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12 longueur métrique
6-6 mètre
DSA_1/DSA18
Alfred de ESSARTS
LA COMÉDIE DU MONDE
1851
XVII
LE SECRET DE ZACHARIE
 Quand Firmin reparutau château, la tristesse 6+6 a
En avait éloignéles hôtes ; — la comtesse 6+6 a
Pâle, les yeux en pleurs,les traits bouleversés, 6+6 b
Dans son cœur ulcérégardait de noirs pensers. 6+6 b
5 Sans cesse interrogeantla pendule trop lente 6+6 a
Et toute consuméeen une affreuse attente, 6+6 a
Elle était par l'espritbien loin de ce séjour, 6+6 b
Et de son défenseurépiait le retour. 6+6 b
 Le comte, non moins sombreet gardant le silence, 6+6 a
10 Ou bien jetant sa voixpleine de violence 6+6 a
Et brusquant ses valets,se tenait enfermé. 6+6 b
De sinistres éclairsson regard animé 6+6 b
Interrogeait les traitsde la comtesse, et vite 6+6 a
Se détournait. — Ainsile voyageur évite, 6+6 a
15 Après l'avoir sondé,le gouffre menaçant. 6+6 b
Sous un pareil regardse glace tout le sang. 6+6 b
Quelque chose disaità l'épouse coupable : 6+6 a
« Le secret est connu ;la justice implacable 6+6 a
Apprête un châtimentterrible et mérité. 6+6 b
20 Le mal, même ici-bas,n'a point l'impunité. » 6+6 b
 Voilà comme à la joie,au bonheur sans nuage 6+6 a
Venait de succéderle règne des orages. 6+6 a
Le bruit d'une voiturea retenti. Firmin 6+6 b
Part ; une cravateenveloppait sa main. 6+6 b
25 Le jeune homme était pâleainsi qu'un jour d'automne. 6+6 a
La comtesse à sa vueet chancelle, et frissonne 6+6 a
Le général, non moinssurpris, s'est écrié : 6+6 b
« — Qu'as-tu donc, et pourquoiton bras est-il plié ? 6+6 b
Est-ce d'un accidentque provient ta blessure ? 6+6 a
30 Oh ! tranquillisez-vous,c'est une meurtrissure, 6+6 a
Dit Firmin.
— Tu paraissouffrir.
— Moi, pas du tout. 6+6 b
— Tu sembles avoir peineà te tenir debout. 6+6 b
— Vous croyez ?… Ce n'est rienL'émotion, la joie 6+6 a
Mais vous, cher comte, au deuilêtes-vous donc en proie ? 6+6 a
35 Quand je vous ai quitté,votre unique souci 6+6 b
C'était de voir régnertous les plaisirs ici. 6+6 b
Vous voilà tout pensif.
— Tu te trompes peut-être. 6+6 a
— Non, je vous aime troppour ne pas m'y conntre. 6+6 a
Mais insister seraitsans doute m'exposer 6+6 b
40 A vous être importunJe vais me reposer 6+6 b
Dans ma chambre ; à dînernous serons tous ensemble. » 6+6 a
 Il s'éloigne, laissantla comtesse qui tremble ; 6+6 a
Bientôt il reviendrala rejoindre au salon ; 6+6 b
Elle l'a deviné.— Mais que le temps est long 6+6 b
45 Lorsque de son maintienil faut faire l'étude ! 6+6 a
Enfin le général,suivant son habitude, 6+6 a
Monte à cheval et vase promener au loin. 6+6 b
Paul descend aussitôt.Ils étaient sans témoin 6+6 b
Et pouvaient échangerleur triste,confidence ; 6+6 a
50 Car le chagrin profondveut son indépendance. 6+6 a
Devant l'indifférentqui pourrait les troubler, 6+6 b
Les pleurs, signe de deuil,n'aiment pas à couler. 6+6 b
 « — Eh bien ! dit Amélie.
