Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DUC_1/DUC8
Alexandre DUCROS
Les Capricieuses
1854
LES RUBANS DE MARIE
Fantaisie
A Mademoiselle E. G.
I
INNOCENCE
Elle dort. Une lampe | éclaire son visage ; 6+6 a
Son front n'est obscurci | par aucun noir nuage : 6+6 a
Rien ne trouble sa paix — | ni sa sérénité. ' 6+6 a
Elle a prié ce soir, | et, maintenant, son rêve, 6+6 b
5 De ses travaux du jour | douce et paisible trêve, 6+6 b
Emporte son esprit | vers un monde enchanté. 6+6 a
Du Dieu qu'elle a prié | son regard voit la face. 6+6 a
Parmi lès saints esprits | il lui montre sa place ; 6+6 a
Elle court dans des champs | semés d'or et d'azur 6+6 a
10 Ces spacieux jardins | aux fleurs toujours nouvelles 6+6 b
Qui répandent au sein | des sphères éternelles, 6+6 b
Comme pour louer Dieu, | leur parfum le plus pur. 6+6 a
Son oreille attentive | écoute l'harmonie 6+6 a
Et recueille les sons | de la harpe, bénie 6+6 a
15 Qui vibre sous les doigts | de mille séraphins. 6+6 a
A ce concert sacré, | sa voix douce et craintive 6+6 b
Se mêle avec transport, | et sa prière arrive 6+6 b
A Dieu, sur l'aile d'or | des cantiques divins. 6+6 a
Rêve heureux ! et qui naît | de sa jeune ignorance ! 6+6 a
20 Rêve qui, chaque nuit, | s'achève et recommence, 6+6 a
Oh ! tu n'es point de ceux | qui viennent abuser. 6+6 a
L'âme que tu ravis, | est comme un lac tranquille : 6+6 b
Nul remords ne la trouble, | et tu la vois, docile, 6+6 b
S'endormir, s'éveiller | au bruit d'un doux baiser. 6+6 a
25 Un baiser de sa mère ! | Oh ! c'est tout ce qu'elle aime ! 6+6 a
Pour elle, sa tendresse | est divine et suprême ! 6+6 a
— Son père, hélas ! son père | est mort depuis longtemps. 6+6 a
Depuis, tout son amour | s'est porté sur sa mère : 6+6 b
Pour elle ses baisers, | pour elle sa prière ; 6+6 b
30 Pour elle, doux trésors ! | les fleurs de son printemps. 6+6 a
Dans ses cheveux, elle a | pour unique parure 6+6 a
Un simple ruban blanc, | dont le pli s'aventure 6+6 a
Sur son sein, où la soie | et l'or sont inconnus ; 6+6 a
Un ruban seulement | et sa robe d'indienne, 6+6 b
35 Qui, de tant de beautés | modeste gardienne, 6+6 b
Ne laisse contempler | que ses bras demi-nus. 6+6 a
Auprès de la fenêtre, | un oiseau dans sa cage, 6+6 a
Par ses chants de bonheur | anime son ouvrage ; 6+6 a
L'aiguille diligente | éloigne tout souci 6+6 a
40 De son seuil, où le pauvre, | en recevant l'aumône, 6+6 b
Fait qu'une perle encor | s'ajoute à la couronne 6+6 b
Que Dieu garde à cet ange, | auquel il dit : merci ! 6+6 a
Elle est heureuse ainsi ; | qui peut troubler cet être ? 6+6 a
Elle marche au milieu | du monde, sans connaître 6+6 a
45 Ce qu'il a de méchant, | d'égoïste et de froid. 6+6 a
Les cailloux du chemin | pour elle sont de sable ; 6+6 b
Sa candeur la défend ; | la foule impitoyable 6+6 b
S'écarte avec respect | sitôt qu'elle la voit. 6+6 a
Son travail la nourrit. |Elle est pauvre. — Sa mère 6+6 a
50 Ne peut plus travailler : | dans une épreuve amère 6+6 a
Le Seigneur fit tomber | ses membres engourdis. 6+6 a
Elle travaille et chante. | — Oh ! va, Dieu te regarde, 6+6 b
Pauvre enfant ! et les chants | ont fait de ta mansarde 6+6 b
Un nid joyeux et saint, | un nouveau paradis. 6+6 a
