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Marceline DESBORDES-VALMORE
LES PLEURS
1830
À M. ALPHONSE DE LAMARTINE
Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent
et pleurez avec ceux qui pleurent.
Imitation de J.-C.
Dieu, dit l’Écriture, entend la fleur s’ouvrir,
et il distingue dans les bois le dernier souffle de
l’oiseau.
M. H. de Latouche. Lettre de Carlin.
Triste et morne sur le rivage 8
Où l’espoir oublia mes jours, 8
J’enviais à l’oiseau sauvage 8
Les cris qu’il pousse dans l’orage 8
5 Et que je renferme toujours ! 8
Et quand l’eau s’enfuyait, semée 8
De tant d’heures, de tant de mois, 8
Sous ma voile sombre et fermée, 8
D’une vie autrefois aimée 8
10 Je ne traînais plus que le poids ! 8
J’osais, au fond de ma misère, 8
Rêvant sous mes genoux pliés, 8
Sans haleine pour ma prière, 8
Murmurer à Dieu : « Dieu, mon père ! 8
15 Mon père ! vous nous oubliez ! 8
« Vous ne donnez repos ni trêve, 8
Ni calme à notre errant esquif 8
Tantôt échoué sur la grève, 8
Tantôt emporté comme un rêve, 8
20 Perdu dans l’orage ou captif ! 8
« Partout où le malheur l’égare, 8
Une mère a peur de mourir ; 8
J’ai peur : j’ose nommer barbare 8
Le destin mobile et bizarre 8
25 Qui fit mes enfants pour souffrir ! 8
« Qui prendra la rame affligée, 8
Quand la barque, sans mouvement, 8
De mon faible poids allégée, 8
Leur paraîtra vide, changée, 8
30 Et sur un plus morne élément ? 8
« Sans char, sans prêtre, au cimetière 8
Leur piété me conduira ; 8
Puis, d’un peu de buis ou de lierre, 8
Doux monument de sa prière, 8
35 Le plus tendre me couvrira !… » 8
Tout passe ! Et je vis disparaître 8
L’orage avec l’oiseau plongeur ; 8
Et sur mon étroite fenêtre 8
La lune qui venait de naître 8
40 Répandit sa douce blancheur. 8
J’étendis mes bras devant elle, 8
Comme pour atteindre un ami 8
Dont le pas vivant et fidèle 8
Tout à coup au cœur se révèle 8
45 Sur le seuil longtemps endormi. 8
Je ne sais quelle voix puissante 8
Retint mon souffle suspendu ; 8
Voix d’en haut, brise ravissante, 8
Qui me relevait languissante, 8
50 Comme si Dieu m’eût répondu ! 8
Mais par trop d’espoir affaiblie, 8
Et voilant mes pleurs sous ma main, 8
J’ai dit dans ma mélancolie : 8
« Lorsque tout m’ignore ou m’oublie, 8
55 Quel ange est donc sur mon chemin ? » 8
C’était vous ! J’entendis des ailes 8
Battre au milieu d’un ciel plus doux ; 8
Et sur le sentier d’étincelles 8
Que formaient d’ardentes parcelles, 8
60 L’ange qui venait, c’était vous ! 8
Oui, du haut de son vol sublime, 8
Lamartine jetait mon nom, 8
Comme d’une invisible cime, 8
À la barque, au bord de l’abîme, 8
65 Le ciel ému jette un rayon ! 8
Doux comme une voix qui pardonne, 8
Depuis que ton souffle a passé 8
Sur mon front pâle et sans couronne, 8
Une sainte pitié résonne 8
70 Autour de mon sort délaissé ! 8
Jamais, dans son errante alarme, 8
La Péri, pour porter aux cieux, 8
Ne puisa de plus humble larme 8
Que le pleur plein d’un triste charme 8
75 Dont tes chants ont mouillé mes yeux ! 8
Mais dans ces chants que ma mémoire 8
Et mon cœur s’apprennent tout bas, 8
Doux à lire, plus doux à croire, 8
Oh ! n’as-tu pas dit le mot gloire ? 8
80 Et ce mot, je ne l’entends pas. 8
Car je suis une faible femme ; 8
Je n’ai su qu’aimer et souffrir ; 8
Ma pauvre lyre, c’est mon âme, 8
Et toi seul découvres la flamme 8
85 D’une lampe qui va mourir. 8
Devant tes hymnes de poète, 8
D’ange, hélas ! et d’homme à la fois, 8
Cette lyre inculte, incomplète, 8
Longtemps détendue et muette, 8
90 Ose à peine prendre une voix. 8
Je suis l’indigente glaneuse 8
Qui d’un peu d’épis oubliés 8
A paré sa gerbe épineuse, 8
Quand ta charité lumineuse 8
95 Verse du blé pur âmes pieds. 8
Oui ! toi seul auras dit : — Vit-elle ? — 8
Tant mon nom est mort avant moi ! 8
Et sur ma tombe, l’hirondelle 8
Frappera seule d’un coup d’aile 8
100 L’air harmonieux comme toi. 8
Mais toi ! dont la gloire est entière 8
Sous sa belle égide de fleurs, 8
Poète ! au bord de ta paupière, 8
Dis vrai, sa puissante lumière 8
105 A-t-elle arrêté bien des pleurs ? 8
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