Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DRX_2/DRX34
Léon DIERX
LES LÈVRES CLOSES
1867
DOLOROSA MATER
A Octave Mirbeau.
Quand le rêveur en proie | aux chagrins qu'il ravive, 6+6 a
Pour fuir l'homme et la vie, | et lui-même à la fois, 6+6 b
Rafraîchissant sa tempe | au bruit des cours d'eau vive, 6+6 a
S'en va par les prés verts, | par les monts, par les bois ; 6+6 b
5 Il refoule bien loin | la pensée ulcérée, 6+6 a
Cependant qu'un désir | de suprême repos 6+6 b
Profond comme le soir, | lent comme la marée, 6+6 a
L'assaille, et l'enveloppe, | et l'étreint jusqu'aux os. 6+6 b
Il aspire d'un trait | l'air de la solitude ; 6+6 a
10 Il se couche dans l'herbe | ainsi qu'en un cercueil, 6+6 b
Et lève ses regards | chargés de lassitude 6+6 a
Vers le ciel où s'éteint | l'éclair de son orgueil. 6+6 b
Il promène son rêve | engourdi dans l'espace, 6+6 a
Errant des pics aigus | aux cimes des forêts, 6+6 b
15 Suit l'oiseau, dont le vol | paisible les dépasse, 6+6 a
Et s'exhale en ce cri | plein de ses longs regrets : 6+6 b
— « Ô silence éternel ! | ô force aveugle et sourde ! 6+6 a
Rocs noirs, prêtres géants | de l'immobilité ! 6+6 b
Bois sombres dont s'allonge | au loin la masse lourde, 6+6 a
20 Geôliers qu'implore en vain | la vieille humanité ! 6+6 b
« C'est un levain fatal | qui fermente en nos veines ! 6+6 a
Le cœur trop ardemment | dans la poitrine bat. 6+6 b
Espoirs, doutes, amours, | désirs, passions vaines, 6+6 a
Tout meurtris de la lutte | et lassés du combat ! 6+6 b
25 « Tout ce qui fait, hélas ! | La vie et son supplice, 6+6 a
Nature, absorbe-le | dans ton sommeil divin ! 6+6 b
Que ta sérénité | souveraine m'emplisse ! 6+6 a
Disperse-moi, nature | insensible, en ton sein ! » 6+6 b
Il laisse alors couler | sa dernière amertume, 6+6 a
30 Les bras en croix dans l'herbe, | et prêt à s'endormir, 6+6 b
Comme un vaincu qui perd | tout son sang s'accoutume 6+6 a
À l'oubli dont la mort | commence à le couvrir. 6+6 b
Telle qu'un essaim fou | d'invisibles phalènes, 6+6 a
Son âme en voltigeant | s'éparpille dans l'air, 6+6 b
35 Plane sur les coteaux, | et descend dans les plaines, 6+6 a
Plonge dans l'ombre et brille | avec le rayon clair. 6+6 b
Elle est rocher, forêt, | torrent, fleur et nuage. 6+6 a
Tout à la fois vapeur, | parfum, bruit, mouvement, 6+6 b
Vibration confuse, | inerte bloc sauvage ; 6+6 a
40 Elle est fondue en toi, | nature, entièrement. 6+6 b
Mais partout elle voit | la vie universelle 6+6 a
Affluer, tressaillir | sous la forme ; elle entend, 6+6 b
Sous l'ombre ou sous la flamme | auguste qui ruisselle, 6+6 a
Le labeur continu | du globe palpitant. 6+6 b
45 Un principe énergique | entre les foins circule ; 6+6 a
Son corps nage au milieu | d'une molle clarté. 6+6 b
Dans la brume odorante | et dans le crépuscule, 6+6 a
Avec l'astre qui tombe | il se croit emporté. 6+6 b
La nuit fait resplendir | des globes innombrables. 6+6 a
50 Il sent rouler la terre, | et vers l'obscur destin 6+6 b
Il l'entend, par-dessus | nos clameurs misérables, 6+6 a
Elle-même pousser | un hurlement sans fin, 6+6 b
Qui s'élève, grandit, | et monte, et tourbillonne, 6+6 a
Fait de chants, de sanglots, | et d'appels incertains, 6+6 b
55 Et, dans l'abîme où l'œil | des vieux soleils rayonne, 6+6 a
Se mêle aux grandes voix | des univers lointains. 6+6 b
Ces mondes suspendus | à jamais dans le vide, 6+6 a
Il les voit tournoyer, | il les entend gémir ; 6+6 b
Il entre en leur pensée, | et sous sa chair livide 6+6 a
60 Sent le mortel frisson | de l'infini courir. 6+6 b
Il se dresse, enivré | d'un vertige effroyable 6+6 a
Sous cette angoisse immense, | et sous la vision 6+6 b
De la vie infligée, | ardente, impitoyable, 6+6 a
À l'amas effaré | des corps en fusion. 6+6 b
65 — Fausse silencieuse ! | ô nature ! ô vivante ! 6+6 a
Malheur à qui surprend | ta détresse ! éperdu, 6+6 b
Vers la ville il rapporte | et garde l'épouvante 6+6 a
Du soupir infernal | en ton sein entendu ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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