55 Ton cœur ignore encor | ce mal qui nous dévore, 6+6 a
Ce mal qu'on nomme amour, | et que chacun adore. 6+6 a
Si ton front est rêveur, | certes, ce n'est pas lui 6+6 a
Qui trouble tes instants | et cause tes alarmes ; 6+6 b
A tes yeux si l'on voit | se balancer deux larmes, 6+6 b
60 C'est que la mère, hélas ! | a souffert aujourd'hui. 6+6 a
Non, non ; tu ne connais | ni ses douleurs aiguës, 6+6 a
Ni ses nombreux accès | de fièvres inconnues, 6+6 a
Ni son espoir d'un jour, | qu'un autre jour détruit. 6+6 a
Non ; ton sommeil est calme | et ton âme est sereine, 6+6 b
65 Par souffles mesurés | s'échappe ton haleine. 6+6 b
Non ; — tu chantes le jour | et tu rêves la nuit. 6+6 a
L'amour ? Et que t'importe | à toi l'amour, pauvre ange ? 6+6 a
Ton cœur en possède un, | un qui jamais ne change, 6+6 a
Un amour que du ciel | Dieu bénit chaque jour ; 6+6 a
70 Tu le connais, enfant, | car lui seul fait ta joie ; 6+6 b
Sur un être adoré | tout ton cœur le déploie : 6+6 b
N'est-ce pas que ta mère | est ton unique amour ? 6+6 a
De ton ruban chéri | la couleur virginale 6+6 a
Nous le dit à chacun. | — Oh ! l'aube matinale 6+6 a
75 A moins de pureté, | moins de calme profond 6+6 a
Que tes jours écoulés | dans cette paix obscure, 6+6 b
Et par ton ruban blanc, | angélique parure, 6+6 b
L'image de ton cœur | se reflète à ton front. 6+6 a
Je vous l'ai déjà dit : | sur sa chaise de paille, 6+6 a
80 Libre, dès le matin, | elle chante et travaille. 6+6 a
Ses sens dorment encor ; | les vives passions 6+6 a
Au cœur de cette enfant | sont loin d'être germées. 6+6 b
Sa joie est dans sa mère, | et ses fleurs bien aimées, 6+6 b
Dans son beau ruban blanc | et ses jeunes chansons. 6+6 a
II
AMOUR
85 Ton front est inquiet, | Ô Marie ! et ta mère 6+6 a
Ne t'a pas entendu | répéter la prière 6+6 a
Qu'ensemble, à ton chevet, | vous faisiez le matin. 6+6 a
Bien des fois de tes doigts | ton aiguille est tombée ; 6+6 b
Vis-à-vis ton regard | erre à la dérobée, 6+6 b
90 Et ton oiseau tout seul | a chanté son refrain. 6+6 a
Qu'as-tu ? quelle langueur | décolore ta joue 6+6 a
Et quel esprit malin | de ton repos se joue ?… 6+6 a
Hier encor tu riais, | libre comme à seize ans ; 6+6 a
Mais ta mère va mieux, | tu dois être joyeuse. 6+6 b
95 Es-tu malade ?… Non ! | — Ma jeune soucieuse, 6+6 b
Pourquoi ce front rêveur | et ces yeux languissants ? 6+6 a
D'où naît ce changement ? | Regarde en ta demeure : 6+6 a
Gaie et contente hier, | maintenant tout y pleure. 6+6 a
Pourquoi, mon Dieu, pourquoi | ce subit abandon ? 6+6 a
100 Tu rougis !… ma question | te trouble et t'embarrasse. 6+6 b
Tu te sens donc coupable ? | Oh ! réponds-nous, de grâce 6+6 b
Toujours le repentir | amène le pardon ! 6+6 a
Tout auprès, vis-à-vis, | dans une chambre étroite 6+6 a
Que l'été rend brûlante | et l'hiver toute moite 6+6 a
105 D'humidité, depuis | quinze jours environ 6+6 a
Habitait un jeune homme ; | orphelin dès l'enfance, 6+6 b
Il n'avait pas connu | sa mère ; à sa naissance, 6+6 b
Le signe du mépris | avait meurtri son front ! 6+6 a
Un soir, de bonnes gens | avaient sur une pierre 6+6 a
110 Amassé cet enfant | qui pleurait ; car sa mère, 6+6 a
Qu'on ne revit jamais, | l'avait abandonné. 6+6 a
