Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
COR_1/COR66
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE DEUXIÈME
CHAPITRE IX
Du manquement de toute sorte de consolations.
Notre âme néglige sans peine 8 a
La consolation humaine, 8 a
Quand la divine la remplit : 8 b
Une sainte fierté | dans ce dédain nous jette, 6+6 c
5 Et la parfaite joie | aisément établit 6+6 b
L'heureux mépris de l'imparfaite. 8 c
Mais du côté de Dieu | demeurer sans douceur, 6+6 a
Quand nous foulons aux pieds | toute celle du monde, 6+6 b
Accepter pour sa gloire | une langueur profonde, 6+6 b
10 Un exil où lui-même | il abîme le cœur, 6+6 a
Ne nous chercher en rien | alors que tout nous quitte, 6+6 c
Ne vouloir rien qui plaise | alors que tout déplaît, 6+6 d
N'envoyer ni desirs | vers le propre intérêt, 6+6 d
Ni regards échappés | vers le propre mérite : 6+6 c
15 C'est un effort si grand, | qu'il se faut élever 6+6 e
Au-dessus de tout l'homme | avant que l'entreprendre ; 6+6 f
Sans se vaincre soi-même | on ne peut y prétendre, 6+6 f
Et sans faire un miracle | on ne peut l'achever. 6+6 e
Que fais-tu de grand ou de rare, 8 a
20 Si la paix de ton cœur s'empare 8 a
Quand la grâce règne au dedans, 8 b
Si tu sens pleine joie | au moment qu'elle arrive, 6+6 c
Si tes vœux aussitôt | deviennent plus ardents, 6+6 b
Et ta dévotion plus vive ? 8 c
25 C'est l'ordinaire effet | de son épanchement 6+6 a
Que d'enfanter le zèle | et semer l'allégresse ; 6+6 b
C'est l'accompagnement | de cette grande hôtesse, 6+6 b
Et tout le monde aspire | à cet heureux moment. 6+6 a
Assez à l'aise marche | et fournit sa carrière 6+6 c
30 Celui dont en tous lieux | elle soutient la croix : 6+6 d
Du fardeau le plus lourd | il ne sent point le poids ; 6+6 d
Dans la nuit la plus sombre | il a trop de lumière ; 6+6 c
Le tout-puissant le porte | et le daigne éclairer ; 6+6 e
Le tout-puissant lui-même | à sa course préside ; 6+6 f
35 Et comme il est conduit | par le souverain guide, 6+6 f
Il n'est pas merveilleux | s'il ne peut s'égarer. 6+6 e
Nous aimons ce qui nous console : 8 a
L'âme le cherche, l'âme y vole, 8 a
L'âme s'attache au moindre attrait ; 8 b
40 Elle penche toujours | vers ce qui la chatouille, 6+6 c
Et difficilement | l'homme le plus parfait 6+6 b
De tout lui-même se dépouille. 8 c
Laurens le saint martyr | en vint pourtant à bout 6+6 a
Quand Dieu le sépara | de Sixte son grand prêtre ; 6+6 b
45 Il l'aimoit comme père, | il l'aimoit comme maître ; 6+6 b
Mais un amour plus fort | le détacha de tout. 6+6 a
D'une perte si dure | il fit des sacrifices 6+6 c
À l'honneur de ce dieu | qui couronnoit sa foi : 6+6 d
Il triompha du siècle | en triomphant de soi ; 6+6 d
50 Par le mépris du monde | il brava les supplices ; 6+6 c
Mais il avoit porté | cette mort constamment, 6+6 e
Avant que des bourreaux | il éprouvât la rage ; 6+6 f
Et parmi les tourments | ce qu'il eut de courage 6+6 f
Fut un prix avancé | de son détachement. 6+6 e
55 Ainsi cette âme toute pure 8 a
Mit l'amour de la créature 8 a
Sous les ordres du créateur ; 8 b
Et son zèle pour Dieu, | brisant toute autre chaîne, 6+6 c
Préféra le vouloir | du souverain auteur 6+6 b
60 À toute la douceur humaine. 8 c
Apprends de cet exemple | à desserrer les nœuds 6+6 a
Par qui l'affection, | par qui le sang te lie, 6+6 b
Ces puissants et doux nœuds | qui font aimer la vie, 6+6 b
Et sans qui l'homme a peine | à s'estimer heureux. 6+6 a
65 Quitte un ami sans trouble, | alors que Dieu l'ordonne ; 6+6 c
Vois sans trouble un ami | te quitter à son tour ; 6+6 d
Comme un bien passager | regarde son amour ; 6+6 d
Sois égal quand il t'aime | et quand il t'abandonne. 6+6 c
Ne faut-il pas enfin | chacun s'entre-quitter ? 6+6 e
70 Où tous les hommes vont, | aucuns ne vont ensemble ; 6+6 f
