Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_3/BOI18
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
ÉPITRES
1670-1698
ÉPÎTRE V
A M. DE GUILLERAGUES, SECRÉTAIRE DU CABINET
 Esprit né pour la couret mtre en l'art de plaire, 6+6 a
Guilleragues, qui saiset parler et te taire, 6+6 a
Apprends-moi si je doisou me taire ou parler. 6+6 b
Faut-il dans la satireencor me signaler, 6+6 b
5 Et, dans ce champ féconden plaisantes malices, 6+6 a
Faire encore aux auteursredouter mes caprices ? 6+6 a
Jadis, non sans tumulte,on m'y vit éclater, 6+6 b
Quand mon esprit plus jeune,et prompt à s'irriter, 6+6 b
Aspirait moins au nomde discret et de sage ; 6+6 a
10 Que mes cheveux plus noirsombrageaient mon visage. 6+6 a
Maintenant, que le tempsa mûri mes désirs, 6+6 b
Que mon âge, amoureuxde plus sages plaisirs, 6+6 b
Bientôt s'en va frapperà son neuvième lustre, 6+6 a
J'aime mieux mon reposqu'un embarras illustre. 6+6 a
15 Que d'une égale ardeurmille auteurs animés, 6+6 b
Aiguisent contre moileurs traits envenimés ; 6+6 b
Que tout, jusqu'à Pinchêne,et m'insulte et m'accable, 6+6 a
Aujourd'hui, vieux lion,je suis doux et traitable ; 6+6 a
Je n'arme point contre euxmes ongles émoussés ; 6+6 b
20 Ainsi que mes beaux joursmes chagrins sont passés ; 6+6 b
Je ne sens plus l'aigreurde ma bile première, 6+6 a
Et laisse aux froids rimeursune libre carrière. 6+6 a
 Ainsi donc, philosopheà la raison soumis, 6+6 b
Mes défauts désormaissont mes seuls ennemis. 6+6 b
25 C'est l'erreur que je fuis,c'est la vertu que j'aime. 6+6 a
Je songe à me conntre,et me cherche en moi-même. 6+6 a
C'est là l'unique étude je veux m'attacher. 6+6 b
Que, l'astrolabe en main,un autre aille chercher 6+6 b
Si le soleil est fixeou tourne sur son axe ; 6+6 a
30 Si Saturne à nos yeuxpeut faire un parallaxe ; 6+6 a
Que Rohaut vainementsèche pour concevoir 6+6 b
Comment, tout étant plein,tout a pu se mouvoir ; 6+6 b
Ou que Bernier composeet le sec et l'humide 6+6 a
Des corps ronds et crochuserrant parmi le vide : 6+6 a
35 Pour moi, sur cette merqu'ici-bas nous courons, 6+6 b
Je songe à me pourvoird'esquif et d'avirons, 6+6 b
A régler mes désirs,à prévenir l'orage, 6+6 a
Et sauver, s'il se peut,ma raison du naufrage. 6+6 a
 C'est au repos d'espritque nous aspirons tous, 6+6 b
40 Mais ce repos heureuxse doit chercher en nous. 6+6 b
Un fou, rempli d'erreurs,que le trouble accompagne, 6+6 a
Et malade à la villeainsi qu'à la campagne, 6+6 a
En vain monte à chevalpour tromper son ennui, 6+6 b
Le chagrin monte en croupe,et galope avec lui. 6+6 b
45 Que crois-tu qu'Alexandre,en ravageant la terre, 6+6 a
Cherche parmi l'horreur,le tumulte, et la guerre ? 6+6 a
Possédé d'un ennuiqu'il ne saurait dompter, 6+6 b
Il craint d'être à soi-même,et songe à s'éviter. 6+6 b
C'est là ce qui l'emporteaux lieux nt l'Aurore, 6+6 a
50 le Perse est brûléde l'astre qu'il adore. 6+6 a
 De nos propres malheursauteurs infortunés, 6+6 b
Nous sommes, loin de nous,à toute heure entrnés. 6+6 b
A quoi bon ravir l'orau sein du Nouveau Monde ? 6+6 a
Le bonheur tant cherchésur la terre et sur l'onde, 6+6 a
55 Est ici, comme aux lieux mûrit le coco, 6+6 b
Et se trouve à Parisde même qu'à Cusco. 6+6 b
On ne le tire pointdes veines du Potose. 6+6 a
Qui vit content de rienpossède toute chose. 6+6 a
Mais, sans cesse ignorantsde nos propres besoins, 6+6 b
60 Nous demandons au cielce qu'il nous faut le moins. 6+6 b
 « Oh ! que si, cet hiver,un rhume salutaire, 6+6 a
Guérissant de tous mauxmon avare beau-père, 6+6 a
Pouvait, bien confessé,l'étendre en un cercueil, 6+6 b
Et remplir sa maisond'un agréable deuil ! 6+6 b
65 Que mon âme, en ce jourde joie et d'opulence, 6+6 a
D'un superbe convoiplaindrait peu la dépense ! » 6+6 a
Disait le mois passé,doux, honnête, et soumis, 6+6 b
L'héritier affaméde ce riche commis, 6+6 b
Qui, pour lui préparercette douce journée, 6+6 a
70 Tourmenta quarante anssa vie infortunée. 6+6 a
La mort vient de saisirle vieillard catarrheux ; 6+6 b
Voilà son gendre riche :en est-il plus heureux ? 6+6 b
Tout fier du faux éclatde sa vaine richesse, 6+6 a