Eh bien !… ayez, Madame, 6+6 a
L'unique souvenirde vos devoirs de femme. 6+6 a
55 Rejetez à jamaisdu fond de votre cœur 6+6 b
L'indigne sentimentqui le tenait vainqueur ; 6+6 b
Soyez toute à celuiqui, sur votre promesse, 6+6 a
Avait de ses vieux ansranimé l'allégresse, 6+6 a
Et qui de son honneur,sur ce serment pieux, 6+6 b
60 Avait mis en vos mainsle dépôt précieux. 6+6 b
Vivez pour lui, par lui ;que chaque jour s'attache 6+6 a
A réparer la faute,à laver cette tache. 6+6 a
— Oui, oui, je le ferai.Mais enfin dites donc 6+6 b
Oh ! vous aimez encor,même après l'abandon, 6+6 b
65 Après la perfidie !et vous voulez conntre 6+6 a
Comment le ciel vengeurfait justice d'un trtre. 6+6 a
Il est mort ! !
— Oui, Madame.
Il est mort !… Il est mort ! ! 6+6 b
— Le bon droit, cette fois,fut le droit du plus fort. 6+6 b
Faut-il le répéter :que pas un seul vestige 6+6 a
70 Ne reste de ce tempsde trouble et de vertige. 6+6 a
Ainsi ne laissez plusdans votre souvenir 6+6 b
Place à des sentimentsqui purent vous ternir ; 6+6 b
Rejetez à jamaisla fatale pensée 6+6 a
De cet enivrement vous fûtes bercée. 6+6 a
75 Qu'en voyant votre frontpur et rasséréné 6+6 b
De l'ancienne auréoleencore environné, 6+6 b
Je me dise : La paixà son âme est rendue 6+6 a
Et la grâce de Dieusur elle est descendue. 6+6 a
Redevenez vous-même,et les anges du ciel 6+6 b
80 Obtiendront le pardonprès du juge éternel. 6+6 b
Oh ! que le repentir,en vous rendant sublime, 6+6 a
Vous fasse, s'il se peut,plus grande après le crime. 6+6 a
Le seul regret permisn'est que dans le remord ; 6+6 b
Votre époux est vivantsi votre amant est mort. 6+6 b
85 Vous n'avez pas le droitde verser une larme : 6+6 a
Car il est des douleursdont la pudeur s'alarme. 6+6 a
Je n'ajoute qu'un mot :vous pouvez réparer 6+6 b
Le délire fatalqui vint vous enivrer. 6+6 b
Mais pour que vous puissieztenir la tête haute, 6+6 a
90 A force de vertusoubliez votre faute. 6+6 a
— Oui, oui, mon bon FirminOui, vous avez raison 6+6 b
Je… ne… veux… Que je souffre !»
En effet, le frisson 6+6 b
Parcourait tout son corps ;une pâleur mortelle 6+6 a
Avait couvert ses traits.Firmin s'approchant d'elle 6+6 a
95 La reçut chancelante,et sur un canapé 6+6 b
Déposa son beau corpspar la douleur frappé, 6+6 b
Puis sonna vivement.Une femme de chambre 6+6 a
Accourut ; on portala comtesse en sa chambre ; 6+6 a
Elle avait le délire,une fièvre de feu. 6+6 b
Comment se procurerun médecin ?…
100 « — Mon Dieu ! 6+6 b
Dit Firmin, des valetsla lenteur est extrême. 6+6 a
Qu'on me selle un cheval !… Je vais courir moi-même 6+6 a
A la ville voisine.
