Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DEL_2/DEL8
Jacques DELILLE
L'Homme des champs
ou
Les Géorgiques françaises
1800
QUATRIÈME CHANT
Oui, les riches aspectset des champs et de l'onde 6+6 a
D'intéressans tableauxsont la source féconde : 6+6 a
Oui, toujours je revoisavec un plaisir pur 6+6 b
Dans l'azur de ces lacsbriller ce ciel d'azur, 6+6 b
5 Ces fleuves s'épancheren nappes transparentes, 6+6 a
Ces gazons serpenterle long des eaux errantes, 6+6 a
Se noircir ces forêtset jaunir les moissons, 6+6 b
En de rians bassinss'enfoncer ces vallons, 6+6 b
Les monts porter les cieuxsur leurs têtes hautaines 6+6 a
10 Et s'étendre à leurs piedsl'immensité des plaines ; 6+6 a
Tandis que, coloranttous ces tableaux divers, 6+6 b
Le soleil marche en pompeautour de l'univers. 6+6 b
Heureux qui, contemplantcette scène imposante, 6+6 a
Jouit de ses beautés !Plus heureux qui les chante ! 6+6 a
15 Pour lui tout s'embellit ;il rassemble à son choix 6+6 b
Les agrémens éparset des champs et des bois, 6+6 b
Et dans ses vers brillans,rivaux de la nature, 6+6 a
Ainsi que des objets,jouit de leur peinture. 6+6 a
Mais loin ces écrivainsdont le vers ennuyeux 6+6 b
20 Nous dit ce que cent foison a dit encor mieux ! 6+6 b
Insipides rimeurs !N'avez-vous pas encore 6+6 a
Épuisé, dites-moi,tous les parfums de Flore ? 6+6 a
Entendrai-je toujoursles bonds de vos troupeaux ? 6+6 b
Faut-il toujours dormirau bruit de vos ruisseaux ? 6+6 b
25 Zéphir n'est-il point lasde caresser la rose, 6+6 a
De ses jeunes boutonsdepuis long-temps éclose ? 6+6 a
Et l'écho de vos versne peut-il une fois 6+6 b
Laisser dormir en paixles échos de nos bois ? 6+6 b
Peut-on être si pauvre,en chantant la nature ? 6+6 a
30 Oh ! Que, plus varié,moins vague en sa peinture, 6+6 a
Horace nous décriten vers délicieux 6+6 b
Ce pâle peuplier,ce pin audacieux, 6+6 b
Ensemble mariantleurs rameaux frais et sombres, 6+6 a
Et prêtant au buveurl'hospice de leurs ombres ; 6+6 a
35 Tandis qu'un clair ruisseau,se hâtant dans son cours, 6+6 b
Fuit, roule et de son litabrège les détours ! 6+6 b
La nature en ses verssemble toujours nouvelle, 6+6 a
Et vos vers, en naissant,sont déjà vieux comme elle. 6+6 a
Ah ! C'est que, pour les peindre,il faut aimer les champs ! 6+6 b
40 Mais souvent, insensibleà leurs charmes touchans, 6+6 b
Des rimeurs citadinsla muse peu champêtre 6+6 a
Les peint sans les aimer,les peint sans les conntre ; 6+6 a
À peine ils ont gtéla paix de leur séjour, 6+6 b
La frcheur d'un beau soir,ou l'aube d'un beau jour. 6+6 b
45 Aussi lisez leurs vers ;on connt à leur style 6+6 a
Dans ces peintres des champsles amis de la ville. 6+6 a
Voyez-les prodiguer,toujours riches de mots, 6+6 b
L'émeraude des préset le cristal des flots. 6+6 b
L'aurore, sans brillersur un trône d'opale, 6+6 a
50 Ne peut point éclairerla rive orientale ; 6+6 a
Le pourpre et le saphirforment ses vêtemens. 6+6 b
Répand-elle des fleurs ?Ce sont des diamans ! 6+6 b
Ils vont puiser à Tyr,vont chercher au Potose, 6+6 a
Le teint de la jonquilleet celui de la rose. 6+6 a
55 Ainsi, d'or et d'argent,de perles, de rubis, 6+6 b
De la simple natureils chargent les habits, 6+6 b
Et, croyant l'embellir,leur main la défigure. 6+6 a
Puisque la poësieest sœur de la peinture, 6+6 a
Écoutez de Zeuxisces mots trop peu connus. 6+6 b
60 Un artiste noviceosoit peindre Vénus. 6+6 b