Et devant ce grand juge | où le plus hardi tremble, 6+6 f
Le roi le mieux suivi | se va seul présenter. 6+6 e
Que l'homme a de combats à faire, 8 a
Avant que de se bien soustraire 8 a
75 À l'empire des passions, 8 b
Avant que de soi-même | il soit si bien le maître 6+6 c
Qu'il pousse tout l'effort | de ses affections 6+6 b
Jusqu'à l'auteur de tout son être ! 8 c
Qui s'attache à soi-même | aussitôt l'en bannit, 6+6 a
80 Et qui peut sur soi-même | appuyer sa foiblesse 6+6 b
Glisse et tombe aisément | dans l'indigne mollesse 6+6 b
Des consolations | que le siècle fournit ; 6+6 a
Mais quiconque aime Dieu | d'un amour véritable, 6+6 c
Quiconque s'étudie | à marcher sur ses pas, 6+6 d
85 Apprend si bien à fuir | ces dangereux appas, 6+6 d
Que d'une telle chute | il devient incapable : 6+6 c
Rien de la part des sens | ne le sauroit toucher ; 6+6 e
Et loin de prêter l'âme | à leurs vaines délices, 6+6 f
Les grands travaux pour Dieu, | les rudes exercices, 6+6 f
90 Sont tout ce qu'en la vie | il se plaît à chercher. 6+6 e
Quand donc tu sens parmi ton zèle 8 a
Quelque douceur spirituelle 8 a
Dont s'échauffe ta volonté, 8 b
Rends grâces à ton Dieu | de ce feu qu'elle excite, 6+6 c
95 Et reconnois que c'est | un don de sa bonté, 6+6 b
Et non l'effet de ton mérite. 8 c
Quoique ce soit un bien | sur tous autres exquis, 6+6 a
D'une excessive joie | arrête la surprise : 6+6 b
N'en sois pas plus enflé | quand il t'en favorise, 6+6 b
100 Et n'en présume pas | déjà le ciel acquis ; 6+6 a
En toutes actions | sois-en mieux sur tes gardes ; 6+6 c
Que ton humilité | sache s'en redoubler : 6+6 d
Plus il te donne à perdre, | et plus tu dois trembler ; 6+6 d
Tant plus il t'enrichit, | et tant plus tu hasardes. 6+6 c
105 Ces moments passeront | avec tous leurs attraits, 6+6 e
Et la tentation, | se coulant en leur place, 6+6 f
Y fera succéder | l'orage à la bonace, 6+6 f
Les troubles au repos, | et la guerre à la paix. 6+6 e
Si toute leur douceur partie 8 a
110 Laisse ta vigueur amortie, 8 a
Ne désespère pas soudain, 8 b
Mais à l'humilité | joignant la confiance, 6+6 c
Attends que le très-haut | daigne abaisser la main 6+6 b
Au secours de ta patience. 8 c
115 Ce Dieu, toujours tout bon | et toujours tout-puissant, 6+6 a
Ce Dieu, dans ses bontés | toujours inépuisable, 6+6 b
Peut faire un nouveau don | d'une grâce plus stable, 6+6 b
D'une vigueur plus ferme | à ton cœur languissant. 6+6 a
Vous le savez, dévots | qui marchez dans sa voie, 6+6 c
120 Qu'on y voit tour à tour | la paix et les combats, 6+6 d
Qu'on y voit l'amertume | enfanter les appas, 6+6 d
Qu'on y voit le chagrin | succéder à la joie. 6+6 c
Les saints même, les saints, | tous comblés de ce don, 6+6 e
Ont éprouvé souvent | de ces vicissitudes, 6+6 f
125 Et senti des moments | tantôt doux, tantôt rudes, 6+6 f
Par la pleine assistance | et l'entier abandon. 6+6 e
Crois-en David sur sa parole. 8 a
Tant que la grâce le console, 8 a
C'est ainsi qu'il en parle à Dieu : 8 b
130 « lorsque de tes faveurs | je goûtois l'abondance, 6+6 c
Je le disois, seigneur, | qu'aucun temps, aucun lieu, 6+6 b
Ne pourroit troubler ma constance. » 8 c
À cette fermeté | succède la langueur 6+6 a
Par le départ soudain | de cette même grâce : 6+6 b
135 « tu n'as fait, lui dit-il, | que détourner ta face, 6+6 b
Et le trouble aussitôt | s'est saisi de mon cœur. » 6+6 a
Cependant il conserve | une espérance entière ; 6+6 c
Et dans cette langueur | rassemblant ses esprits : 6+6 d
« jusqu'à toi, poursuit-il, | j'élèverai mes cris, 6+6 d
140 Jusqu'à toi, mon sauveur, | j'envoîrai ma prière. » 6+6 c
Il en obtient le fruit, | et change de discours : 6+6 e
« le seigneur à mes maux | est devenu sensible, 6+6 f
Dit-il, et la pitié | l'ayant rendu flexible, 6+6 f