« Il part comme le vent. 6+6 b
Sa pensée inquièteest encore en avant 6+6 b
105 Et lui fait entrevoir,dans un avenir sombre, 6+6 a
Un cortége de mauxsans mesure et sans nombre. 6+6 a
Il s'accuse d'avoirété cruel et dur : 6+6 b
« Pourtant j'ai combattupour un principe pur : 6+6 b
J'ai rempli mon devoir ;et, craignant sa folie, 6+6 a
110 Moi-même j'ai brûléles lettres d'Amélie. 6+6 a
Se peut-il que chez elleil subsiste un regret ? 6+6 b
S'il était vrai, mon cœur,je crois, la haïrait. 6+6 b
Non, c'est l'émotion,ce flambeau qui dévore 6+6 a
Si ce n'est pas pour moiqui la chéris encore 6+6 a
115 Et qui dois à jamaisla quitter tôt ou tard, 6+6 b
Mon Dieu ! conservez-lapour ce pauvre vieillard ; 6+6 b
Car de la pâle mort,qui lui prendrait sa joie, 6+6 a
Lui le pauvre vieillardil deviendrait la proie ; » 6+6 a
 Et pressant son chevaldu fouet, de l'éperon, 6+6 b
120 Il dévorait l'espaceainsi qu'un tourbillon. 6+6 b
 Pendant ce temps le comte,au chevet de sa femme, 6+6 a
Suivait, morne et pensif,les ravages de l'âme. 6+6 a
Le vieillard se taisait ;mais un œil attentif 6+6 b
Parfois l't vu froisser,d'un geste convulsif, 6+6 b
125 Un papier qu'il tenaitcaché sur sa poitrine. 6+6 a
D'un feu sombre parfoisson regard s'illumine ; 6+6 a
Il jette quelques motssans suite ; l'on croirait 6+6 b
Que ces vagues discoursrenferment un secret. 6+6 b
Parfois même il sourit ;mais le froid de la tombe 6+6 a
130 Sur son front qui se plisseet sur sa lèvre tombe 6+6 a
A la triste maladeil semble s'attacher, 6+6 b
Comme un ange de mortvenu pour la chercher. 6+6 b
 Cependant Amélieétait dans le délire. 6+6 a
Sur ses traits le vieillardcontinuait de lire ; 6+6 a
135 Et plus elle jetaitde soupirs et de cris, 6+6 b
Plus il avait de deuilen ses yeux assombris. 6+6 b
Les serviteurs allaient,venaient, couraient sans ordre ; 6+6 a
Le château n'offrait plusque l'aspect du. désordre ; 6+6 a
On pleurait, on parlaità voix basse, et surtout 6+6 b
On appelait Firmin
140 Paul apparut au bout 6+6 b
De la grande avenue,épuisé, sans haleine ; 6+6 a
Son cheval qu'il foaitse soutenait à peine 6+6 a
Le docteur du paysvenait à quelques pas. 6+6 b
Ils entrèrent tous deux,mornes et parlant bas. 6+6 b
145  La comtesse, tantôtabattue et tremblante, 6+6 a
Tantôt dans le transportde la fièvre brûlante, 6+6 a
Murmurait quelques motsdont le sens était clair. 6+6 b
Firmin sentit passerune sorte d'éclair 6+6 b
Entre l'esprit du comteet le sien.
« — Pauvre femme, 6+6 a
150 La douleur a vaincula raison dans ton âme, 6+6 a
Se dit-il, tu te perds…et tu perds avec toi 6+6 b
Celui qui ne peut plusse fier à ta foi. 6+6 b
Pauvre enfant ! »
Le docteurécrivit l'ordonnance. 6+6 a
« Des soins intelligents,du calme, du silence 6+6 a
155 Abattront cette fièvreet vaincront le danger ; 6+6 b
Car, tout grave qu'il est,ce mal est passager : 6+6 b
Quelque altérationl'aura produit sans doute. » 6+6 a
« — Arthur… Dieu nous a vus…Oh ! prends bien gardeécoute 6+6 a
Le monde est sans pitiépour un coupable amour ; 6+6 b
160 Cachons-nous dans la nuit…Je rougis dans le jour… 6+6 b
Trahison !… trahison !… chassez la courtisane !… 6+6 a
Tu peux m'abandonner,car le ciel me condamne. » 6+6 a
La comtesse jetaces mots, puis s'affaissa ; 6+6 b
Sur ses yeux par degrésle sommeil se glissa. 6+6 b
L'on sortit doucement.
165 « — Le sommeil c'est la vie, » 6+6 a
Dit le docteur.