Ce n'étoient point ses traitset ses grâces touchantes, 6+6 a
D'un buste harmonieuxles rondeurs élégantes, 6+6 a
Ces contours d'un beau sein,ces bras voluptueux ; 6+6 b
Ce n'étoit point Vénus :son pinceau fastueux 6+6 b
65 Avoit prodigué l'or,l'argent, les pierreries, 6+6 a
Et Cypris se perdoitsous d'amples draperies. 6+6 a
Que fais-tu, malheureux ?Dit Zeuxis irrité ; 6+6 b
Tu nous peins la richesse,et non pas la beauté ! 6+6 b
Rimeur sans gt, ce motvous regarde vous-même : 6+6 a
70 Je le répète, il fautpeindre ce que l'on aime. 6+6 a
N'imitez pas pourtantces auteurs trop soigneux, 6+6 b
Qui, des beautés des champsamans minutieux, 6+6 b
Préférant dans leurs versLinnéus à Virgile, 6+6 a
Prodiguent des objetsun détail inutile ; 6+6 a
75 Sur le plus vil insecteépuisent leurs pinceaux, 6+6 b
Et la loupe à la maincomposent leurs tableaux. 6+6 b
C'est un peintre sans gt,dont le soin ridicule, 6+6 a
En peignant une femme,imite avec scrupule 6+6 a
Ses ongles, ses cheveux,les taches de son sein. 6+6 b
80 Vous, peignez plus en grand.Au retour du matin 6+6 b
Avez-vous quelquefois,du sommet des montagnes, 6+6 a
Embrassé d'un coup-d'œilla scène des campagnes, 6+6 a
Les fleuves, les moissons,les vallons, les coteaux, 6+6 b
Les bois, les champs, les présblanchis par les troupeaux, 6+6 b
85 Et, dans l'enfoncementde l'horizon bleuâtre, 6+6 a
De ces monts fugitifsle long amphithéâtre ? 6+6 a
Voilà votre modèle.Imitez dans vos vers 6+6 b
Ces masses de beautéset ces groupes divers. 6+6 b
Je sais qu'un peintre adroitdu fond d'un paysage 6+6 a
90 De quelque objet saillantpeut détacher l'image ; 6+6 a
Mais ne choisissez pointces objets au hasard ; 6+6 b
Pour la belle natureépuisez tout votre art. 6+6 b
Cependant laissez croireà la foule grossière 6+6 a
Que la belle natureest toujours régulière : 6+6 a
95 Ces arbres arrondis,droits et majestueux, 6+6 b
Peignez-les, j'y consens.Mais ce tronc tortueux, 6+6 b
Qui, bizarre en sa masse,informe en sa parure, 6+6 a
Et jetant au hasarddes touffes de verdure, 6+6 a
Étend ses bras pendanssur des rochers déserts, 6+6 b
100 Dans ses brutes beautésmérite aussi vos vers. 6+6 b
Jusque dans ses horreursla nature intéresse. 6+6 a
Nature, ô séduisanteet sublime déesse, 6+6 a
Que tes traits sont divers !Tu fais ntre dans moi 6+6 b
Ou les plus doux transports,ou le plus saint effroi. 6+6 b
105 Tantôt, dans nos vallons,jeune, frche et brillante, 6+6 a
Tu marches, et, des plisde ta robe flottante 6+6 a
Secouant la roséeet versant les couleurs, 6+6 b
Tes mains sèment les fruits,la verdure et les fleurs : 6+6 b
Les rayons d'un beau journaissent de ton sourire ; 6+6 a
110 De ton souffle légers'exhale le zéphire ; 6+6 a
Et le doux bruit des eaux,le doux concert des bois, 6+6 b
Sont les accens diversde ta brillante voix. 6+6 b
Tantôt, dans les déserts,divinité terrible, 6+6 a
Sur des sommets glacésplaçant ton trône horrible, 6+6 a
115 Le front ceint de vieux pinss'entrechoquant dans l'air, 6+6 b
Des torrens écumeuxbattent tes flancs ; l'éclair 6+6 b
Sort de tes yeux ; ta voixest la foudre qui gronde 6+6 a
Et du bruit des volcansépouvante le monde. 6+6 a
Oh ! Qui pourra saisirdans leur variété 6+6 b
120 De tes riches aspectsla changeante beauté ? 6+6 b
Qui peindra d'un ton vraites ouvrages sublimes, 6+6 a
Depuis les monts altiersjusqu'aux profonds abymes ; 6+6 a
Depuis ces bois pompeuxdans les airs égarés, 6+6 b
