Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_2/DES212
Marceline DESBORDES-VALMORE
LES PLEURS
1830
LES MOTS TRISTES
Quoi ! je mourrai ! Quoi ! le temps à sa suite
Amènera l’irrévocable jour,
Le jour muet et sombre, où sans retour
S’arrêtera ce cœur qui bat si vite !
Madame Amable Tastu.
Souvent toute plongée | au fond de ma tendresse, 6+6 a
Expiant, Dieu ]e veut ! | le nom de ta maîtresse, 6+6 a
Je pense que je souffre | (aimer tant, c’est souffrir), 6+6 a
Qu’un jour je t’ai vu pâle, | et que l’on peut mourir 6+6 a
5 Jeune, entends-tu ? Je meurs | pour mourir la première, 6+6 a
Pour braver avant toi | la nuit ou la lumière. 6+6 a
J’entends des mots affreux | tinter autour de moi, 6+6 a
Ces mots que dans l’enfance | on apprend sans les croire, 6+6 b
Roulant, sans la troubler, | au fond de la mémoire, 6+6 b
10 Inécoutés longtemps, | longtemps vides d’effroi, 6+6 a
Tout à coup pleins d’accents, | pleins de deuil, pleins de larmes, 6+6 a
Bondissant sur le cœur | comme un tocsin d’alarmes. 6+6 a
C’est la cloche effrayée | au cri sinistre et prompt, 6+6 a
Dont le pouls bat rapide | et fiévreux dans l’espace, 6+6 b
15 Redoublant son frisson | avec la mort qui passe ; 6+6 b
De pâleur et de crainte | elle cerne mon front ; 6+6 a
Sous mes cheveux levés | une eau froide circule : 6+6 a
Ah ! ne t’étonne pas. | J’aime ! je suis crédule ; 6+6 a
Ou plutôt j’ai des yeux | qui plongent sous les fleurs ; 6+6 a
20 Au fond de nos baisers | je sens rouler des pleurs. 6+6 a
L’avenir sonne ; arrête ! | Oh ! que nous marchons vite ! 6+6 a
Qu’une heure a peu de poids | sur un cœur qui palpite ! 6+6 a
Ne peut-on lentement | respirer le bonheur, 6+6 a
Vivre sans éveiller | le temps et le malheur ? 6+6 a
25 Embrasse-moi : plus près | de ta moitié qui tremble, 6+6 a
Laisse passer la vie ; | elle nous aime ensemble ! 6+6 a
Quand tu m’as dit adieu, | je me donne à rêver, 6+6 a
Et les mots qui font peur | reviennent me trouver : 6+6 a
Ils disent que l’on meurt | en sortant d’une fête, 6+6 a
30 Et je t’y vois courir, | et je cache ma tête, 6+6 a
Et leurs sons plus aigus | sifflent entre mes doigts : 6+6 a
« On meurt ! on meurt ! on meurt ! | on se quitte une fois ! » 6+6 a
Puis ton nom !… Ah ! ce nom | m’éveille, il me rassure ; 6+6 a
Ton baiser presse encor | mes lèvres, j’en suis sûre ! 6+6 a
35 Et je m’appelle folle | en me sentant frémir. 6+6 a
Vois ! qu’un portrait de toi | serait doux sous mes larmes. 6+6 b
Et je n’ai que ton nom ! | ton nom ! pas d’autres armes ! 6+6 b
Si je chantais, ma voix | sortirait pour gémir ; 6+6 a
À mon âme qui pense | elle reste attachée ; 6+6 a
40 Dans mes pâles tourments | je demeure cachée : 6+6 a
Alors je rêve un monde | où dureront toujours 6+6 a
Les caresses du cœur | et les libres amours. 6+6 a
Prends mes ailes, viens ! viens | où jamais la pensée 6+6 a
N’est un poignard armé | contre une âme oppressée. 6+6 a
45 Songes-y ! plus d’absence, | et personne entre nous. 6+6 a
Là, nos trames d’amour | n’ont plus de nœuds jaloux : 6+6 a
Là, jamais un fil noir | ne traverse la joie 6+6 a
Des fuseaux toujours pleins | d’or et de pure soie ! 6+6 a
Avant de t’avoir vu, | devines-tu comment 6+6 a
50 J’entrevoyais du ciel | le vague enchantement ? 6+6 a
Je regardais toujours, | comme à travers un voile 6+6 a
On s’amuse à chercher | la forme d’une étoile. 6+6 a
Sous l’immense rideau | je ne pouvais saisir 6+6 a
Que des objets sans traits | pour mes yeux sans désir. 6+6 a
55 Trop faible à m’élancer | au delà de mon être, 6+6 a
Je rentrais dans ma vie, | en te cherchant peut-être ; 6+6 a
Car, toujours comme toi | brûlante avec langueur, 6+6 a
Sans t’avoir vu des yeux, | je te cherchais du cœur ! 6+6 a
Et je disais le soir | aux vives étincelles 6+6 a
60 Qui dans l’ombre éclairaient | mes doutes à genoux : 6+6 b
« Dieu jette-t-il aux nuits | de si douces parcelles, 6+6 a
Pour écrire son nom | entre le ciel et nous ? » 6+6 b
Et je rêvais le bruit | de feuilles immortelles 6+6 a
Qui ne s’envolent plus | sous l’haleine de l’air, 6+6 b
65 Sans nuit, sans froid, sans peur | d’expier par l’hiver 6+6 b
De longs jours transparents | comme les cœurs fidèles. 6+6 a
Et puis, en frissonnant, | j’osais rêver encor 6+6 a
