Métrique en Ligne
DES_3/DES295
Marceline DESBORDES-VALMORE
BOUQUETS ET PRIÈRES
1843
ROUEN
À MES SŒURS
Dans la ville tout églises, 7
Où je descends quelquefois, 7
Où devant le seuil assises, 7
Les femmes lèvent leurs voix ; 7
5 Dans cette ville où bourdonne, 7
Toute idée allant aux cieux, 7
Où les yeux d'une madone, 7
À tous coins cherchent vos yeux : 7
Il est une étroite porte, 7
10 Palais de mes ans passés, 7
Où le même amour emporte, 7
Mon âme et mes pieds lassés, 7
Chez mes sœurs ! séjour crédule, 7
Où l'air est encor si pur ; 7
15 Où Dieu gardait la cellule, 7
Quand j'écoutais la pendule, 7
Qui vit et bat sur le mur. 7
Là, comme la sainte femme 7
Ouvre au pauvre son verger, 7
20 Mes sœurs ont toujours dans l'âme 7
Un doux coin pour me loger ; 7
Pour rappeler de l'enfance 7
Les nuits qui chantaient tout bas ; 7
Pour me rendre après l'absence, 7
25 Le miroir de l'innocence 7
Que mes sœurs ne brisent pas. 7
Le long de l'étroite rue 7
Où tout est calme et pensant, 7
Faible étoile reparue, 7
30 Je regarde le passant ; 7
Puis, tout distrait, tout frivole, 7
Tout léger de souvenir, 7
L'enfant qui monte à l'école, 7
Chercher la douce parole, 7
35 Doux pain de son avenir ! 7
À Rouen, ville encensée 7
Par la prière et les flots, 7
S'ouvrirent de ma pensée 7
Les hymnes et les sanglots ; 7
40 Comme la brise inconnue 7
Chante à quelque vieux créneau, 7
Sur la grande église nue, 7
Qui met son front dans la nue, 7
Et lave ses pieds dans l'eau. 7
45 Mais, l'église de mon âme, 7
Où pleure un humble métal, 7
Reflète sa pure flamme, 7
Dans un long flot de cristal 7
Cette sainte au flanc percée, 7
50 Lavant ses humbles pavés, 7
Semble une mère empressée, 7
Sur ses enfans abaissée, 7
Qui dit : Puisez et buvez ! 7
C'est là que la cathédrale 7
55 Abreuve ses bénitiers ; 7
C'est l'éternelle lustrale 7
Sauvant les siècles entiers. 7
Tout meurt : la source est la même, 7
Dieu nourrit sa fraîche voix : 7
60 Aussi tout le peuple l'aime 7
Plus que le dôme suprême 7
Où se font sacrer les rois 7
Par un hiver dur et sombre, 7
J'ai cherché ses vieux autels, 7
65 Qui dans l'été font tant d'ombre 7
Aux fronts des pauvres mortels : 7
Là, pour mon âme exilée, 7
Couvait un nouvel affront ; 7
L'eau bénite était gelée, 7
70 Et je me suis en allée, 7
Sans désaltérer mon front. 7
À travers les brumes grises 7
Qui resserrent l'horizon, 7
Dans la ville tout églises 7
75 Où Corneille eut sa maison : 7
Parmi les fleurs, les fontaines, 7
Les clochers vibrans, les tours, 7
Les voilures toutes pleines 7
Des vents aux moites haleines, 7
80 Qui frôlent ses verts entours : 7
Dans ce pays aimé qui me fut trop barbare, 12
Donnez à mon image un coin rêveur et doux ; 12
J'ai bien assez pleuré l'arrêt qui nous sépare, 12
Pour que mon ombre au moins soit heureuse avec vous ! 12
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