Jusqu'à la violette,humble amante des prés ? 6+6 b
125 Quelquefois, oubliantnos simples paysages, 6+6 a
Cherchez sous d'autres cieuxde plus grandes images : 6+6 a
Passez les mers ; volezaux lieux le soleil 6+6 b
Donne aux quatre saisonsun plus riche appareil. 6+6 b
Sous le ciel éclatantde cette ardente zône 6+6 a
130 Montrez-nous l'Orénoqueet l'immense Amazone, 6+6 a
Qui, fiers enfans des monts,nobles rivaux des mers, 6+6 b
Et baignant la moitiéde ce vaste univers, 6+6 b
Épuisent, pour formerles trésors de leur onde, 6+6 a
Les plus vastes sommetsqui dominent le monde ; 6+6 a
135 Baignent d'oiseaux brillansun innombrable essaim, 6+6 b
De masses de verdureenrichissent leur sein : 6+6 b
Tantôt, se déployantavec magnificence, 6+6 a
Voyagent lentement,et marchent en silence ; 6+6 a
Tantôt avec fracasprécipitent leurs flots, 6+6 b
140 De leurs mugissemensfatiguent les échos, 6+6 b
Et semblent, à leur poids,à leur bruyant tonnerre, 6+6 a
Plutôt tomber des cieuxque rouler sur la terre. 6+6 a
Peignez de ces beaux lieuxles oiseaux et les fleurs, 6+6 b
le ciel prodiguale luxe des couleurs ; 6+6 b
145 De ces vastes forêtsl'immensité profonde, 6+6 a
Noires comme la nuit,vieilles comme le monde ; 6+6 a
Ces bois indépendans,ces champs abandonnés ; 6+6 b
Ces vergers, du hasardenfans désordonnés ; 6+6 b
Ces troupeaux sans pasteurs,ces moissons sans culture ; 6+6 a
150 Enfin cette imposanteet sublime nature, 6+6 a
Près de qui l'Apenninn'est qu'un humble coteau, 6+6 b
Nos forêts des buissons,le Danube un ruisseau. 6+6 b
Tantôt de ces beaux lieux,de ces plaines fécondes, 6+6 a
Portez-nous dans les champssans verdure, sans ondes, 6+6 a
155 D' s'exile la vieet la fécondité. 6+6 b
Peignez-nous, dans leur tristeet morne aridité, 6+6 b
Des sables africainsl'espace solitaire, 6+6 a
Qu'un limpide ruisseaujamais ne désaltère : 6+6 a
Que l'ardeur du climat,la soif de ces déserts, 6+6 b
160 Embrase vos tableauxet brûle dans vos vers ; 6+6 b
Que l'hydre épouvantableà longs plis les sillonne ; 6+6 a
Que, gonflé du poisondont tout son sang bouillonne, 6+6 a
L'affreux dragon s'y dresse,et de son corps vermeil 6+6 b
Allume les couleursaux rayons du soleil. 6+6 b
165 Livrez à l'ouragancette arêne mouvante ; 6+6 a
Que le tigre et l'hyèney portent l'épouvante, 6+6 a
Et que du fier lionla rugissante voix 6+6 b
Proclame le courrouxdu monarque des bois. 6+6 b
Tantôt vous nous portezaux limites du monde, 6+6 a
170 l'hiver tient sa cour, l'aquilon qui gronde 6+6 a
Sans cesse fait partirde son trône orageux 6+6 b
Et le givre piquantet les flocons neigeux, 6+6 b
Et des frimats durcisles balles bondissantes, 6+6 a
Sur la terre sonoreau loin retentissantes. 6+6 a
175 Tracez toute l'horreurde ce ciel rigoureux ; 6+6 b
Que tout le corps frissonneà ces récits affreux. 6+6 b
Mais ces lieux ont leur pompeet leur beauté sauvage : 6+6 a
Du palais des frimatsprésentez-nous l'image ; 6+6 a
Ces prismes colorés ;ce luxe des hivers, 6+6 b
180 Qui, se jouant aux yeuxen cent reflets divers, 6+6 b
Brise des traits du jourles flèches transparentes ; 6+6 a
Se suspend aux rochersen aiguilles brillantes, 6+6 a
Tremble sur les sapinsen mobiles cristaux ; 6+6 b
D'une écorce de glaceentoure les roseaux ; 6+6 b
185 Recouvre les étangs,les lacs, les mers profondes, 6+6 a
Et change en bloc d'azurleurs immobiles ondes. 6+6 a
Éblouissant désert !Brillante immensité, 6+6 b
