Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DRX_2/DRX46
Léon DIERX
LES LÈVRES CLOSES
1867
LES YEUX DE NYSSIA
Je suivais dans les bois | la fille aux cils soyeux. 6+6 a
Non loin d'un petit lac | dormant nous nous assîmes ; 6+6 b
Tout se taisait dans l'herbe | et sous les hautes cimes. 6+6 b
Nyssia regardait | le lac silencieux ; 6+6 a
5 Moi, le fond de ses yeux. 6 a
— « Sources claires des bois ! | Dit Nyssia ; fontaines 6+6 a
Où le regard profond | sous l'onde va plongeant ! 6+6 b
Tranquillité du ciel | sous la moire d'argent, 6+6 b
Où tremblent d'autres joncs | aux luisantes antennes, 6+6 a
10 Et des branches lointaines ! » 6 a
— Je disais : « larges yeux | de la femme ! ô clartés 6+6 a
Où l'amour entrevoit | un ciel insaisissable ! 6+6 b
Ô regards qui roulez | aux bords des cils un sable 6+6 b
Fait de nacre, d'azur | et d'or ! Sérénités 6+6 a
15 Des yeux diamantés ! » 6 a
— Nyssia dit : « là-bas, | ce bassin solitaire 6+6 a
Qui dort ainsi sans ride | au fond du bois, vraiment, 6+6 b
Semble avoir la puissance | étrange de l'aimant. 6+6 b
Autour de lui, regarde, | un brouillard délétère 6+6 a
20 Plane comme un mystère. » 6 a
— Je répondis : « tes yeux, | Nyssia, tes yeux clairs, 6+6 a
Ces yeux que mon soupir | sans les troubler traverse, 6+6 b
Fascinent par l'attrait | de leur langueur perverse. 6+6 b
Un magique pouvoir | aiguise leurs éclairs 6+6 a
25 Qui filtrent dans mes chairs. » 6 a
— « Vois, disait Nyssia, | l'étonnante apparence 6+6 a
Qu'ont les plantes sous l'eau, | les plantes et les fleurs. 6+6 b
Comme tout se revêt | de féeriques couleurs ! 6+6 b
Sous ce lac enchanté | je sens qu'une attirance 6+6 a
30 Vit dans sa transparence. » 6 a
— « Dans tes yeux, lui disais-je, | ô Nyssia ! Je vois 6+6 a
Tous mes rêves, tous mes | pensers, toutes mes peines. 6−6 b
Rien qu'à les voir, mon sang | se tarit dans mes veines. 6+6 b
Souriants sous la nacre, | au fond de tes yeux froids 6+6 a
35 Ils vivent, je le crois. » 6 a
— « Suis sur tous ces reflets, | suis la molle paresse 6+6 a
D'une flamme émoussée | au fond d'un ciel plus doux. 6+6 b
Ces images de paix | qui s'allongent vers nous, 6+6 b
Les sens-tu nous verser | l'ineffable tendresse 6+6 a
40 De l'eau qui les caresse ? » 6 a
— « Nyssia, dans tes yeux | je contemple, charmé, 6+6 a
Tous mes désirs nageant | vers un azur plus tendre. 6+6 b
Tu regardes là-bas, | Nyssia, sans m'entendre ; 6+6 b
Mais mon âme revoit | son fantôme pâmé 6+6 a
45 Dans tes yeux enfermé. » 6 a
— « et pourtant, comme autour | du bassin, me dit-elle, 6+6 a
Tout est morne ! Partout, | vois, sur cette eau qui dort 6+6 b
Les arbres amaigris | se penchent ; tout est mort. 6+6 b
On dirait sur la rive | une sombre dentelle ; 6+6 a
50 Cette source est mortelle. » 6 a
— « Prunelles ! Chers écrins | aux limpides cristaux ! 6+6 a
Quand la frange de jais | de vos grands cils s'abaisse 6+6 b
Et sur la joue au loin | projette une ombre épaisse, 6+6 b
Je crois voir se fermer | sur mille Eldorados 6+6 a
55 De funèbres rideaux. » 6 a
— « Dans ces pâles gazons | où périt toute chose, 6+6 a
Tandis que leurs reflets | restent verts sous les eaux, 6+6 b
Vois ces tertres cachant | le long des noirs roseaux 6+6 b
Comme l'ancien secret | d'une métempsycose. 6+6 a
60 Là, sais-tu qui repose ? » 6 a
— « Autour de ta paupière, | à l'ombre de tes cils 6+6 a
Dont les reflets charmants, | derrière tes yeux calmes, 6+6 b
Caressent mes désirs | comme de douces palmes, 6+6 b
Ah ! Pour s'être enivrés | de philtres trop subtils, 6+6 a
65 Des rêves dorment-ils ? » 6 a
— « Les nymphes de ce bois | sont dans l'herbe enterrées, 6+6 a
Les nymphes dont toujours | palpite le reflet 6+6 b
S'éternisant sous l'eau | dans sa blancheur de lait, 6+6 b
Comme celui des fleurs | qu'elles ont admirées, 6+6 a
70 Par un charme attirées. » 6 a
— « Sous l'éternel éclat | de tes grands yeux polis, 6+6 a
Mille rêves pareils | au mien, mille pensées 6+6 b
Reluisent. Je crois voir | les flammes renversées 6+6 b
Des amours que les bords | de ces yeux sous leurs plis 6+6 a
75 Roulent ensevelis. » 6 a
— « Lentement ces reflets | ont tari toute sève, 6+6 a
Et tout revit sous l'eau | si tout meurt sur les bords. 6+6 b
Ces images ont pris | la vie à tous les corps, 6+6 b
Arbres, nymphes et fleurs, | qui penchés sur la grève 6+6 a
80 Ont contemplé leur rêve. » 6 a
— « Nyssia, que me fait | ce lac mystérieux 6+6 a
Dont tu parles ? Vers moi | tourne enfin tes prunelles ! 6+6 b
Je sens que tout mon être | absorbé passe en elles, 6+6 b
Et que mon âme entière | a plongé sous les cieux, 6+6 a
85 Nyssia, de tes yeux. » 6 a
Et Nyssia sourit : | « vis ou meurs, que m'importe ! 6+6 a
Dit-elle, maintenant | que tressaille à son tour 6+6 b
Dans mes yeux l'immortel | reflet de ton amour. 6+6 b
Oui, c'est vraiment ton âme, | au fond de cette eau morte, 6+6 a
90 Ton âme, que j'emporte ! » 6 a
Et l'eau se referma | sur elle ; un souffle erra 6+6 a
Longtemps au bord du lac, | le souffle de son rire. 6+6 b
Et moi, je vois au fond | mon reflet qui m'attire, 6+6 b
Et qui, lorsque ma vie | à la fin s'éteindra, 6+6 a
95 Sous l'eau me survivra. 6 a
mètre profils métriques : 6, 6−6
logo du CRISCO logo de l'université