Firminaurait eu grande envie 6+6 a
De fuir le général ;celui-ci le retint 6+6 b
Par le bras, le menadans le parc, et lui tint 6+6 b
Ce pénible discours,écho de sa souffrance : 6+6 a
170 « — Mon Paul, j'ai mis en toitoute ma confiance. 6+6 a
Enfant, tu n'avais pascette frivolité 6+6 b
Dont on fait un beau masqueà la perversité. 6+6 b
Ton âme généreuse,ouverte, sans nuage, 6+6 a
De ton excellent pèreoffrait l'exacte image. 6+6 a
175 Je t'ai toujours aimé :c'est donc à ton honneur 6+6 b
Que je vais confierma honte, mon malheur. 6+6 b
Il me faut devant toirougir dans ma vieillesse 6+6 a
Et montrer à la foisma fureur, ma faiblesse. 6+6 a
Je suis déshonoré,Paul.
— Vous !
En doutes-tu ?… 6+6 b
180 Un démon est venucorrompre la vertu. 6+6 b
L'infâme m'a ravi,sous des dehors modestes, 6+6 a
Un bien que je mettaisparmi les biens célestes. 6+6 a
Amélie a rompunotre lien sacré 6+6 b
Je suis déshonoré !je suis déshonoré ! 6+6 b
185 — Mon digne ami, mon père,oh ! gardez-vous d'admettre 6+6 a
— Tiens, si tu ne veux pasme croire, cette lettre 6+6 a
Prouvera qu'Amélie,en son fiévreux transport, 6+6 b
À trahi le secretqui brise notre sort. 6+6 b
Oh ! je voulais douterJ'appelais calomnie 6+6 a
190 Le poison distillépar un vil Zacharie ; 6+6 a
Un juif, dont autrefoisle père m'a volé 6+6 b
Mais le secret fatals'est pour moi dévoilé. 6+6 b
Là fièvre disait vraiLis, Firmin, lis toi-même, 6+6 a
Et vois comme le juifme jette l'anathème ! » 6+6 a
195  Le jeune homme en tremblantlut ces mots outrageants : 6+6 b
 «Comte, vous avez enjadis, parmi vos gens 6+6 b
« L'homme de qui je tienset mon nom et ma vie, 6+6 a
« Zacharie Alfernès.— Par une basse envie 6+6 a
« On l'accusa d'avoirdilapidé vos biens ; 6+6 b
200 « Car toujours sur le juiffrapperont les chrétiens. 6+6 b
« C'était, quoi qu'on ait dit,un intendant honnête. 6+6 a
« Vous vîntes furieux…il demandait l'enquête, 6+6 a
« Mais vous jeune, bouillant,vous officier sabreur, 6+6 b
« Sans daigner écouterle pauvre serviteur, 6+6 b
205 « Vous le fîtes jeter,par une nuit d'orage, 6+6 a
« Hors de votre château.Non contents de l'outrage, 6+6 a
« A grands coups de bâtonvos gens sur le chemin 6+6 b
« Le chassèrent… Mon pèreen est mort de chagrin !… 6+6 b
« Avec son souvenirmon cœur, d'intelligence, 6+6 a
210 « Garda, comme un trésor,l'espoir de la vengeance. 6+6 a
« J'ai nourri, caressé,réchauffé cet espoir. 6+6 b
« Je vous voyais de loinVous ne pouviez me voir… 6+6 b
« Car je suis un insecteinapeu dans l'herbe 6+6 a
« Mais l'insecte parfoismord le lion superbe. 6+6 a
215 « J'attendais le hasarda secondé mes vœux 6+6 b
« En me vengeant de vousautant que je le veux. 6+6 b
« Un homme s'est glissé,comme unune bête fauve, 6+6 a
« Pour prendre votre femme,au sein de votre alcôve. 6+6 a
« Cet homme est jeune, beau,séduisant, plein d'ardeur, 6+6 b
220 « Intrépide, sautantà pieds joints sur l'honneur. 6+6 b
« Cet homme s'est jouéde votre humeur crédule ; 6+6 a