, sur son char glissantlégèrement porté, 6+6 b
Le rapide laponcourt, vole, et de ses rennes, 6+6 a
190 Coursiers de ces climats,laisse flotter les rênes. 6+6 a
Ainsi vous parcourezmille sites divers. 6+6 b
Mais bientôt, revenudans des climats plus chers, 6+6 b
Plus doux dans leur été,plus doux dans leur froidure, 6+6 a
Et d'un ciel sans rigueurmolle température, 6+6 a
195 Vous nous rendez nos prés,nos bois, nos arbrisseaux, 6+6 b
Les nids de nos buissons,le bruit de nos ruisseaux ; 6+6 b
Nos fruits qu'un teint moins vifplus doucement colore ; 6+6 a
Notre simple Palès,notre modeste Flore ; 6+6 a
Et, pauvre de couleurs,mais riche de sa voix, 6+6 b
200 Le rossignol encoreenchantera nos bois. 6+6 b
Mais n'allez pas non plustoujours peindre et décrire : 6+6 a
Dans l'art d'intéresserconsiste l'art d'écrire. 6+6 a
Souvent dans vos tableauxplacez des spectateurs ; 6+6 b
Sur la scène des champsamenez des acteurs : 6+6 b
205 Cet art de l'intérêtest la source féconde. 6+6 a
Oui, l'homme aux yeux de l'hommeest l'ornement du monde : 6+6 a
Les lieux les plus rianssans lui nous touchent peu ; 6+6 b
C'est un temple désertqui demande son dieu. 6+6 b
Avec lui mouvement,plaisir, gté, culture ; 6+6 a
210 Tout rent, tout revit :ainsi qu'à la nature, 6+6 a
La présence de l'hommeest nécessaire aux arts. 6+6 b
C'est lui dans vos tableauxque cherchent nos regards. 6+6 b
Peuplez donc ces coteauxde jeunes vendangeuses, 6+6 a
Ces vallons de bergers,et ces eaux de baigneuses, 6+6 a
215 Qui, timides, à peineosant aux flots discrets 6+6 b
Confier le trésorde leurs charmes secrets, 6+6 b
Semblent, en tressaillantdans leurs rayeux extrêmes, 6+6 a
Craindre leurs propres yeux,et rougir d'elles-mêmes ; 6+6 a
Tandis que, les suivantsous le cristal de l'eau, 6+6 b
220 Un faune du feuillageentr'ouvre le rideau. 6+6 b
Que si l'homme est absentde vos tableaux rustiques, 6+6 a
Quel peuple d'animauxsauvages, domestiques, 6+6 a
Courageux ou craintifs,rebelles ou soumis, 6+6 b
Esclaves patiensou généreux amis, 6+6 b
225 Dont le lait vous nourrit,dont vous filez la laine, 6+6 a
D'acteurs intéressansvient occuper la scène ! 6+6 a
Ceux qui de Wouvermansexeoient les pinceaux, 6+6 b
Qui du riant Berghemanimoient les tableaux, 6+6 b
Ne vous disent-ils rien ?La lyre du poëte 6+6 a
230 Ne peut-elle du peintreégaler la palette ? 6+6 a
Ah ! Soyez peintre aussi !Venez ; à votre voix 6+6 b
Les hôtes de la plaineet des monts et des bois 6+6 b
S'en vont donner la vieau plus froid paysage. 6+6 a
Là, dès qu'un vent légerfait frémir le feuillage, 6+6 a
235 Aussi tremblant que lui,le timide chevreuil 6+6 b
Fuit, plus prompt que l'éclair,plus rapide que l'œil : 6+6 b
Ici, des prés fleurispaissant l'herbe abondante, 6+6 a
La vache gonfle en paixsa mamelle pendante, 6+6 a
Et son folâtre enfantse joue à son côté. 6+6 b
240 Plus loin, fier de sa raceet sûr de sa beauté, 6+6 b
S'il entend ou le corou le cri des cavales, 6+6 a
De son sérail nombreuxhennissantes rivales, 6+6 a
Du rempart épineuxqui borde le vallon, 6+6 b
Indocile, inquiet,le fougueux étalon 6+6 b
245 S'échappe, et, libre enfin,bondissant et superbe, 6+6 a
Tantôt d'un pied légerà peine effleure l'herbe, 6+6 a
Tantôt demande aux ventsles objets de ses feux ; 6+6 b
Tantôt vers la frcheurd'un bain voluptueux, 6+6 b
Fier, relevant ses crinsque le zéphir déploie, 6+6 a
250 Vole et frémit d'orgueil,de jeunesse et de joie : 6+6 a