Ils en eurent pitié ; | ses pleurs les attendrirent. 6+6 b
Ce que n'avait point fait | une mère, ils le firent : 6+6 b
Ils donnèrent leur pain | à l'enfant nouveau-né. 6+6 a
115 Plus tard, lorsqu'il grandit, | il dut gagner sa vie. 6+6 a
Bien des fois il jetait | un long regard d'envie 6+6 a
Sur les autres enfants | dont il voyait les jeux. 6+6 a
Oh ! qu'il aurait aimé | leur troupe fortunée ! 6+6 b
Mais, l'ouvrage était là, | son pain de la journée, 6+6 b
120 Et l'enfant retournait | au chantier, soucieux. 6+6 a
— Toujours seul ! disait-il, | jamais une voix douce ; 6+6 a
Celui que je voudrais | pour ami me repousse, 6+6 a
Et je vais dévorer | mes larmes à l'écart. 6+6 a
Je n'ai pas demandé | pourtant, Seigneur, à naître 6+6 b
125 N'aurais-tu pas mieux fait | de dérober à l'être 6+6 b
Le pauvre paria | qu'on appelle bâtard !… 6+6 a
Louis — c'était son nom — | voyait passer Marie ; 6+6 a
Il l'attendait le soir. | C'était là de sa vie 6+6 a
Le seul bonheur, hélas ! | — Marie, en souriant, 6+6 a
130 Lui donnait un bonsoir, | lorsqu'elle entrait chez elle, 6+6 b
Et lui la contemplait : | il la trouvait si belle, 6+6 b
Qu'il n'osait lui parler | dans son ravissement ! 6+6 a
Mais il était toujours | placé sur son passage. 6+6 a
Un regard bienveillant | lui donnait du courage. 6+6 a
135 — Si tu voulais m'aimer, | ange murmurait-il, 6+6 a
Mais si bas, que lui seul | l'entendait dans son âme ; 6+6 b
Si tu voulais m'aimer, | de celte foule infâme 6+6 b
Je braverais l'affront ! | — Comme la fleur d'avril 6+6 a
Dégage doucement | l'écorce de sa tige 6+6 a
140 Et vient ouvrir son sein | à l'oiseau qui voltige ; 6+6 a
Comme elle, douce enfant, | je l'ouvrirais mon cœur, 6+6 a
Fermé jusqu'aujourd'hui. | — De ton amour la force 6+6 b
Saurait briser, crois-moi, | sa grossière écorce 6+6 b
Et serait le soleil | qui fait naître la fleur ! 6+6 a
145 Un jour, elle venait | de rapporter l'ouvrage ; 6+6 a
Marie, en regardant, | aperçut dans la cage 6+6 a
Un nouveau compagnon | pour son oiseau chéri. 6+6 a
Deux ou trois jours avant, | elle en fit la demande ; 6+6 b
Elle crut deviner | de qui venait l'offrande. 6+6 b
150 Car cet oiseau portait | son ruban favori. 6+6 a
— C'est toi, mère ! dit-elle. | Oh ! je te remercie. 6+6 a
— Je ne te comprends pas ! | Que me dis-tu, Marie ? 6+6 a
Dit la mère étonnée. | Hélas ! depuis un mois, 6+6 a
Je n'ai pas, tu le sais, | descendu dans la rue. 6+6 b
155 L'oiseau vient du voisin. | — Ah ! fit Marie émue, 6+6 b
C'est le sien, car la cage | est vide, lu le vois. 6+6 a
Le soir, lorsque Louis | eut fini sa journée, 6+6 a
Marie, en rougissant | (elle en fut étonnée), 6+6 a
Alla remercier | son généreux voisin. 6+6 a
160 L'ouvrier, en l'écoutant, | avait comme la fièvre. 6+6 b
Un mot : Oh ! je vous aime… | ! échappa de sa lèvre, 6+6 b
Qui de la pauvre enfant | vint effleurer la main. 6+6 a
Elle rêva la nuit ! |… Mais non plus ce beau songe 6+6 a
Dans lequel, chaque soir, | le cœur en paix se plonge, 6+6 a
165 Car elle ne vit point | le paradis et Dieu ! 6+6 a
Cet aveu de Louis, | le songe le répète : 6+6 b
Rêveuse le matin, | elle mit sur sa tète, 6+6 b
Au lieu du ruban blanc, | un autre ruban bleu ! 6+6 a
III
ESPÉRANCE