« Cet homme a fait de vousun époux ridicule 6+6 a
« Pour qu'à son aise il pûtse pavaner chez vous, 6+6 b
« Il a reçu de moitrois mille francs. — L'époux 6+6 b
225 « Payait les intérêts,et je crois que la femme 6+6 a
« A remboursé les fraisde cette belle flamme. 6+6 a
« Mon père est bien vengé ;je puis mourir content. 6+6 b
« Et vous, notre oppresseur,en diriez-vous autant ? 6+6 b
« Adieu, comte, je pars.Le monde est la patrie 6+6 a
« Des Juifs ; n'essayez pasd'y trouver
230 «ZACHARIE. » 6+6 a
 A peine Paul Firminavait-il achevé 6+6 b
De lire cet écritque, le cœur soulevé 6+6 b
De dégt, il broyale papier qu'un reptile 6+6 a
Avait,comme à plaisir,maculé de sa bile ; 6+6 a
235 Il reprit les morceauxpour les briser encor. 6+6 b
 Alors à son courrouxdonnant un libre essor : 6+6 b
« — Eh bien ! lui dit le comte,il est sans doute infâme ; 6+6 a
Mais les aveux sortisdes lèvres de ma femme 6+6 a
Ne me permettent pasde douter… Cet Arthur 6+6 b
240 A détruit mon bonheur,et l'opprobre est bien sûr … 6+6 b
Reste au château… je veuxpartir, je veux…
— Qu'entends-je ! 6+6 a
Vous partir !
— Songe doncqu'il faut que je me venge. 6+6 a
A votre âge ! courirles hasards d'un combat ! 6+6 b
— Va, si près du tombeausans crainte l'on se bat. 6+6 b
245 D'ailleurs, j'éprouve làtant de douleur, de rage, 6+6 a
Que je ne ressens plusles glaces de mon âge. 6+6 a
Du sang ! je veux du sang,pour mon honneur flétri ! 6+6 b
Tout le sang de l'amantpour, les pleurs du mari !… 6+6 b
Peut-être chacun ritcomme ce juif immonde : 6+6 a
250 L'éclat de ma fureurétonnera le monde. 6+6 a
Malheur à ce baronau crime habitué ! 6+6 b
Il faut que je le tueAdieu.
— Je l'ai tué. 6+6 b
— Se peut-il ! tu m'as priscette suprême joie 6+6 a
Cet homme était à moi,cet homme était ma proie. 6+6 a
255 Oh ! je ne puis bénirton pieux dévment. » 6+6 b
 Et le comte s'enfuit,dans un égarement, 6+6 b
Dans un trouble si grand,si profond, si terrible, 6+6 a
Qu'il devint pour ses gensune ombre inaccessible, 6+6 a
Excepté pour Firminque rien ne rebutait, 6+6 b
260 Et dont l'attachementchaque jour s'augmentait. 6+6 b
Depuis que de la honteil supportait l'étreinte, 6+6 a
Le comte avait sentison existence éteinte ; 6+6 a
Cet homme ne vivaitque dans un sentiment, 6+6 b
Et son dernier amourétait un doux roman 6+6 b
265 Lui, fatigué des chocsd'une rude carrière, 6+6 a
Il avait retrouvédans son âme guerrière 6+6 a
Ce feu de la jeunesseet cette bonne foi 6+6 b
Qui font qu'en donnant touton voudrait tout pour soi. 6+6 b
Être si confiantet, se créant un culte, 6+6 a
270 Semer la loyautépour recueillir l'insulte ; 6+6 a
Avoir livré son nomsans tache pour le voir 6+6 b
Souillé pour un dandyqui se rit du devoir. 6+6 b
C'est un coup trop affreux,un coup mortel !… Le comte 6+6 a
t grandi sous le deuil,il pliait sous la honte, 6+6 a
275 Et dans son déshonneur,pourtant immérité, 6+6 b
Sentait s'anéantiret vie et dignité. 6+6 b
