Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DRX_2/DRX40
Léon DIERX
LES LÈVRES CLOSES
1867
LE RÊVE DE LA MORT
I
Un ange sur mon frontdéploya sa grande aile ; 6+6 a
Une ombre lentementdescendit vers mes yeux ; 6+6 b
Et sur chaque paupièreun doigt impérieux 6+6 b
Vint alourdir la nuitplus épaisse autour d'elle. 6+6 a
5 Un ange lentementdéploya sa grande aile, 6+6 a
Et sous ses doigts de plombs'enfoncèrent mes yeux. 6+6 b
Puis tout s'évanouit,douleur, efforts, mémoire ; 6+6 c
Et je sentais flotterma forme devant moi, 6+6 d
Et mes pensers de même,ou de honte ou de gloire, 6+6 c
10 S'échappaient de mon corpspêle-mêle, et sans loi. 6+6 d
II
Une forme flottait,qui semblait mon image. 6+6 a
L'ai-je suivie une heureou cent ans ? Je ne sais. 6+6 b
Mais j'ai gardé l'effroides lieux je passais. 6+6 b
La sueur me glaçade l'orteil au visage 6+6 a
15 Derrière cette forme vivait mon image. 6+6 a
Pendant combien de joursterrestres ? Je ne sais. 6+6 b
Mais sous des horizonstout d'encre ou tout de flamme, 6+6 c
Pour toujours je sentaisquelque chose en mon cœur 6+6 d
Voler vers cet éclatpour se perdre en sa trame, 6+6 c
20 Quelque chose de moiqui faisait ma vigueur. 6+6 d
III
Et voilà devant nousqu'une forêt géante 6+6 a
Brusquement balançadans l'espace embrasé 6+6 b
Son manteau par un sangvif et tiède arrosé. 6+6 b
Comme un rouge flocond'une neige brûlante, 6+6 a
25 Un âpre vent, du hautde la forêt géante 6+6 a
Jusqu'au sol par les feuxdu soleil embrasé, 6+6 b
Secouait chaque feuilleà travers les ramures. 6+6 c
Et de mon front aussichaque rêve tombait, 6+6 d
Et dans mon spectre, avecde très lointains murmures, 6+6 c
30 Chaque rêve tombéde mon front s'absorbait. 6+6 d
IV
Sur ma tête sifflaientde lugubres rafales ; 6+6 a
Et le gémissementsurhumain de ce bois 6+6 b
Semblait l'appel perdude millions de voix. 6+6 b
C'était le long sanglotdes morts, par intervalles, 6+6 a
35 Qui de tous les confinspassait dans ces rafales. 6+6 a
Un lac de sang luisaitau milieu de ce bois, 6+6 b
Épanché d'un soleilaux ondes écarlates. 6+6 c
Et mes anciens désirsruisselaient au dehors ; 6+6 d
Vers mon fantôme clair,avec leurs tristes dates, 6+6 c
40 Mes désirs ruisselaientet désertaient mon corps. 6+6 d
V
Et ce lac grandit, telqu'une mer sans rivage ; 6+6 a
Et ce globe penchésur l'horizon semblait 6+6 b
Un cœur énorme au loindardant son vif reflet. 6+6 b
C'était le vaste cœurdes peuples d'âge en âge, 6+6 a
45 Saignant sur cette merétrange et sans rivage. 6+6 a
Et ce qui s'écoulaitde cet astre semblait 6+6 b
Le sang, le propre sangde l'humanité morte ; 6+6 c
Et nous voguions tous deuxsur ce flot abhorré. 6+6 d
Mon image brillaitplus distincte et plus forte 6+6 c
50 Et j'y sentais partoutmon esprit aspiré. 6+6 d
VI
Sous la nappe sans bordde cette pourpre horrible 6+6 a
Le soleil s'éclipsad'un coup brusque, et le ciel 6+6 b
À sa place creusaitson azur solennel, 6+6 b
Par delà le regard,par delà l'invisible. 6+6 a
55 Et dans l'éther profond,sous cette pourpre horrible, 6+6 a
Des astres inconnuss'enfonçaient dans le ciel, 6+6 b
Toujours, toujours plus loin,au fond de l'insondable. 6+6 c
L'éclair de chacun d'euxm'emplissait comme un son ; 6+6 d
Et tous mes sens, vers l'êtreà mon reflet semblable, 6+6 c
60 Abandonnaient mon corpsdans un dernier frisson. 6+6 d
VII
Comme un épais rideaufait d'un velours rigide, 6+6 a
Montait derrière nousl'ombre du dernier soir ; 6+6 b
Le rouge de la merse fondait dans le noir ; 6+6 b
Maintenant rien de moin'allait plus vers mon guide ; 6+6 a
65 Et sur nous s'élevaitcomme un rideau rigide 6+6 a
Une éternelle nuitaprès le dernier soir. 6+6 b
Et là, tout près de moi,ce double de moi-même, 6+6 c
Qui me regardait, pleind'un dédain envieux, 6+6 d
C'était, je le compris,prête à l'adieu suprême, 6+6 c
70 Mon âme à tout jamaislibre sous les grands cieux. 6+6 d
VIII