Je ne sais quel appui | qui manquait à mon sort ! 6+6 a
Là, du moins, je voyais | les pauvres sans alarmes, 6+6 a
70 Sortis de leurs lambeaux | que Dieu n’a pas perdus, 6+6 b
Rassasiés d’un pain | qui ne s’épuise plus, 6+6 b
À l’immense festin | payé de tant de larmes ! 6+6 a
Un roi, de l’homme nu | devinant les douleurs, 6+6 a
Sans sceptre, sans couronne, | à la pitié sensible, 6+6 b
75 Agenouillé devant | sa victime paisible, 6+6 b
Pesant ses fers tombés | et les mouillant de pleurs ! 6+6 a
Du riche repentant | l’âme enfin éclairée, 6+6 a
Versant un doux breuvage | à quelque âme altérée : 6+6 a
C’était beau ! C’était tout. | Quand ta voix me parla, 6+6 a
80 Le rideau s’entr’ouvrit, | l’éternité brûla ! 6+6 a
Le ciel illuminé | s’emplit de ta présence ; 6+6 a
Dieu te mit devant moi, | je compris sa puissance. 6+6 a
En passant par tes yeux | mon âme a tout prévu : 6+6 a
Dieu, c’est toi pour mon cœur ; | j’ai vu Dieu, je t’ai vu ! 6+6 a
85 Mais pour te retrouver | dans cette joie immense, 6+6 a
Il faut franchir l’espace, | et la mort le commence. 6+6 a
Horreur ! Il faut passer | par un étroit cercueil, 6+6 a
Quitter ta main qui brûle, | et ta voix toujours tendre. 6+6 b
Ah ! dans le désespoir | d’être un jour sans l’entendre, 6+6 b
90 Tout mon ciel se referme… | En tremblant, sur le seuil 6+6 a
Où la cloche qui pleure | est encore entendue, 6+6 a
Pour nous éteindre à deux | je suis redescendue. 6+6 a
Où ces signaux de mort | envoyés devant moi 6+6 a
S’allument, et longtemps | tremblent comme des lampes 6+6 b
95 Qu’on voit glisser au loin | sur les gothiques rampes 6+6 b
D’une église où je vais | le soir prier pour toi, 6+6 a
Dis ! cette ombre qui passe | auprès de la chapelle, 6+6 a
Est-ce ton âme en peine, | en quête de mon sort, 6+6 b
Sous une aile traînante | et paresseuse encor, 6+6 b
100 Dont le doux bruit de plume | et m’effleure et m’appelle ? 6+6 a
« Heureux qui s’abandonne, | » oh ! tu l’as dit souvent, 6+6 a
« Et qui s’envole à Dieu | comme la plume au vent ! » 6+6 a
Mais, tiens ! pour remonter, | intrépide hirondelle, 6+6 a
Le chemin lumineux | qui ramène au soleil, 6+6 b
105 Pour partir en aveugle, | en joie ! en tire-d’aile, 6+6 a
Et ne voir devant soi | que l’horizon vermeil, 6+6 b
Il faut mourir enfant ! | Il faut, doux somnambule, 6+6 a
S’élançant par la tombe | aux jardins sans hivers, 6+6 b
Ne pas se réveiller | à la voix des pervers, 6+6 b
110 Et du sein maternel | s’en retourner, crédule ; 6+6 a
Comme un doux rossignol | sort du fond d’une fleur, 6+6 a
Sans avoir répandu | sa voix sur la vallée, 6+6 b
Et va frapper aux cieux | pour son hymne exilée 6+6 b
Qui ne veut pas apprendre | à chanter la douleur. 6+6 a
115 Beaux enfants ! tout pétris | de baisers, de prières ! 6+6 a
Faibles cygnes tombés | des célestes bruyères, 6+6 a
Au duvet encor chaud | de la main du Seigneur, 6+6 a
Et qui ne voulez pas | ramper vers le malheur, 6+6 a
Vous faites bien ! Restez | à l’alphabet d’un ange, 6+6 a
120 Dont chaque lettre sainte | est un signe d’amour ; 6+6 b
Solfège harmonieux | où nul accord ne change, 6+6 a
Et dont la clé sonore | ouvre un autre séjour. 6+6 b
Mais, quand Dieu nous reprend | vos ailes et vos charmes, 6+6 a
Que dit-il de les voir | humides de nos larmes ? 6+6 a
125 Et toi ! viens-tu ? Viens donc ! | Car au bruit de tes pas 6+6 a
Ma peur s’envolerait : | je ne les entends pas ! 6+6 a
J’étends mes mains au jour, | et je le trouve sombre ; 6+6 a
Je cherche à m’appuyer | comme un enfant dans l’ombre ; 6+6 a
Je lis, ou je crois lire ; | et les lugubres mots, 6+6 a
130 En oracles rangés | décrivent deux tombeaux 6+6 a
Qui, retenant sur eux | ma frayeur arrêtée, 6+6 a
Sortent en traits de plomb | de la page irritée : 6+6 a
Il faut fermer le livre | et tomber à genoux ; 6+6 a
Il faut dire : « Mon Dieu ! | priez pour lui… pour nous ! » 6+6 a
135 Et me voilà ! voilà | comme tu m’as rendue : 6+6 a
À deux pas de tes pas, | je suis, seule, perdue ; 6+6 a
Je dépends d’un nuage | ou du vol d’un oiseau, 6+6 a
Et j’ai semé ma joie | au sommet d’un roseau ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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