Métrique en Ligne
DES_3/DES319
Marceline DESBORDES-VALMORE
BOUQUETS ET PRIÈRES
1843
MADEMOISELLE MARS
Quoi ! les Dieux s'en vont-ils, Madame ? et notre France 6+6 a
Verra-t-elle ce soir tomber sans espérance 6+6 a
Sur sa plus belle idole un éternel rideau, 6+6 b
Comme un voile jaloux sur un divin flambeau ? 6+6 b
5 Muse chaste ! au milieu de la foule idolâtre, 6+6 a
Qui dès l'aube, en silence, erre au pied du théâtre, 6+6 a
Vous voilà toute libre, ô Mars ! et vous parlez ; 6+6 b
Et votre voix vibrante, au fond des cœurs troublés, 6+6 b
Porte l'enchantement, l'attente, la mémoire, 6+6 a
10 Et tout, pour vous répondre, a crié : Gloire ! gloire ! 6+6 a
En vain — votre sourire, aux anges dévolu, 6+6 b
Vient de dire à la foule : Adieu ! je l'ai voulu. 6+6 b
Mais, voyez : cent beautés, plus belles de leurs larmes, 6+6 a
Ont détaché leurs fleurs pour arrêter vos charmes ; 6+6 a
15 Comme dans la prière, inclinant leur beau corps, 6+6 b
Leurs mains ont frappé l'air d'indicibles transports ; 6+6 b
Et tout ce que l'Europe enferme d'harmonie 6+6 a
Prête à ce dernier soir sa noblesse infinie ! 6+6 a
Tout pour vous enchaîner vous jette de l'amour, 6+6 b
20 Et vous avez reçu la Reine en votre cour ; 6+6 b
La Reine ! et sa bonté qui la fait mieux que reine, 6+6 a
Assistant au départ d'une autre souveraine, 6+6 a
Mêlant royalement à son adieu de fleurs 6+6 b
Les diamans mouillés de quelques tendres pleurs. 6+6 b
25 Et pas un cœur de femme en ce moment suprême 6+6 a
Qui ne dise : Mon Dieu ! qu'elle est heureuse ! on l'aime ! 6+6 a
Oui ! jusques à la haine, éblouie un moment, 6+6 b
N'a trouvé nul courage à son âpre tourment. 6+6 b
Tous, saluant de loin votre front qui rayonne, 6+6 a
30 Ont fait voler sur vous couronne sur couronne : 6+6 a
En avez-vous assez, Madame ! et verrons-nous 6+6 b
Devant plus de génie un grand peuple à genoux ? 6+6 b
Demain, de tant d'amour doucement apaisée, 6+6 a
Rêveuse, et sur vous-même un instant reposée, 6+6 a
35 Vous pourrez, rendant grâce au Dieu qui vous forma, 6+6 b
Vous écrier aussi : Vivre est doux ! on m'aima ! 6+6 b
Nous seuls avons l'effroi de votre solitude ; 6+6 a
Vous en avez d'avance enchanté l'habitude : 6+6 a
Beaucoup d'infortunés, que vous ne nommez pas, 6+6 b
40 Savent à quels réduits vous élevez vos pas. 6+6 b
De ce charme voilé Dieu seul sait le mystère ; 6+6 a
Vous n'en avez rien dit aux riches de la terre : 6+6 a
C'est l'à parte divin ! L'Église le saura, 6+6 b
Et du péché de plaire un jour vous absoudra. 6+6 b
45 Oui, tout ce que Dieu fit à la grâce accessible, 6+6 a
À l'amour incliné vous l'avez fait sensible. 6+6 a
Vive comme l'oiseau, jeune comme l'enfant, 6+6 b
Vous portez à la lèvre un rire triomphant : 6+6 b
On sent que le cœur bat vite 7 a
50 Sous ce corsage enchanteur ; 7 b
On sent que le Créateur 7 b
Avec amour y palpite ! 7 a
Vous feriez pleurer les cieux, 7 c
Quand votre âme souffre et plie ; 7 d
55 Et votre mélancolie 7 d
Désarmerait l'envieux. 7 c
Une musique enchantée, 7 a
Où vous passez, remplit l'air ; 7 b
Votre œil noir lance l'éclair, 7 b
60 Comme une flamme agitée : 7 a
Au bruit ailé de vos pas, 7 c
Les âmes deviennent folles ; 7 d
Et vos mains ont des paroles 7 d
Pour ceux qui n'entendent pas ! 7 c
65 C'est qu'à votre naissance où dansèrent les fées, 6+6 a
Ces donneuses de charme, à cette heure étouffées, 6+6 a
Chacune, d'un baiser, pénétra vos yeux clos, 6+6 b
Et mena le baptême au doux bruit des grelots. 6+6 b
Elles avaient rompu leur ban et maint obstacle, 6+6 a
70 Pour s'unir de puissance en un dernier miracle : 6+6 a
Sur l'enfant demi-nu leur essaim palpita, 6+6 b
Et dans votre âme ouverte, une d'elles chanta, 6+6 b
Ce chant que la terre 5 a
N'entend qu'une fois, 5 b
75 Ce brûlant mystère, 5 a
De brûlantes voix ; 5 b
Ce philtre suprême 5 c
Que rêve l'amant, 5 d
Qui fit vos cris même 5 c
80 Tous trempés d'aimant ! 5 d
C'est de là que vous vient le flot pur d'harmonie, 6+6 a
Organe transparent du cœur et du génie ; 6+6 a
C'est de là, dans vos pleurs, que des perles roulaient, 6+6 b
Et dans vos yeux profonds que des âmes parlaient ! 6+6 b
85 Vos marraines fuyaient, que vous dormiez encore 6+6 a
Au tumulte charmant de leur départ sonore ; 6+6 a
Et vous aviez rêvé, pour ne pas l'oublier, 6+6 b
Qu'aux arts un doux sabat venait de vous lier. 6+6 b
Mais votre ange gardien, vous couvant sous son aile, 6+6 a
90 Effrayé de ces dons pour votre âme éternelle, 6+6 a
Voilant votre front blanc, dans sa craintive ardeur, 6+6 b
L'imbiba pour toujours de divine pudeur ; 6+6 b
Et toujours, à travers l'impérissable voile, 6+6 a
Tout soir, à notre ciel, allumait votre étoile. 6+6 a
95 Qu'importe sous quel nom elle allait se montrer ? 6+6 b
Vous étiez la lumière, il fallait l'adorer ! 6+6 b
Mais quoi ! les dieux s'en vont, Madame, et notre France, 6+6 a
Pour la première fois a vu sans espérance 6+6 a
Se refermer le temple où l'astre se voila, 6+6 b
100 Où tout dira longtemps : « Silence, elle était là ! » 6+6 b
mètre profils métriques : 7, 5, 6+6
forme globale type : suite de strophes et distiques
schéma : 7(aabb) 24((aa)) 2(abbacddc) 1(ababcdcd)
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