Ses pas dans tous vos sensretentissent encor. 6+6 b
Voulez-vous d'intérêtsun plus riche trésor ? 6+6 b
Dans tous ces animauxpeignez les mœurs humaines ; 6+6 a
Donnez-leur notre espoir,nos plaisirs et nos peines, 6+6 a
255 Et par nos passionsrapprochez-les de nous. 6+6 b
En vain le grand Buffon,de leur gloire jaloux, 6+6 b
Peu d'accord avec soidans sa prose divine, 6+6 a
Voulut ne voir en euxqu'une adroite machine, 6+6 a
Qu'une argile mouvante,et d'aveugles ressorts 6+6 b
260 D'une grossière vieorganisant leurs corps : 6+6 b
Buffon les peint ; chacunde sa main immortelle 6+6 a
Du feu de Prométhéeobtint une étincelle : 6+6 a
Le chien eut la tendresseet la fidélité, 6+6 b
Le bœuf, la patienceet la docilité ; 6+6 b
265 Et fier de porter l'homme,et sensible à la gloire, 6+6 a
Le coursier partageal'orgueil de la victoire. 6+6 a
Ainsi chaque animal,rétabli dans ses droits, 6+6 b
Lui dut un caractèreet des mœurs et des lois. 6+6 b
Mais que dis-je ? Déjàl'auguste poësie 6+6 a
270 Avoit donné l'exempleà la philosophie. 6+6 a
C'est elle qui toujours,dans ses riches tableaux, 6+6 b
Unit les dieux à l'homme,et l'homme aux animaux. 6+6 b
Voyez-vous dans Homère,aux siècles poëtiques, 6+6 a
Les héros haranguantleurs coursiers héroïques ? 6+6 a
275 Ulysse est de retour,ô spectacle touchant ! 6+6 b
Son chien le reconnt,et meurt en le léchant. 6+6 b
Et toi, Virgile, et toi,trop éloquent Lucrèce, 6+6 a
Aux mœurs des animauxque votre art intéresse ! 6+6 a
Avec le laboureurje détèle, en pleurant, 6+6 b
280 Le taureau qui gémitsur son frère expirant. 6+6 b
Les chefs d'un grand troupeause déclarent la guerre : 6+6 a
Au bruit dont leurs débatsfont retentir la terre, 6+6 a
Mon œil épouvanténe voit plus deux taureaux ; 6+6 b
Ce sont deux souverains,ce sont deux fiers rivaux, 6+6 b
285 Armés pour un empire,armés pour une Hélène, 6+6 a
Brûlant d'ambition,enflammés par la haine. 6+6 a
Tous deux, le front baissé,s'entrechoquent ; tous deux, 6+6 b
De leur large fanonbattant leur cou nerveux, 6+6 b
Mugissent de douleur,d'amour et de vengeance. 6+6 a
290 Le vaste olympe en gronde,et la foule en silence 6+6 a
Attend, intéresséeà ces sanglans assauts, 6+6 b
À qui doit demeurerl'empire des troupeaux. 6+6 b
Voulez-vous un tableaud'un plus doux caractère ? 6+6 a
Regardez la génisse,inconsolable mère : 6+6 a
295 Hélas ! Elle a perdule fruit de ses amours ! 6+6 b
De la noire forêtparcourant les détours, 6+6 b
Ses longs mugissemensen vain le redemandent. 6+6 a
À ses cris, que les monts,que les rochers lui rendent, 6+6 a
Lui seul ne répond point ;l'ombre, les frais ruisseaux, 6+6 b
300 Roulant sur des caillouxleurs diligentes eaux, 6+6 b
La saussaie encor frcheet de pluie arrosée, 6+6 a
L'herbe tremblent encorles gouttes de rosée ; 6+6 a
Rien ne la touche plus :elle va mille fois 6+6 b
Et du bois à l'étable,et de l'étable au bois ; 6+6 b
305 S'en éloigne plaintive,y revient éplorée, 6+6 a
Et s'en retourne enfin,seule et désespérée. 6+6 a
Quel cœur n'est point émude ses tendres regrets ! 6+6 b
Même aux eaux, même aux fleurs,même aux arbres muets, 6+6 b
La poësie encore,avec art mensongère, 6+6 a
310 Ne peut-elle prêterune âme imaginaire ? 6+6 a
Tout semble concourirà cette illusion. 6+6 b
Voyez l'eau caressanteembrasser le gazon, 6+6 b
Ces arbres s'enlacer,ces vignes tortueuses 6+6 a
Embrasser les ormeauxde leurs mains amoureuses, 6+6 a
