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| = césure
DRX_2/DRX32
Léon DIERX
LES LÈVRES CLOSES
1867
LES FILAOS
A Théodore De Banville.
Là-bas, au flanc d'un mont couronné par la brume, 6+6 a
Entre deux noirs ravins roulant leurs frais échos, 6+6 b
Sous l'ondulation de l'air chaud qui s'allume 6+6 a
Monte un bois toujours vert de sombres filaos. 6+6 b
5 Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables, 6+6 a
Là-bas, dressant d'un jet ses troncs roides et roux, 6+6 b
Cette étrange forêt aux douleurs ineffables 6+6 a
Pousse un gémissement lugubre, immense et doux. 6+6 b
Là-bas, bien loin d'ici, dans l'épaisseur de l'ombre, 6+6 a
10 Et tous pris d'un frisson extatique, à jamais, 6+6 b
Ces filaos songeurs croisent leurs nefs sans nombre, 6+6 a
Et dardent vers le ciel leurs flexibles sommets. 6+6 b
Le vent frémit sans cesse à travers leurs branchages, 6+6 a
Et prolonge en glissant sur leurs cheveux froissés, 6+6 b
15 Pareil au bruit lointain de la mer sur les plages, 6+6 a
Un chant grave et houleux dans les taillis bercés. 6+6 b
Des profondeurs du bois, des rampes sur la plaine, 6+6 a
Du matin jusqu'au soir, sans relâche, on entend 6+6 b
Sous la ramure frêle une sonore haleine, 6+6 a
20 Qui naît, accourt, s'emplit, se déroule et s'étend 6+6 b
Sourde ou retentissante, et d'arcade en arcade 6+6 a
Va se perdre aux confins noyés de brouillards froids, 6+6 b
Comme le bruit lointain de la mer dans la rade 6+6 a
S'allonge sous les nuits pleines de longs effrois. 6+6 b
25 Et derrière les fûts pointant leurs grêles branches 6+6 a
Au rebord de la gorge où pendent les mouffias, 6+6 b
Par place, on aperçoit, semés de taches blanches, 6+6 a
Sous les nappes de feu qui pétillent en bas, 6+6 b
Les champs jaunes et verts descendus aux rivages, 6+6 a
30 Puis l'océan qui brille et monte vers le ciel. 6+6 b
Nulle rumeur humaine à ces hauteurs sauvages 6+6 a
N'arrive. Et ce soupir, ce murmure immortel, 6+6 b
Pareil au bruit lointain de la mer sur les côtes, 6+6 a
Épand seul le respect et l'horreur à la fois 6+6 b
35 Dans l'air religieux des solitudes hautes. 6+6 a
C'est ton âme qui souffre, ô forêt ! C'est ta voix 6+6 b
Qui gémit sans repos dans ces mornes savanes. 6+6 a
Et dans l'effarement de ton propre secret, 6+6 b
Exhalant ton arome aux éthers diaphanes, 6+6 a
40 Sur l'homme, ou sur l'enfant vierge encor de regret, 6+6 b
Sur tous ses vils soucis, sur ses gaîtés naïves, 6+6 a
Tu fais chanter ton rêve, ô bois ! Et sur son front, 6+6 b
Pareil au bruit lointain de la mer sur les rives, 6+6 a
Plane ton froissement solennel et profond. 6+6 b
45 Bien des jours sont passés et perdus dans l'abîme 6+6 a
Où tombent tour à tour désir, joie, et sanglot ; 6+6 b
Bien des foyers éteints qu'aucun vent ne ranime, 6+6 a
Gisent ensevelis dans nos cœurs, sous le flot 6+6 b
Sans pitié ni reflux de la cendre fatale ; 6+6 a
50 Depuis qu'au vol joyeux de mes espoirs j'errais, 6+6 b
Ô bois éolien ! Sous ta voûte natale, 6+6 a
Seul, écoutant venir de tes obscurs retraits, 6+6 b
Pareille au bruit lointain de la mer sur les grèves, 6+6 a
Ta respiration onduleuse et sans fin. 6+6 b
55 Dans le sévère ennui de nos vanités brèves, 6+6 a
Fatidiques chanteurs au douloureux destin, 6+6 b
Vous épanchiez sur moi votre austère pensée ; 6+6 a
Et tu versais en moi, fils craintif et pieux, 6+6 b
Ta grande âme, ô nature ! éternelle offensée ! 6+6 a
60 Là-bas, bien loin d'ici, dans l'azur, près des cieux, 6+6 b
Vous bruissez toujours au revers des ravines ; 6+6 a
Et par delà les flots, du fond des jours brûlants, 6+6 b
Vous m'emplissez encor de vos plaintes divines, 6+6 a
Filaos chevelus, bercés de souffles lents ! 6+6 b
65 Et plus haut que les cris des villes périssables, 6+6 a
J'entends votre soupir immense et continu, 6+6 b
Pareil au bruit lointain de la mer sur les sables, 6+6 a
Qui passe sur ma tête et meurt dans l'inconnu ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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