LOUISE LABÉ |
Tant que mes yeux pourront larmes espandre
À l’heur passé avec toy regretter ;
Et qu’aux sanglots et soupirs résister,
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard lut, pour tes grâces chanter ;
Tant que l’esprit voudra se contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre ;
Je ne souhaitte encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentiray tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer sygne d’amante,
Priray la mort noircir mon plus cher jour.
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Louise Labé |
Quand vous lirez, ô dames lionnoises !
Les miens écrits pleins d’amoureuses noises ;
Quand mes regrets, ennuis, dépits et larmes,
M’orrez chanter en pitoyables carmes,
Ne veuillez point condamner ma simplesse,
Et jeune erreur de ma folle jeunesse,
Si c’est erreur !
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Quoi ! c’est là ton berceau, poétique Louise ! |
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Mélodieux enfant, fait d’amour et d’amour, |
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Et d’âme, et d’âme encore, et de mollesse exquise ; |
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Quoi ! c’est là que ta vie a pris l’air et le jour ! |
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Quoi ! les murs étouffants de cette étroite rue |
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Ont laissé, sans l’éteindre, éclore ta raison ? |
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Quoi ! c’est là qu’a brillé ta lampe disparue ? |
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La jeune perle ainsi colore sa prison ! |
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Où posais-tu tes pieds délicats et sensibles, |
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Sur le sol irrité que j’effleure en tremblant ? |
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Quel ange, aplanissant ces sentiers impossibles, |
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A soutenu ton vol sur leur pavé brûlant ? |
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Oh ! les cailloux aigus font chanceler la grâce ; |
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Ici l’enfance, lente et craintive à souffrir, |
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Pour s’élancer aux fleurs, pour en chercher la trace, |
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En sortant du berceau, n’apprend pas à courir. |
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Paresseuse, elle marche ; et sa timide joie |
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Ressemble au papillon sur l’épine arrêté, |
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Son aile s'y déchire avant qu'il ne la voie,
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À son instinct rôdeur il boude tout l’été. |
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As-tu vu ce radeau, longue et mouvante rue, |
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Qui s’enfuit sur le dos du fleuve voyageur ? |
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Osais-tu regarder, de mille ondes accrue, |
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Cette onde qui surgit comme un fléau vengeur ! |
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Non, ce n’est pas ainsi que je rêvais ta cage, |
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Fauvette à tête blonde, au chant libre et joyeux ; |
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Je suspendais ton aile à quelque frais bocage, |
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Plein d’encens et de jour aussi doux que tes yeux ! |
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Et le Rhône en colère, et la Saône dormante, |
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N’avaient point baptisé tes beaux jours tramés d’or ; |
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Dans un cercle de feu tourmentée et charmante, |
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J’ai cru qu’avec des fleurs tu décrivais ton sort, |
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Et que ton aile au vent n’était point arrêtée |
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Sous ces réseaux de fer aux rigides couleurs ; |
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Et que tu respirais la tristesse enchantée |
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Que la paix du désert imprime aux jeunes fleurs ; |
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Que tu livrais aux flots tes amoureuses larmes, |
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Miroir pur et profond qu’interrogeaient tes charmes ; |
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Et que tes vers émus, nés d’un frais souvenir, |
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S’en allaient sans efforts chanter dans l’avenir ! |
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Mais tu vivais d’une flamme |
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Raillée en ce froid séjour ; |
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Et tu pleurais de ton âme, |
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Ô Salamandre d’amour ! |
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Quand sur les feuilles parlantes |
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Que ton cœur sut embraser, |
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Tu laisses dans un baiser |
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Courir tes larmes brûlantes, |
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Ô Louise ! on croit voir l’éphémère éternel |
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Filer dans les parfums sa soyeuse industrie ; |
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Lorsque, tombé du ciel, son ardente patrie, |
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Il en retient dans l’ombre un rayon paternel ; |
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Fiévreux, loin du soleil, l’insecte se consume ; |
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D’un fil d’or sur lui-même ourdissant la beauté, |
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Inaperçu dans l’arbre où le vent l’a jeté, |
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Sous un linceul de feu son âme se rallume ! |
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Oui ! ce sublime atome est le rêve des arts ; |
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Oui ! les arts dédaignés meurent en chrysalides, |
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Quand la douce chaleur de caressants regards |
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Fait pousser par degrés leurs ailes invalides. |
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Telle, étonnée et triste au bord de son réveil, |
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Quelque jeune Louise, ignorant sa couronne, |
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N’ose encor révéler à l’air qui l’environne |
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Qu’une âme chante et pleure autour de son sommeil. |
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Car tu l’as dit : longtemps un silence invincible, |
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Étendu sur ta voix qui s’éveillait sensible, |
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Fit mourir dans ton sein des accents tout amour, |
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Que tu tremblais d’entendre et de livrer au jour. |
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Mais l’amour ! oh ! l’amour se venge d’être esclave. |
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Fièvre des jeunes cœurs, orage des beaux jours, |
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Qui consume la vie et la promet toujours, |
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Indompté sous les nœuds qui lui servent d’entrave, |
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Oh ! l’invisible amour circule dans les airs, |
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Dans les flots, dans les fleurs, dans les songes de l’âme, |
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Dans le jour qui languit trop chargé de sa flamme, |
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Et dans les nocturnes concerts ! |
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Et tu chantas l’amour ! ce fut ta destinée ; |
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Belle ! et femme ! et naïve, et du monde étonnée, |
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De la foule qui passe évitant la faveur, |
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Inclinant sur ton fleuve un front tendre et rêveur, |
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Louise ! tu chantas. À peine de l’enfance |
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Ta jeunesse hâtive eut perdu les liens, |
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L’amour te prit sans peur, sans débats, sans défense ; |
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Il fit tes jours, tes nuits, tes tourments et tes biens ! |
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Et toujours par ta chaîne au rivage attachée, |
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Comme une nymphe triste au milieu des roseaux, |
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Des roseaux à demi cachée, |
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Louise ! tu chantas dans les fleurs et les eaux. |
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De cette cité sourde, oh ! que l’âme est changée ! |
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Autrefois tu charmais l’oreille des pasteurs ; |
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Autrefois, en passant, d’humbles navigateurs |
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Suspendaient à ta voix la rame négligée, |
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Et recueillant dans l’air ton rire harmonieux, |
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Comme un écho fuyant on les entendait rire ; |
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Car sous tes doigts ingénieux, |
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Le luth ému disait tout ce qu’il voulait dire ! |
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Tout ce que tu voyais de beau dans l’univers, |
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N’est-ce pas comme au fond de quelque glace pure, |
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Coulait dans ta mémoire et s’y gravait en vers ? |
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Oui ! l’âme poétique est une chambre obscure |
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Où s’enferme le monde et ses aspects divers ! |
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