Comme un glaive éclatanthors d'une affreuse gne, 6+6 a
Elle était là deboutavec son regard clair, 6+6 b
Dont je sentais l'acierpénétrer dans ma chair. 6+6 b
Elle était là visible,et désormais sans chne ; 6+6 a
75 Telle qu'un glaive nudebout près de sa gne, 6+6 a
Elle m'enveloppaitavec son regard clair. 6+6 b
Et tout me regardait,conscience, pensées, 6+6 c
Esprit, rêves, désirs,joie, espoirs et douleurs, 6+6 d
Qui reprenaient, au glasdes souffrances passées, 6+6 c
80 Leurs formes, leurs parfums,leurs sons et leurs couleurs. 6+6 d
IX
Et voilà cette foisqu'une arche de lumière, 6+6 a
Jusqu'au ciel, par-dessusles étoiles, d'un jet, 6+6 b
Près de nous, comme un pontsans limite émergeait, 6+6 b
Un chemin idéalfait d'astres en poussière. 6+6 a
85 Mon âme alors me dit :« cette arche de lumière 6+6 a
Qui traverse les cieuxrévélés d'un seul jet, 6+6 b
Sort du temps, et tout droitvers l'éternité mène. 6+6 c
Boue inerte, matière,ô corps ! Vieux ennemis, 6+6 d
Je vous repousse enfin,geôliers de l'âme humaine ; 6+6 c
90 Retournez par la mortdans le néant promis ! » 6+6 d
X
— « Reste ! Cria le corps,reste près de ton frère ! 6+6 a
— Faible et vil compagnon,je t'ai toujours haï. 6+6 b
— N'ai-je pas chaque jourà ton ordre obéi ? 6+6 b
— Tu mens, et ton désirétait au mien contraire. 6+6 a
95 — Reste, je me soumets,prends pitié de ton frère ! 6+6 a
— Meurs ! Tu me hais autantque, moi, je t'ai haï. 6+6 b
— Reste ! Je t'aimerai,ton départ m'épouvante. 6+6 c
— Mes remords sont tes fils,seule il m'en faut souffrir. 6+6 d
— Moi, j'ai souffert aussipar toi, sœur décevante. 6+6 c
100 — L'oubli gît dans la terre tes os vont pourrir. 6+6 d
XI
— « Qui me consoleradans le vide je sombre ? 6+6 a
En moi qui verserale repos et la paix ? 6+6 b
Oh ! Mourir ; ne plus voirle clair soleil jamais ! 6+6 b
Oh ! Revivre, et jamaisne s'endormir dans l'ombre ! 6+6 a
105 — Le froid terrible règneen ce vide je sombre ! 6+6 a
— L'infini qui m'étreintignore, hélas ! La paix ! 6+6 b
— La mort rit et m'attend !un ange aussi m'appelle ! 6+6 c
— Je maudis ton orgueil !et moi, ta lâcheté ! 6+6 d
Ah ! L'horreur du néantcrispe ma chair mortelle ! 6+6 c
110 Et moi, pleine d'horreur,j'entre en l'éternité ! » 6+6 d
XII
Un choc intérieurtraversa tout mon être. 6+6 a
Tout disparut. Mon corpsétait resté tout seul, 6+6 b
Et la nuit l'embrassade son épais linceul, 6+6 b
Nuit telle qu'un vivantn'en peut jamais conntre. 6+6 a
115 Un frisson glacialcourut dans tout mon être, 6+6 a
Et dans un puits sans fondje croyais choir tout seul. 6+6 b
L'angoisse de la chuteétait l'idée unique 6+6 c
Et nette survivanteencore en mon cerveau ; 6+6 d
Puis insensiblementla terreur tyrannique 6+6 c
120 S'enfuit pour me laisserjouir d'un sens nouveau. 6+6 d
XIII
La nuit filtrait en moi,frche comme un breuvage ; 6+6 a
Mes pores la buvaientdélicieusement ; 6+6 b
Je me sentais bercépar son enivrement ; 6+6 b
Et toujours j'approchaisdu ténébreux rivage 6+6 a
125 l'ombre dans les corpsfiltre comme un breuvage. 6+6 a
Le Léthé de la nuitdélicieusement 6+6 b
M'imprégnait d'un silenceineffable ; et la vie 6+6 c
Ne comprendra jamaisle silence et la nuit 6+6 d
Qui, de plus en plus douxpour la chair asservie, 6+6 c
130 Montaient comme le jour,croissaient comme le bruit. 6+6 d
XIV
Et maintenant au bordde l'érèbe immobile, 6+6 a
Sous l'œil démesuréd'un fixe et noir soleil, 6+6 b
Je reposais dissousdans l'éternel sommeil, 6+6 b
Fécondant sans effortsles vaisseaux de l'argile. 6+6 a
135 Toujours plus obscurcis,dans l'érèbe immobile 6+6 a
Tombaient les longs rayonsd'un fixe et noir soleil ; 6+6 b
Et je comptais sans fin,ainsi que des secondes, 6+6 c
Les siècles un par untombés des mornes cieux, 6+6 d
Les siècles morts tombésde l'amas des vieux mondes, 6+6 c
140 Tombés dans le néantnoir et silencieux. 6+6 d
mètre profil métrique : 6+6
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