L'excès de ce chagrinqui lentement nous mine 6+6 a
 A ce noble vieillardpréparait la ruine. 6+6 a
Le comte se soutintlongtemps par un effort, 6+6 b
280 Jusqu'au dernier momentvoulant partre fort ; 6+6 b
Comme on voyait jadisdans les jeux de l'arène 6+6 a
L'athlète terrassé,se trnant avec peine, 6+6 a
Par un dernier salutqu'il faisait de la main 6+6 b
Embellir son trépaspour le peuple romain. 6+6 b
285  Le jour vint cependant,la coupe étant vidée, 6+6 a
le vieillard sentitqu'on mourait d'une idée. 6+6 a
Il prit le lit. La fièvreà son tour le minait, 6+6 b
Tandis que la comtesseau monde revenait : 6+6 b
Car la jeunesse étaitle sauveur d'Amélie, 6+6 a
290 Et la raison avaitsurmonté la folie. 6+6 a
Elle voulut revoir —ne fût-ce qu'une fois 6+6 b
— Son époux… Il frémità l'accent de sa voix, 6+6 b
Et se dressant terrible :
« — Osez-vous bien, Madame, 6+6 a
Montrer sur votre frontles souillures de l'âme ? 6+6 a
295 Sortez… Vous me tuezdeux fois… Sortez d'ici ! 6+6 b
Pour qui fut sans pitiéje serai sans merci. » 6+6 b
 La comtesse sortiten pleurs et consternée. 6+6 a
Paul Firmin était là ;car toute sa journée 6+6 a
Se passait près du comte,et jamais infirmier 6+6 b
300 Ne sut aux moribondsse vouer plus entier. 6+6 b
Le jeune homme approchasa chaise, et d'un ton grave : 6+6 a
« — Quoi ! du ressentimentêtes-vous donc l'esclave, 6+6 a
Dit-il, et gardez-vousau fond de votre cœur 6+6 b
A travers la souffranceune implacable ardeur ? 6+6 b
305 Un moment vient l'hommeavec calme mesure 6+6 a
Ses biens et ses malheurs,sa joie et sa blessure, 6+6 a
Et voit comme il faut peuse fier ici-bas 6+6 b
Au fantôme trompeurqui nous tendait ses bras. 6+6 b
Quand s'entr'ouvre le ciel,séjour rien n'altère 6+6 a
310 Notre félicité,que petite est la terre ! 6+6 a
Les intérêts du jour,pleins de fragilité, 6+6 b
S'effacent tout à coupdevant l'éternité. 6+6 b
Je ne vous cache pas,à vous dont le courage 6+6 a
Trompa souvent la mortau milieu du carnage, 6+6 a
315 Je ne vous cache pasque vous serez bientôt 6+6 b
Aux pieds du Souverainqui nous juge là-haut : 6+6 b
Il vous demanderasi vous avez fait grâce. 6+6 a
Et comment pourriez-vousdésarmer sa menace, 6+6 a
Si vous n'aviez pas eudans le cœur ce pardon 6+6 b
320 Qui reste aux oppriméscomme un céleste don ? 6+6 b
Vous, juge sur la terre,imitez sa clémence ; 6+6 a
Pour le pécheur contritsa douceur est immense ; 6+6 a
Il envoya son Christ,il répandit son sang 6+6 b
A sa loi de pardonsoyez obéissant, 6+6 b
325 Afin qu'il vous accorde,en sa grâce éternelle, 6+6 a
Le prix de vos bienfaitspour l'âme criminelle. 6+6 a
On est grand par l'oubliplus que par le courroux, 6+6 b
Et le ressentimentdoit s'éteindre avec vous. » 6+6 b
 Le comte réfléchit ;— puis rouvrant sa paupière 6+6 a
330 Qui semblait s'affaissersous le poids de la pierre, 6+6 a
Il murmura ces mots :
« — Tu dictes mon devoir. 6+6 b
Qu'elle vienne, Firmin ;je consens à la voir. » 6+6 b
