POÉSIES DIVERSES |
LE BERCEAU D’HÉLÈNE |
|
Qu’a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ? |
12 |
|
Oh ! je le vois toujours ! j’y voudrais être encor ! |
12 |
|
Au milieu des parfums j’y dormais sans défense. |
12 |
|
Et le soleil sur lui versait des rayons d’or. |
12 |
5 |
Peut-être qu’à cette heure il colore les roses, |
12 |
|
Et que son doux reflet tremble dans le ruisseau ; |
12 |
|
Viens couler à mes pieds, clair ruisseau qui l’arroses ; |
12 |
|
Sous tes flots transparents montre-moi le berceau. |
12 |
|
Viens, j’attends ta fraîcheur, j’appelle ton murmure ; |
12 |
10 |
J’écoute, réponds-moi ! |
6 |
|
Sur tes bords, où les fleurs se fanent sans culture, |
12 |
|
Les fleurs ont besoin d’eau, mon cœur sèche sans toi. |
12 |
|
Viens, viens me rappeler, dans ta course limpide, |
12 |
|
Mes jeux, mes premiers jeux, si chers, si décevants, |
12 |
15 |
Des compagnes d’Hélène un souvenir rapide, |
12 |
|
Et leurs rires lointains, faibles jouets des vents. |
12 |
|
Si tu veux caresser mon oreille attentive, |
12 |
|
N’as-tu pas quelquefois, en poursuivant ton cours, |
12 |
|
Lorsqu’elles vont s’asseoir et causer sur ta rive, |
12 |
20 |
N’as-tu pas entendu mon nom dans leurs discours ? |
12 |
|
Sur les roses peut-être une abeille s’élance : |
12 |
|
Je voudrais être abeille et mourir dans les fleurs, |
12 |
|
Ou le petit oiseau dont le nid s’y balance ! |
12 |
|
Il chante, elle est heureuse ; et j’ai connu les pleurs. |
12 |
25 |
Je ne pleurais jamais sous sa voûte embaumée ; |
12 |
|
Une jeune Espérance y dansait sur mes pas : |
12 |
|
Elle venait du ciel, dont l’enfance est aimée ; |
12 |
|
Je dansais avec elle. Oh ! je ne pleurais pas ! |
12 |
|
Elle m’avait donné son prisme, don fragile ! |
12 |
30 |
J’ai regardé la vie à travers ses couleurs. |
12 |
|
Que la vie était belle ! et, dans son vol agile, |
12 |
|
Que ma jeune Espérance y répandait de fleurs ! |
12 |
|
Qu’il était beau l’ombrage où j’entendais les Muses |
12 |
|
Me révéler tout bas leurs promesses confuses, |
12 |
35 |
Où j’osais leur répondre, et, de ma faible voix |
12 |
|
Bégayer le serment de suivre un jour leurs lois ! |
12 |
|
D’un souvenir si doux l’erreur évanouie |
12 |
|
Laisse au fond de mon âme un long étonnement. |
12 |
|
C’est une belle aurore à peine épanouie |
12 |
40 |
Qui meurt dans un nuage, et je dis tristement : |
12 |
|
|
Qu’a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ? |
12 |
|
Oh ! j’en parle toujours ! J’y voudrais être encor ! |
12 |
|
Au milieu des parfums, j’y dormais sans défense, |
12 |
|
Et le soleil sur lui versait des rayons d’or. |
12 |
45 |
Mais au fond du tableau, cherchant des yeux sa proie, |
12 |
|
J’ai vu… je vois encor s’avancer le Malheur. |
12 |
|
Il errait comme une ombre, il attristait ma joie |
12 |
|
Sous les traits d’un vieux oiseleur ; |
8 |
|
Et le vieux oiseleur, patiemment avide, |
12 |
50 |
Aux pièges, avant l’aube, attendait les oiseaux ; |
12 |
|
Et le soir il comptait, avec un ris perfide, |
12 |
|
Ses petits prisonniers tremblants sous les réseaux. |
12 |
|
Est-il toujours bien cruel, bien barbare, |
10 |
|
Bien sourd à la prière ? Et, dans sa main avare, |
12 |
55 |
Plutôt que de l’ouvrir, |
6 |
|
Presse-t-il sa victime à la faire mourir ? |
12 |
|
Ah ! du moins, comme alors, puisse une jeune fille |
12 |
|
Courir, en frappant l’air d’une tendre clameur, |
12 |
|
Renvoyer dans les cieux la chantante famille, |
12 |
60 |
Et tromper le méchant qui faisait le dormeur ! |
12 |
|
Dieu ! quand on le trompait, quelle était sa colère ! |
12 |
|
Il fallait fuir : des pleurs ne lui suffisaient pas ; |
12 |
|
Ou, d’une pitié feinte exigeant le salaire, |
12 |
|
Il pardonnait tout haut, il maudissait tout bas. |
12 |
65 |
Au pied d’un vieux rempart, une antique chaumière |
12 |
|
Lui servait de réduit ; |
6 |
|
Il allait s’y cacher tout seul et sans lumière, |
12 |
|
Comme l’oiseau de nuit. |
6 |
|
Un soir, en traversant l’église abandonnée, |
12 |
70 |
Sa voix nomma la Mort. Que sa voix me fit peur ! |
12 |
|
Je m’envolai tremblante au seuil où j’étais née, |
12 |
|
Et j’entendis l’écho rire avec le trompeur. |
12 |
|
« Dis ! qu’est-ce que la Mort ? demandai-je à ma mère. |
12 |
|
« — C’est un vieux oiseleur qui menace toujours. |
12 |
75 |
Tout tombe dans ses rets, ma fille, et les beaux jours |
12 |
|
S’éteignent sous ses doigts comme un souffle éphémère. » |
12 |
|
|
Je demeurai pensive et triste sur son sein. |
12 |
|
Depuis, j’allai m’asseoir aux tombes délaissées : |
12 |
|
Leur tranquille silence éveillait mes pensées ; |
12 |
80 |
Y cueillir une fleur me semblait un larcin. |
12 |
|
L’aquilon m’effrayait de ses soupirs funèbres. |
12 |
|
La voix, toujours la voix, m’annonçait le Malheur ; |
12 |
|
Et quand je l’entendais passer dans les ténèbres, |
12 |
|
Je disais : « C’est la Mort, ou le vieux oiseleur. » |
12 |
|
85 |
Mais tout change : l’autan fait place aux vents propices, |
12 |
|
La nuit fait place au jour, |
6 |
|
La verdure, au printemps, couvre les précipices, |
12 |
|
Et l’hirondelle heureuse y chante son retour. |
12 |
|
Je revis le berceau, le soleil et les roses. |
12 |
90 |
Ruisseau, tu m’appelais, je m’élançai vers toi. |
12 |
|
Je t’appelle à mon tour, clair ruisseau qui l’arroses ; |
12 |
|
J’écoute, réponds-moi ! |
6 |
|
Qu’a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ? |
12 |
|
Oh ! je le vois toujours ! J’y voudrais être encor ! |
12 |
95 |
Au milieu des parfums, j’y dormais sans défense, |
12 |
|
Et le soleil sur lui versait des rayons d’or. |
12 |
|