Un mois s'est écoulé | depuis que, dans son âme, 6+6 a
170 Marie avait senti | brûler une autre flamme 6+6 a
Et naître un autre amour | qu'elle ignorait alors ; 6+6 a
Elle avait, à son tour, | dit à Louis : Je t'aime ! 6+6 b
Oh ! qu'il était heureux ! | Pour cet aveu suprême, 6+6 b
Il n'aurait pas voulu | les plus riches trésors. 6+6 a
175 Chaque jour apportait | des moments pleins de charmes, 6+6 a
Car leur amour encore | ignorait les alarmes ; 6+6 a
Ils s'enivraient ensemble | à leur félicité. 6+6 a
Le présent était tout. | L'avenir, chose obscure, 6+6 b
Ne venait point troubler | leur félicité pure, 6+6 b
180 Car ils n'y songeaient point | dans leur tranquillité. 6+6 a
Peut-être ignorez-vous, | ma charmante Lectrice 6+6 a
(Je ne vous blâme pas | et je vous rends justice ; 6+6 a
Votre cœur est trop pur |) ; peut-être ignorez-vous 6+6 a
Tous ces mille tourments | que l'amour fait d'une ombre, 6+6 b
185 Ces boutades et puis | tous ces accords sans nombre 6+6 b
Que suscite l'amour | pour peu qu'on soit jaloux. 6+6 a
C'était ainsi chez eux ; | d'accord, brouillés encore ; 6+6 a
Et plus on est brouillé, | mieux après on s'adore : 6+6 a
C'est la règle en amour, | point d'uniformité ; 6+6 a
190 Un plaisir qu'on acquiert | sans désirs est bien fade. 6+6 b
Mais je vous vois rougir | de ma sotte incartade ; 6+6 b
Veuillez me pardonner | cette immoralité… 6+6 a
L'ivresse de Louis | ne peut pas se décrire. 6+6 a
Il avait ignoré | jusqu'alors qu'un sourire, 6+6 a
195 Un mot, un seul regard, | c'était là du bonheur. 6+6 a
— Oh ! merci ! disait-il, | merci pour ta tendresse 6+6 b
Car elle a de mon cœur | dissipé la tristesse 6+6 b
Et le nuage obscur | qui pesait sur mon cœur. 6+6 a
Au seul bruit de ta voix, | j'ai senti fuir le doute, 6+6 a
200 Et, prêt à succomber, |' j'ai poursuivi ma route ; 6+6 a
Car, seul, abandonné, | moi je voulais mourir. 6+6 a
Chacun me repoussait ; | maintenant je veux vivre. 6+6 b
Tu m'aimes ! n'est-ce pas ? | Oh ! ton amour m'enivre ; 6+6 b
J'ai vécu de douleur, | je mourrai de plaisir !…. 6+6 a
205 En écoutant ces mots, | Marie était heureuse. 6+6 a
Ils se voyaient une heure, | heure délicieuse. 6+6 a
La mère ne prenait | point garde à cet amour. 6+6 a
Vous savez… la vieillesse | est toujours confiante ; 6+6 b
Et puis, ils parlaient d'elle, | et leur flamme innocente 6+6 b
210 Lui promettait aussi | bien du bonheur un jour. 6+6 a
— Louis, tu l'aimeras ? | disait alors Marie. 6+6 a
— Je n'ai jamais connu | de mère dans ma vie : 6+6 a
Elle m'en tiendra lieu… | Tu vois je l'aimerai. 6+6 a
— Nous aurons bien soin d'elle. | Oh ! c'est qu'elle est si bonne ! 6+6 b
215 Nous n'aurons pas besoin, | pour vivre, de personne : 6+6 b
Toi, tu travailleras ; | moi, je la soignerai. 6+6 a
Hélas ! un jour, Louis | rentra triste ; — des larmes 6+6 a
S'échappaient de ses yeux. | — Quelles sont tes alarmes ? 6+6 a
Dit Marie effrayée. |Il faut partir demain ! 6+6 a
220 Répondit le jeune homme — | Eh ! pourquoi donc ? — L'armée 6+6 b
Me réclame. — Soldat ! | fit Marie accablée…. 6+6 b
Et son front abattu | s'inclina sur sa main. 6+6 a
Il partit… Et Marie, | en comptant les journées 6+6 a
Attendait son retour. | Il fallait sept années 6+6 a