315 Et, refusant les sucsd'un terrain ennemi, 6+6 b
Ces racines courirvers un sol plus ami. 6+6 b
Ce mouvement des eauxet cet instinct des plantes 6+6 a
Suffit pour enhardirvos fictions brillantes ; 6+6 a
Donnez-leur donc l'essor.Que le jeune bouton 6+6 b
320 Espère le zéphire,et craigne l'aquilon ; 6+6 b
À ce lys altéréversez l'eau qu'il implore : 6+6 a
Formez dans ses beaux ansl'arbre docile encore : 6+6 a
Que ce tronc, enrichide rameaux adoptés, 6+6 b
Admire son ombrageet ses fruits empruntés ; 6+6 b
325 Et, si le jeune cepprodigue son feuillage, 6+6 a
Demandez grâce au feren faveur de son âge. 6+6 a
Alors, dans ces objetscroyant voir mes égaux, 6+6 b
La douce sympathieà leurs biens, à leurs maux, 6+6 b
Trouve mon cœur sensible,et votre heureuse adresse 6+6 a
330 Me surprend pour un arbreun moment de tendresse. 6+6 a
Il est d'autres secrets :quelquefois à nos yeux 6+6 b
D'aimables souvenirsembellissent les lieux. 6+6 b
J'aime en vos vers ce richeet brillant paysage ; 6+6 a
Mais si vous ajoutez :« là de mon premier âge 6+6 a
335 « Coulèrent les momens ;là je sentis s'ouvrir 6+6 b
« Mes yeux à la lumière,et mon cœur au plaisir : » 6+6 b
Alors vous réveillezun souvenir que j'aime ; 6+6 a
Alors mon cœur revoleau moment , moi-même, 6+6 a
J'ai revu les beaux lieuxqui m'ont donné le jour. 6+6 b
340 Ô champs de la Limagne !ô fortuné séjour ! 6+6 b
Hélas ! J'y revoloisaprès vingt ans d'absence : 6+6 a
À peine le mont-d'or,levant son front immense, 6+6 a
Dans un lointain obscurapparut à mes yeux, 6+6 b
Tout mon cœur tressaillit ;et la beauté des lieux, 6+6 b
345 Et les riches coteauxet la plaine riante, 6+6 a
Mes yeux ne voyoient rien ;mon âme impatiente, 6+6 a
Des rapides coursiersaccusant la lenteur, 6+6 b
Appeloit, imploroitce lieu cher à mon cœur. 6+6 b
Je le vis ; je sentisune joie inconnue : 6+6 a
350 J'allois, j'errois ; par tout je portois la vue, 6+6 a
En foule s'élevoientdes souvenirs charmans. 6+6 b
Voici l'arbre témoinde mes amusemens : 6+6 b
C'est ici que Zéphirde sa jalouse haleine 6+6 a
Effaçoit mes palaisdessinés sur l'arène : 6+6 a
355 C'est là que le caillou,lancé dans le ruisseau, 6+6 b
Glissoit, sautoit, glissoit,et sautoit de nouveau. 6+6 b
Un rien m'intéressoit.Mais avec quelle ivresse 6+6 a
J'embrassois, je baignoisde larmes de tendresse, 6+6 a
Le vieillard qui jadisguida mes pas tremblans, 6+6 b
360 La femme dont le laitnourrit mes premiers ans, 6+6 b
Et le sage pasteurqui forma mon enfance ! 6+6 a
Souvent je m'écriois :témoins de ma naissance, 6+6 a
Témoins de mes beaux jours,de mes premiers désirs, 6+6 b
Beaux lieux ! Qu'avez-vous faitde mes premiers plaisirs ? 6+6 b
365 Mais loin de mon sujetce doux sujet m'entrne. 6+6 a
Vous donc, peintres des champs,animez chaque scène ! 6+6 a
Présentez-nous, au lieud'un site inanimé, 6+6 b
Les lieux que l'on aima,ceux l'on fut aimé. 6+6 b
D'autres fois, du contrasteessayant la puissance, 6+6 a
370 Des asiles du viceà ceux de l'innocence 6+6 a
Opposez les tableauxterribles ou touchans, 6+6 b
Et des maux de la villeembellisez les champs. 6+6 b
Du haut de ces coteauxd' Paris nous découvre 6+6 a
Ses temples, ses palais,ses dômes et son Louvre, 6+6 a
375 Sur ces grands monumensarrêtant vos regards, 6+6 b
Là règnent, dites-vous,l'opulence et les arts ! 6+6 b
Là le ciseau divin,la céleste harmonie, 6+6 a