Lui-même il a voulu | descendre à mon secours. » 6+6 e
145 Veux-tu savoir de quelle sorte 8 a
Agit cette grâce plus forte ? 8 a
Écoute ses ravissements : 8 b
« tu dissipes, ô dieu ! | L'aigreur de ma tristesse, 6+6 c
Tu changes en plaisirs | tous mes gémissements, 6+6 b
150 Et m'environnes d'allégresse. » 8 c
Puisque Dieu traite ainsi | même les plus grands saints, 6+6 a
Nous autres malheureux | perdrons-nous tout courage, 6+6 b
Pour voir que notre vie | ici-bas se partage 6+6 b
Aux inégalités | qui troublent leurs desseins ? 6+6 a
155 Voyons tantôt le feu, | voyons tantôt la glace 6+6 c
Dans nos cœurs tour à tour | se mêler sans arrêt : 6+6 d
L'esprit ne va-t-il pas | et vient comme il lui plaît ? 6+6 d
Son bon plaisir lui seul | le retient ou le chasse ; 6+6 c
Job en sert de témoin : | « tu le veux, ô seigneur ! 6+6 e
160 Disoit-il, que ton bras | nous défende et nous quitte, 6+6 f
Et tu nous fais à peine | un moment de visite 6+6 f
Qu'aussitôt ta retraite | éprouve notre cœur. » 6+6 e
Sur quoi donc faut-il que j'espère, 8 a
Et dans l'excès de ma misère, 8 a
165 Sur quoi puis-je me confier, 8 b
Sinon sur la grandeur | de sa miséricorde, 6+6 c
Et sur ce que sa grâce | aime à justifier 6+6 b
Ceux à qui sa bonté l'accorde ? 8 c
Soit que j'aie avec moi | toujours des gens de bien, 6+6 a
170 De fidèles amis, | ou de vertueux frères, 6+6 b
Soit que des beaux traités | les conseils salutaires, 6+6 b
Soit que les livres saints | me servent d'entretien, 6+6 a
Qu'en hymnes tout un chœur | autour de moi résonne 6+6 c
Ces frères, ces amis, | ces livres et ce chœur, 6+6 d
175 Tout cela n'a pour moi | ni force ni saveur, 6+6 d
Lorsqu'à ma pauvreté | la grâce m'abandonne ; 6+6 c
Et l'unique remède | en cette extrémité 6+6 e
C'est une patience | égale au mal extrême, 6+6 f
Une abnégation | parfaite de moi-même, 6+6 f
180 Pour accepter de Dieu | toute la volonté. 6+6 e
Je n'ai point vu d'âme si sainte, 8 a
D'âme si fortement atteinte, 8 a
De religieux si parfait, 8 b
Qui n'ait senti la grâce, | en lui comme séchée, 6+6 c
185 N'y verser quelquefois | aucun sensible attrait, 6+6 b
Ou vu sa ferveur relâchée. 8 c
Aucun n'est éclairé | de rayons si puissants, 6+6 a
Aucune âme si haut | ne se trouve ravie, 6+6 b
Qui n'ait vu sa clarté | précédée ou suivie 6+6 b
190 D'une attaque, ou du diable, | ou de ses propres sens. 6+6 a
Aucun n'est digne aussi | de la vive lumière 6+6 c
Par qui Dieu se découvre | à l'esprit recueilli, 6+6 d
S'il ne s'est vu pour Dieu | vivement assailli, 6+6 d
S'il n'a franchi pour Dieu | quelque rude carrière. 6+6 c
195 Ne t'ébranle donc point | dans les tentations ; 6+6 e
Ne t'inquiète point | de leurs inquiétudes ; 6+6 f
D'elles naîtra le calme, | et leurs coups les plus rudes 6+6 f
Sont les avant-coureurs | des consolations. 6+6 e
Puissant maître de la nature, 8 a
200 Ta sainte parole en assure 8 a
Ceux qu'elles auront éprouvés : 8 b
« sur qui vaincra, dis-tu, | je répandrai ma gloire, 6+6 c
Et de l'arbre de vie | il verra réservés 6+6 b
Les plus doux fruits pour sa victoire. » 8 c
205 Cette douceur du ciel | en tombe quelquefois, 6+6 a
Pour fortifier l'homme | à vaincre l'amertume ; 6+6 b
L'amertume la suit, | de peur qu'il n'en présume 6+6 b
Le ciel ouvert pour lui | sans plus porter de croix ; 6+6 a
Car enfin le bien même | est souvent une porte 6+6 c
210 Par où la propre estime | entre avec la vertu ; 6+6 d
Et quoique l'ennemi | nous paroisse abattu, 6+6 d
Le diable ne dort point, | et la chair n'est pas morte. 6+6 c
Il se faut donc sans cesse | au combat disposer, 6+6 e
En craindre à tous moments | quelques succès contraires, 6+6 f
215 Puisque de tous côtés | on a des adversaires 6+6 f
Qui ne savent que c'est | que de se reposer. 6+6 e
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