+6 a
175 O fille de Satan,ô toi, la vieille bande, 6+6 b
Comme ta mission,tu fus horrible et grande. 6+6 b
Je ne sais quelle rudeet sombre majesté 6+6 a
Drape sinistrementta monstruosité ; 6+6 a
Une fauve auréoleautour de toi rayonne 6+6 b
180 Et ton bonnet sanglantluit comme une couronne. 6+6 b
Des nerfs herculéensse tordent à tes bras ; 6+6 a
L'airain, comme un gravier,se creuse sous ton pas ; 6+6 a
Sur le marbre, en courant,tu laisses des empreintes, 6+6 b
Et le monde ébranlécraque dans tes étreintes. 6+6 b
185 C'est toi qui commençasce périlleux duel 6+6 a
Du peuple avec le roi,de la terre et du ciel ; 6+6 a
Et quand tu secouais,de tes mains insensées, 6+6 b
Les croix sur les clochers,si près de Dieu dressées, 6+6 b
On croyait que le Christ,par les pieds et le flanc, 6+6 a
190 En signe de douleurallait pleurer le sang ; 6+6 a
On croyait voir s'ouvrirla bouche de sa plaie 6+6 b
Et reluire à son frontune auréole vraie, 6+6 b
Et l'on fut bien surprisque ton bras et ton poing, 6+6 a
Après l'avoir frappé,ne se séchassent point. 6+6 a
195 Tout le monde attendaitun grand coup de tonnerre, 6+6 b
Comme au saint vendrediquand l'on baise la terre ; 6+6 b
On ignorait commentDieu prendrait tout cela, 6+6 a
Et quel foudre il gardaità ces insultes-là. 6+6 a
Nulle voix ne sortitdu fond du tabernacle, 6+6 b
200 Le ciel pour se vengerne fit aucun miracle ; 6+6 b
Et, comme dans les boisfait un essaim d'oiseaux, 6+6 a
Les anges effarésquittèrent leurs arceaux ; 6+6 a
Mais tu ne savais passi dans les nefs désertes 6+6 b
Tu n'allais pas trouver,avec leurs plumes vertes, 6+6 b
205 Leur œil de diamantet leurs lances de feu, 6+6 a
A cheval sur l'éclair,les milices de Dieu. 6+6 a
La première et sans peurtu mis la main sur l'arche, 6+6 b
Et tes enfants perdusallèrent droit leur marche, 6+6 b
Sans savoir si le soltout d'un coup sous leurs pas 6+6 a
210 En entonnoir d'enferne se creuserait pas. 6+6 a
Tu fus la poésieet l'idéal du crime ; 6+6 b
Tu détrônais Jésusde son gibet sublime, 6+6 b
Comme Louis Capetde son fauteuil de roi. 6+6 a
La vieille monarchieavec la vieille foi 6+6 a
215 Râlait entre tes bras,toute bleue et livide, 6+6 b
Comme autrefois Antéeaux bras du grand Alcide. 6+6 b
Et le Christ et le roi,sous tes puissants efforts, 6+6 a
Du trône et de l'auteltous deux sont tombés morts. 6+6 a
Au seul bruit de tes pasles noires basiliques 6+6 b
220 Tremblotaient de frayeursous leurs chapes gothiques ; 6+6 b
Leurs genoux de granitsous elles se ployaient, 6+6 a
Les tarasques sifflaient,les guivres aboyaient ; 6+6 a
Le dragon se tordantau bout de la gouttière 6+6 b
Tâchait de dégagerses ailerons de pierre ; 6+6 b
225 Les anges et les saintspleuraient dans les vitraux ; 6+6 a
Les morts, se retournantau fond de leurs tombeaux, 6+6 a
Demandaient : «Qu'est-ce donc ?» à leurs voisins plus blêmes, 6+6 b
Et les cloches des toursse brisaient d'elles-mêmes. 6+6 b
Quand tu manquais de roisà jeter à tes chiens, 6+6 a
230 Tu foais Saint-Denisà te rendre les siens ; 6+6 a
Tu descendais sans peursous les funèbres porches. 6+6 b
Les spectres, éblouisaux lueurs de tes torches, 6+6 b
Fuyaient échevelésen poussant des clameurs. 6+6 a
Troublés dans leur sommeil,tous ces pâles dormeurs, 6+6 a
235 Rêvant d'éternité,pensaient l'heure venue, 6+6 b
le Christ doit jugerles hommes sur sa nue ; 6+6 b
Et, quand tu soulevaisde ton doigt curieux 6+6 a
Leur paupière embauméeafin de voir leurs yeux, 6+6 a
Certes ils pouvaient croireà ton rire sauvage, 6+6 b
240 A l'air fauve et cruelde ton hideux visage, 6+6 b
Qu'ils étaient bien damnés,et qu'un diable d'enfer 6+6 a
Venait les emporterdans ses griffes de fer. 6+6 a
L'épouvante crispaitleur bouche violette, 6+6 b
Ils joignaient, pour prier,leurs deux mains de squelette, 6+6 b
245 Mais tu les retuaissans plus sentir d'effroi 6+6 a
Que pour guillotinerun véritable roi. 6+6 a
Tes rêves n'étaient pashantés de noirs fantômes ; 6+6 b
Toutes les sommités,têtes de rois et dômes, 6+6 b
Devaient fatalementtomber sous ton marteau, 6+6 a
250 Et tu n'avais pas plusde remords qu'un couteau ; 6+6 a
Tu n'étais que le brasde la nouvelle idée, 6+6 b
Et le sang comme l'eau,sur ta robe inondée, 6+6 b
Coulait et te faisaitune pourpre à ton tour. 6+6 a
O tueuse de rois,souveraine d'un jour ! 6+6 a
255 Tes forfaits étaient noirset grands comme l'abîme, 6+6 b
Mais tu gardais au moinsla majesté du crime, 6+6 b
Mais tu ne grattais pasla dorure des croix, 6+6 a
Et, si tu profanaisles cadavres des rois, 6+6 a
C'était pour te vengeret non pas pour leur prendre 6+6 b
260 Les anneaux de leurs doigtsni pour les aller vendre ! 6+6 b
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