225 Avant qu'il ne revînt | au pays. C'était long ! 6+6 a
Et nous vivions alors | dans ces jours où la guerre 6+6 b
Du bruit de ses canons | épouvantait la terre, 6+6 b
Où les rois pâlissaient | devant Napoléon. 6+6 a
Elle attendait toujours | et prenait du courage ; 6+6 a
230 Un bruit dans l'escalier | suspendait son ouvrage, 6+6 a
Elle y courait alors. | — Mon Dieu ! ce n'est pas lui ! 6+6 a
Disait, en remontant, | la pauvre jeune fille. 6+6 b
Puis elle murmurait, |en reprenant l'aiguille : — 6+6 b
Je crois que.cela fait | juste un an aujourd'hui. 6+6 a
235 Elle continuait : | — Je veux être jolie, 6+6 a
Je veux qu'à son retour | il me trouve embellie. 6+6 a
Si Louis aujourd'hui, | mon Dieu, pouvait me voir 6+6 a
Comme il serait content ! | Je suis encor plus belle 6+6 b
Chaque minute, aussi, | toujours la trouvait-elle 6+6 b
240 Consultant le reflet | de son petit miroir. 6+6 a
Il sera général | à son retour, peut-être ! 6+6 a
Disait la pauvre enfant | courant à la fenêtre, 6+6 a
En écoutant un bruit | qu'on entendait dehors. 6+6 a
Il sera général ! | Comme je serai fière ! 6+6 b
245 Elle attendait toujours | sans savoir, pauvre ouvrière, 6+6 b
Que la gloire souvent | n'escorte que les morts. 6+6 a
Enfin, elle attendait, | tantôt triste ou joyeuse, 6+6 a
Gaie ou sombre aujourd'hui, | demain triste ou rieuse. 6+6 a
Le seuil de sa mansarde | était toujours ouvert, 6+6 a
250 Comme on fait pour quelqu'un | qu'on attend à toute heure » 6+6 b
Ses yeux semblaient chercher | l'absent clans sa demeure, 6+6 b
Et dans ses cheveux blonds | brillait un ruban vert. 6+6 a
IV
DEUIL
Le clairon a sonné… | tout s'émeut et tout tremble. 6+6 a
On dirait un seul homme | à voir tout cet ensemble 6+6 a
255 De mille bataillons | marchant à rangs serrés… 6+6 a
Le silence est partout. | L'heure d'une bataille 6+6 b
Répand un morne effroi. | Mais bientôt la mitraille 6+6 b
Dissipe la terreur | de ces fronts assurés. 6+6 a
Ils vaincront ou mourront ! | En avant !… La victoire 6+6 a
260 Leur est promise à tous. | Ils couvriront de gloire 6+6 a
Et d'immortalité | leurs drapeaux triomphants. 6+6 a
D'où leur vient donc ainsi | celte noble assurance ? 6+6 b
Qui les guide ? Un génie | a fait, par sa présence, 6+6 b
Passer d'un seul coup d'œil | la victoire en leurs rangs. 6+6 a
265 Un seul coup d'œil, un geste, | un signe, une parole, 6+6 a
Celle qui fit franchir | d'un bond le pont d'Arcole ; 6+6 a
Car ce génie était | le vainqueur d'Austerlitz ! 6+6 a
C'était Napoléon ! | qui, ravageant la terre, 6+6 b
Dans ses vastes desseins | avait rêvé de faire 6+6 b
270 Des couronnes des rois | des jouets pour son fils. 6+6 a
En avant ! en avant ! | la fanfare résonne. 6+6 a
Par cent bouches d'airain | la mort s'élance et tonne, 6+6 a
Et le champ de bataille | est jonché de mourants. 6+6 a
En avant ! vieux soldat, | quelles sont donc tes craintes ? 6+6 b
275 N'entends-tu pas ces cris | de victoire et de plaintes, 6+6 b
Cet horrible concert | que font des combattants ? 6+6 a
Napoléon est là ; | son regard, regard d'aigle, 6+6 a
Mesure tous les plans ; | il court, il vient, il règle 6+6 a
Les chances du succès. | Il a vu ta valeur, 6+6 a
280 Il te fait signe ; approche ! | et que ton front s'incline. 6+6 b