Firmin l'alla chercherdans la pièce voisine 6+6 a
Elle entra… Sa pâleur,son trouble se devine 6+6 a
335 Courbée aux pieds du lit,sans parler, en pleurant, 6+6 b
Elle attendait l'arrêtdes lèvres du mourant. 6+6 b
Et celui-ci sentaitsa force ranimée 6+6 a
Devant son AmélieIl l'avait tant aimée ! 6+6 a
 Voici ce qu'il lui dit :
« — Ne crains rien près de moi 6+6 b
340 Qui veux te pardonner ;car j'ai compris la loi 6+6 b
De douceur, par Dieu mêmeécrite en l'Évangile. 6+6 a
Et nous ne devons point,pour un bonheur fragile, 6+6 a
Pour des biens passagersconserver dans nos cœurs, 6+6 b
Créatures d'un jour,d'éternelles rigueurs. 6+6 b
345 Tu faisais mon orgueil,mais j'avais trop de joie ; 6+6 a
Et comme un lac trompeurnotre bonheur nous noie, 6+6 a
Quand nous nous livrons tropau charme décevant 6+6 b
De notre illusionqui fuit comme le vent. 6+6 b
Je te pardonne, ô toiqui gémis sur ta faute ; 6+6 a
350 Et tu pourras encortenir la tête haute : 6+6 a
Car nul ne devra pluste demander raison 6+6 b
De ton égarementet de ta trahison. 6+6 b
Ma bénédictionépurera ton âme. 6+6 a
Va donc, toi que j'aimais,Amélie, ô ma femme, 6+6 a
355 Dernier rêve, dernierenchantement pour moi ! 6+6 b
J'eus tort : aurais-je dûte sacrifier toi, 6+6 b
T'attacher, toi brillanteet belle de jeunesse, 6+6 a
A l'amour d'un épouxglacé par la vieillesse ? 6+6 a
L'harmonie est la loidu bonheur ici-bas. 6+6 b
360 La prudence parlait,je ne l' écoutai pas ; 6+6 b
A mes désirs livré,j'en savourai les charmes. 6+6 a
manque l'harmonie,un jour coulent les larmes. 6+6 a
Je m'accuse, je suiscoupable du malheur 6+6 b
Qui termine ma vieet ternit mon honneur. 6+6 b
365 Adieu !… Donne parfoisune bonne pensée 6+6 a
A l'époux qui n'est plus,à l'image effacée. 6+6 a
Garde mon souvenir,il te protégera, 6+6 b
Et, comme je l'ai fait,Dieu te pardonnera. » 6+6 b
 Il étendit les mainset bénit la comtesse. 6+6 a
370 Chaque moment venaitredoubler sa faiblesse. 6+6 a
Un regard d'Améliealla remercier 6+6 b
Firmin ; puis elle dit :
« — Pour me purifier 6+6 b
Il faut plus qu'un pardon,il faut la pénitence. 6+6 a
Votre bonté m'a faitentendre ma sentence ; 6+6 a
375 Et le ciel me prescritun devoir tout nouveau : 6+6 b
Je veux, je veux vivanteentrer en mon tombeau ; 6+6 b
Je veux, loin des plaisirs,loin des fêtes du monde, 6+6 a
Au sein d'une retraiteinconnue et profonde 6+6 a
Consacrer tous mes joursà soigner les souffrants, 6+6 b
380 Soutenir les vieillards,élever les enfants, 6+6 b
Sous la robe de bureaccomplir cette tâche 6+6 a
Et, Sœur de Charité,travailler sans relâche, 6+6 a
Pour que Firmin sur terreet vous auprès de Dieu 6+6 b
Vous puissiez m'estimer.
— Mon Amélie, adieu ! 6+6 b
385 Viens, Paul, ô mon ami,viens toi qui fus ma femme, 6+6 a
Je vous bénis… Mon Dieu,mon Dieu, reçois mon âme ! » 6+6 a
 Le lendemain, la clocheaux tristes tintements 6+6 b
Portait au loin l'échode ses gémissements. 6+6 b
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