Les écrits immortels s'empreint le génie, 6+6 a
Amusent noblementla reine des cités. 6+6 b
380 Mais bientôt, oubliantces trompeuses beautés, 6+6 b
Là règnent, direz-vous,l'orgueil et la bassesse, 6+6 a
Les maux de la misèreet ceux de la richesse : 6+6 a
Là, sans cesse attirésdes bouts de l'univers, 6+6 b
Fermentent à la foistous les vices divers : 6+6 b
385 Là, sombre et dédaignantles plaisirs légitimes, 6+6 a
Le dégt mène au vice,et l'ennui veut des crimes : 6+6 a
Là le noir suicide,égarant la raison, 6+6 b
Aiguise le poignardet verse le poison : 6+6 b
Là règne des laïsla cohorte effrénée, 6+6 a
390 Honte du célibat,fléau de l'hyménée : 6+6 a
Là, dans des murs infects,asiles dévorans, 6+6 b
La charité cruelleentasse les mourans : 6+6 b
Là des fripons gagéssurveillent leurs complices, 6+6 a
Et le repos publicest fondé sur des vices : 6+6 a
395 Là le pâle joueur,dans son antre infernal, 6+6 b
D'un bras désespérélance le dé fatal. 6+6 b
Que d'enfans au berceaudélaissés par leur mère ! 6+6 a
Combien n'ont jamais vule sourire d'un père ! 6+6 a
Que de crimes cachés !Que d'obscures douleurs ! 6+6 b
400 Combien coule de sang,combien coulent de pleurs ! 6+6 b
La nature en frémit.Mais bientôt vos images 6+6 a
Nous rendent les ruisseaux,les gazons, les ombrages : 6+6 a
Ce contraste puissantles embellit pour nous ; 6+6 b
L'ombrage, les ruisseaux,les zéphirs sont plus doux ; 6+6 b
405 Et le cœur, que flétritce séjour d'imposture, 6+6 a
Revient s'épanouirau sein de la nature. 6+6 a
Ainsi, lorsque Rousseau,dans ses bosquets chéris, 6+6 b
Du bout de son alléeapercevoit Paris ; 6+6 b
« De vices, de vertuseffroyable mélange ! 6+6 a
410 « Paris ! Ville de bruit,de fumée et de fange ! 6+6 a
« Trop heureux, disoit-il,qui peut loin de tes murs 6+6 b
« Fuir tes brouillards infects,et tes vices impurs ! » 6+6 b
Et soudain, revenantdans ses routes chéries, 6+6 a
Il promenoit en paixses douces rêveries. 6+6 a
415 Hélas ! Pourquoi faut-ilque celui dont les chants 6+6 b
Enseignent l'art d'orneret d'habiter les champs, 6+6 b
Ne puisse encor jouirdes objets qu'il adore ! 6+6 a
Ô champs, ô mes amis !Quand vous verrai-je encore ? 6+6 a
Quand pourrai-je, tantôtgtant un doux sommeil 6+6 b
420 Et des bons vieux auteursamusant mon réveil, 6+6 b
Tantôt ornant sans artmes rustiques demeures, 6+6 a
Tantôt laissant coulermes indolentes heures, 6+6 a
Boire l'heureux oublides soins tumultueux, 6+6 b
Ignorer les humainset vivre ignoré d'eux ! 6+6 b
425 Vous, cependant, semezdes figures sans nombre ; 6+6 a
Mêlez le fort au douxet le riant au sombre. 6+6 a
Quels qu'ils soient, aux objetsconformez votre ton ; 6+6 b
Ainsi que par les mots,exprimez par le son. 6+6 b
Peignez en vers légersl'amant léger de Flore ; 6+6 a
430 Qu'un doux ruisseau murmureen vers plus doux encore. 6+6 a
Entend-on d'un torrentles ondes bouillonner ? 6+6 b
Le vers tumultueuxen roulant doit tonner. 6+6 b
Que d'un pas lent et lourdle bœuf fende la plaine ; 6+6 a
Chaque syllabe pèse,et chaque mot se trne. 6+6 a
435 Mais si le daim légerbondit, vole et fend l'air, 6+6 b
Le vers vole et le suit,aussi prompt que l'éclair. 6+6 b
Ainsi de votre chantla marche cadencée 6+6 a
Imite l'actionet note la pensée. 6+6 a
Mais, malgré ces travaux,trop heureux si toujours 6+6 b
440 Vous aviez à chanterles beaux lieux, les beaux jours ! 6+6 b
Mais lorsque vous dictezdes préceptes rustiques, 6+6 a