Pour payer ton courage, | il va, sur la poitrine, 6+6 b
Faire luire, soldat, | l'étoile de l'honneur. 6+6 a
Va te faire tuer, | maintenant, que t'importe ! 6+6 a
Tu jetteras encor, | d'une voix assez forte, 6+6 a
285 Un cri d'enthousiasme, | et vive l'Empereur ! 6+6 a
Mais les rangs ennemis | faiblissent et s'affaissent ; 6+6 b
Leurs derniers bataillons | devant vous disparaissent ; 6+6 b
Napoléon encor | se promène vainqueur ! 6+6 a
Mais que de morts, mon Dieu ! | dorment dans la poussière 6+6 a
290 Qui pourrait les compter ? | Leurs corps couvrent la terre ; 6+6 a
A l'appel du clairon | ils ne répondront plus. 6+6 a
Un lourd sommeil de plomb | pèse sur leur paupière ; 6+6 b
Ils ne reverront plus | leurs parents, leur chaumière 6+6 b
Où depuis si longtemps | ils étaient attendus !… 6+6 a
295 Retournons maintenant | à la pauvre Marie. 6+6 a
Que fait-elle ? Elle attend, | elle croit, elle prie. 6+6 a
Un noir pressentiment | attriste son amour ; 6+6 a
— Oh ! s'il était tué ! | — se disait-elle émue. 6+6 b
Un jour, elle descend, | en courant, dans la rue : 6+6 b
300 Elle avait entendu | comme un bruit de tambour. 6+6 a
Un régiment passait. | — C'est le sien !… cria-t-elle. — 6+6 a
Il revient donc, enfin ! | Et puis elle chancelle, 6+6 a
Car Louis n'était pas | parmi tous ces soldats. 6+6 a
Elle s'informe, alors, | elle demande et pleure. 6+6 b
305 — Avez-vous vu Louis ? | Pourquoi donc à cette heure 6+6 b
N'est-il pas' avec vous ? |On ne répondait pas. 6+6 a
— Parlez, dites un mot ; | j'étais sa sœur chérie, 6+6 a
Sa compagne, son bien, | le bonheur de sa vie. 6+6 a
Vous voulez m'effrayer, | Messieurs, vous avez tort 6+6 a
310 Tenez, je ris ; parlez, | déjà l'heure s'écoule ; 6+6 b
Pourquoi retardez-vous | mon bonheur ? — De la foule 6+6 b
Une voix s'échappa, | disant : — Louis est mort !… 6+6 a
— Mort !!… — Ce cri de l'enfant | fut la seule parole, 6+6 a
Et puis elle tomba | pour se relever folle. 6+6 a
315 Lorsque de sa mansarde | elle prit le chemin, 6+6 a
Ses yeux étaient hagards ; | pas une plainte amère 6+6 b
Ne sortait de sa bouche ; | elle embrassa sa mère 6+6 b
Qui, quelques jours après, | expirait de chagrin ! 6+6 a
Oh ! comme tout était | changé dans la mansarde ! 6+6 a
320 Plus de chant, plus d'ouvrage, | et la lueur blafarde 6+6 a
D'une lampe éclairait | tout ce morne abandon. 6+6 a
Les voisins, par pitié, | secouraient la misère 6+6 b
De Marie, accroupie | au foyer solitaire, 6+6 b
Et qui semblait n'avoir | retenu qu'un seul nom. 6+6 a
325 La nuit, on l'entendait | parfois à sa fenêtre 6+6 a
Pousser un long éclat | de rire. — Il va paraître ! 6+6 a
Criait-elle aux passants… | Il revient aujourd'hui !… 6+6 a
Parfois, elle arrêtait | un soldat au passage ; 6+6 b
Elle le regardait | en dessous du visage, 6+6 b
330 Puis, le laissait aller, | disant : — Ce n'est pas lui. 6+6 a
Elle avait enlevé, | dans un moment lucide, 6+6 a
Son ruban vert, hélas ! | de tant de pleurs humide 6+6 a
A quoi bon désormais | l'emblème de l'espoir ! 6+6 a
Seulement et parfois, | aux jeunes amoureuses, 6+6 b
335 De leur bonheur présent | si fières, si joyeuses, 6+6 b
Elle montrait un ruban noir !!! 8 a
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