Déjà, nouveau seigneur,il vante sa noblesse ; 6+6 a
75 Quoique fils de meunier,encor blanc du moulin, 6+6 b
Il est prêt à fournirses titres en vélin ; 6+6 b
En mille vains projetsà toute heure il s'égare ; 6+6 a
Le voilà fou, superbe,impertinent, bizarre, 6+6 a
Rêveur, sombre, inquiet,à soi-même ennuyeux. 6+6 b
80 Il vivrait plus content,si, comme ses aïeux, 6+6 b
Dans un habit conformeà sa vraie origine, 6+6 a
Sur le mulet encoreil chargeait la farine. 6+6 a
Mais ce discours n'est paspour le peuple ignorant, 6+6 b
Que le faste éblouitd'un bonheur apparent. 6+6 b
85 L'argent, l'argent, dit-on ;sans lui tout est stérile : 6+6 a
La vertu sans l'argentn'est qu'un meuble inutile ; 6+6 a
L'argent en honnête hommeérige un scélérat ; 6+6 b
L'argent seul au Palaispeut faire un magistrat. 6+6 b
« Qu'importe qu'en tous lieuxon me traite d'infâme ? 6+6 a
90 Dit ce fourbe sans foi,sans honneur et sans âme ; 6+6 a
Dans mon coffre, tout pleinde rares qualités, 6+6 b
J'ai cent mille vertusen louis bien comptés. 6+6 b
Est-il quelque talentque l'argent ne me donne ? » 6+6 a
C'est ainsi qu'en son cœurce financier raisonne. 6+6 a
95 Mais, pour moi, que l'éclatne saurait décevoir, 6+6 b
Qui mets au rang des biensl'esprit et le savoir, 6+6 b
J'estime autant Patru,même dans l'indigence, 6+6 a
Qu'un commis engraissédes malheurs de la France. 6+6 a
Non que je sois du gtde ce sage insensé 6+6 b
100 Qui, d'un argent commodeesclave embarrassé, 6+6 b
Jeta tout dans la merpour crier : « Je suis libre. » 6+6 a
De la droite raisonje sens mieux l'équilibre ; 6+6 a
Mais je tiens qu'ici-bas,sans faire tant d'apprêts, 6+6 b
La vertu se contenteet vit à peu de frais. 6+6 b
105 Pourquoi donc s'égareren des projets si vagues ? 6+6 a
 Ce que j'avance ici,crois-moi, cher Guilleragues, 6+6 a
Ton ami, dès l'enfance,ainsi l'a pratiqué. 6+6 b
Mon père, soixante ansau travail appliqué, 6+6 b
En mourant me laissa,pour rouler et pour vivre, 6+6 a
110 Un revenu léger,et son exemple à suivre. 6+6 a
Mais bientôt, amoureuxd'un plus noble métier, 6+6 b
Fils, frère, oncle, cousin,beau-frère de greffier, 6+6 b
Pouvant charger mon brasd'une utile liasse, 6+6 a
J'allai loin du Palaiserrer sur le Parnasse. 6+6 a
115 La famille en pâlit,et vit en frémissant 6+6 b
Dans la poudre du greffeun poète naissant. 6+6 b
On vit avec horreurune Muse effrénée 6+6 a
Dormir chez un greffierla grasse matinée. 6+6 a
Dès lors, à la richesseil fallut renoncer ; 6+6 b
120 Ne pouvant l'acquérir,j'appris à m'en passer ; 6+6 b
Et, surtout, redoutantla basse servitude, 6+6 a
La libre véritéfut toute mon étude. 6+6 a
Dans ce métier, funesteà qui veut s'enrichir, 6+6 b
Qui l't cru, que pour moile sort dût se fléchir ? 6+6 b
125 Mais du plus grand des roisla bonté sans limite, 6+6 a
Toujours prête à courirau-devant du mérite, 6+6 a
Crut voir dans ma franchiseun mérite inconnu, 6+6 b
Et d'abord de ses donsenfla mon revenu. 6+6 b
La brigue, ni l'envieà mon bonheur contraires, 6+6 a
130 Ni les cris douloureuxde mes vains adversaires, 6+6 a
Ne purent dans leur coursearrêter ses bienfaits… 6+6 b
C'en est trop : mon bonheura passé mes souhaits ; 6+6 b
Qu'à son gré désormaisla fortune me joue, 6+6 a
On me verra dormirau branle de sa roue. 6+6 a
135  Si quelque soin encoreagite mon repos, 6+6 b
C'est l'ardeur de louerun si fameux Héros. 6+6 b
Ce soin ambitieuxme tirant par l'oreille, 6+6 a
La nuit, lorsque je dors,en sursaut me réveille, 6+6 a
Me dit, que ces bienfaitsdont j'ose me vanter, 6+6 b
140 Par des vers immortelsont dû se mériter. 6+6 b
C'est là le seul chagrinqui trouble encor mon âme. 6+6 a
Mais si, dans le beau feudu zèle qui m'enflamme, 6+6 a
Par un ouvrage, enfindes critiques vainqueur, 6+6 b
Je puis sur ce sujetsatisfaire mon cœur, 6+6 b
145 Guilleragues, plains-toide mon humeur légère, 6+6 a
Si jamais, entrnéd'une ardeur étrangère, 6+6 a
Ou d'un vil intérêtreconnaissant la loi, 6+6 b
Je cherche mon bonheurautre part que chez moi. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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