C'est là qu'il faut ouvrirvos trésors poëtiques : 6+6 a
Un précepte est aride ?Il le faut embellir ; 6+6 b
Ennuyeux ? L'égayer ;vulgaire ? L'ennoblir. 6+6 b
445 Quelquefois, des leçonsinterrompant la chne, 6+6 a
Suspendez votre course ;et, reprenant haleine, 6+6 a
Au lecteur fatiguéprésentez à propos 6+6 b
D'un épisode heureuxl'agréable repos. 6+6 b
Homère, en décrivantles soins du labourage, 6+6 a
450 Offre de ce précepteune charmante image. 6+6 a
Chaque fois que du bœufpressé de l'aiguillon 6+6 b
Le conducteur, lassé,touche au bout du sillon, 6+6 b
Chaque fois d'un vin purabreuvé par son mtre, 6+6 a
Il retourne gmentà son labour champêtre. 6+6 a
455 Ainsi, par la douceurde vos digressions, 6+6 b
Faites boire l'oublides austères leçons ; 6+6 b
Puis, suivez votre courseun instant suspendue, 6+6 a
Et de votre sujetparcourez l'étendue. 6+6 a
Mais pourquoi ces conseilstracés si longuement ? 6+6 b
460 Ah ! Pour toute leçonj'aurois dû seulement 6+6 b
Dire, lisez Virgile :avec quelle harmonie 6+6 a
Aux rustiques travauxil instruit l'Ausonie ! 6+6 a
De la scène des champss'il m'offre le tableau, 6+6 b
Que ses pinceaux sont vrais !Le limpide ruisseau, 6+6 b
465 le berger pensifvoit flotter son image, 6+6 a
Rend moins fidèlementles fleurs de son rivage. 6+6 a
S'il me peint les bergers,leurs amours, leurs concerts, 6+6 b
L'âge d'or tout entierrespire dans ses vers. 6+6 b
Lisez Virgile : heureuxqui sait gter ses charmes ! 6+6 a
470 Malheureux qui le litsans verser quelques larmes ! 6+6 a
Lorsque sa voix si douceen des sons si touchans 6+6 b
S'écrie : heureux vieillard,tu conserves tes champs ! 6+6 b
Combien il m'intéresseà ce vieillard champêtre ! 6+6 a
Ce verger qu'il planta,ce toit qui le vit ntre, 6+6 a
475 J'y crois être avec lui ;le tendre tourtereau, 6+6 b
Et l'amoureux ramierroucoulant sous l'ormeau, 6+6 b
Sur la saussaie en fleurl'abeille qui bourdonne, 6+6 a
Les airs qu'au haut des montsle bucheron fredonne, 6+6 a
Ces bois, ces frais ruisseaux !Ah ! Quel peintre eut jamais 6+6 b
480 De plus douces couleurset des tableaux plus vrais ! 6+6 b
Mais qu'entends-je ? Quels sons ?Ah ! C'est Gallus qui chante, 6+6 a
Il chante Lycoris,sa Lycoris absente. 6+6 a
Sa voix pour Lycorisconjure les frimats 6+6 b
D'émousser leurs glaçonssous ses pieds délicats. 6+6 b
485 Dieu du chant pastoral !ô Virgile ! ô mon mtre ! 6+6 a
Quand je voulus chanterla nature champêtre, 6+6 a
Je l'observai ; j'erroisavec des yeux ravis 6+6 b
Dans les bois, dans les prés :je te lus et je vis 6+6 b
Que la nature et toin'étoient qu'un. Ah ! Pardonne 6+6 a
490 Si, fier de ramasserdes fleurs de ta couronne, 6+6 a
J'essayai d'imitertes tableaux ravissans ! 6+6 b
Que ne puis-je les rendreainsi que je les sens ! 6+6 b
Mais ils ont animémes premières esquisses, 6+6 a
Et s'ils n'ont fait ma gloire,ils ont fait mes délices. 6+6 a
495 Ainsi, seul, à l'abride mes rochers déserts, 6+6 b
Tandis que la discordeébranloit l'univers, 6+6 b
Heureux, je célébrois,d'une voix libre et pure, 6+6 a
L'humanité, les champs,les arts et la nature. 6+6 a
Veuillent les dieux sourireà mes champêtres sons ! 6+6 b
500 Et moi, puissé-je encor,pour prix de mes leçons, 6+6 b
Compter quelques printemps,et dans les champs que j'aime, 6+6 a
Vivre pour mes amis,mes livres et moi-même ! 6+6 a
fin du quatrième et dernier chant.
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université