Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_2/BOI5
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
SATIRES
1666-1716
SATIRE IV
A M. L'ABBÉ LE VAYER
 D' vient, cher Le Vayer,que l'homme le moins sage 6+6 a
Croit toujours seul avoirla sagesse en partage, 6+6 a
Et qu'il n'est point de fouqui, par belles raisons, 6+6 b
Ne loge son voisinaux Petites-Maisons ? 6+6 b
5  Un pédant, enivréde sa veine science, 6+6 a
Tout hérissé de grec,tout bouffi d'arrogance, 6+6 a
Et qui, de mille auteursretenus mot pour mot, 6+6 b
Dans sa tête entassés,n'a souvent fait qu'un sot, 6+6 b
Croit qu'un livre fait tout,et que sans Aristote, 6+6 a
10 La raison ne voit goutte,et le bon sens radote. 6+6 a
 D'autre part, un galant,de qui tout le métier 6+6 b
Est de courir le jourde quartier en quartier, 6+6 b
Et d'aller, à l'abrid'une perruque blonde, 6+6 a
De ses froides douceursfatiguer tout le monde, 6+6 a
15 Condamne la science,et, blâmant tout écrit, 6+6 b
Croit qu'en lui l'ignoranceest un titre d'esprit ; 6+6 b
Que c'est des gens de courle plus beau privilège ; 6+6 a
Et renvoie un savantdans le fond d'un collège. 6+6 a
 Un bigot orgueilleux,qui, dans sa vanité, 6+6 b
20 Croit duper jusqu'à Dieupar son zèle affecté, 6+6 b
Couvrant tous ses défautsd'une sainte apparence, 6+6 a
Damne tous les humains,de sa pleine puissance. 6+6 a
 Un libertin, d'ailleurs,qui, sans âme et sans foi, 6+6 b
Se fait de son plaisirune suprême loi, 6+6 b
25 Tient que ces vieux proposde Démons et de flammes 6+6 a
Sont bons pour étonnerdes enfants et des femmes, 6+6 a
Que c'est s'embarrasserde soucis superflus, 6+6 b
Et qu'enfin tout dévota le cerveau perclus. 6+6 b
 En un mot, qui voudraitépuiser ces matières, 6+6 a
30 Peignant de tant d'espritsles diverses manières, 6+6 a
Il compterait plutôtcombien, dans un printemps, 6+6 b
Guénaud et l'antimoineont fait mourir de gens, 6+6 b
Et combien la Neveu,devant son mariage, 6+6 a
A de fois au publicvendu son p....pucelage 6+6 a
35  Mais, sans errer en vaindans ces vagues propos, 6+6 b
Et pour rimer icima pensée en deux mots ; 6+6 b
N'en déplaise à ces fousnommés sages de Grèce, 6+6 a
En ce monde il n'est pointde parfaite sagesse ; 6+6 a
Tous les hommes sont fous ;et, malgré tous leurs soins, 6+6 b
40 Ne diffèrent entre euxque du plus ou du moins. 6+6 b
 Comme on voit qu'en un bois,que cent routes séparent, 6+6 a
Les voyageurs sans guideassez souvent s'égarent, 6+6 a
L'un à droit, l'autre à gauche,et, courant vainement, 6+6 b
La même erreur les faiterrer diversement : 6+6 b
45 Chacun suit dans le mondeune route incertaine, 6+6 a
Selon que son erreurle joue et le promène, 6+6 a
Et tel y fait l'habileet nous traite de fous, 6+6 b
Qui sous le nom de sageest le plus fou de tous. 6+6 b
Mais, quoi que sur ce pointla satire publie, 6+6 a
50 Chacun veut en sagesseériger sa folie, 6+6 a
Et, se laissant réglerà son esprit tortu, 6+6 b
De ses propres défautsse fait une vertu. 6+6 b
Ainsi, — cela soit ditpour qui veut se conntre, 6+6 a
— Le plus sage est celuiqui ne pense point l'être ; 6+6 a
55 Qui, toujours pour un autreenclin vers la douceur, 6+6 b
Se regarde soi-mêmeen sévère censeur, 6+6 b
Rend à tous ses défautsune exacte justice, 6+6 a
Et fait sans se flatterle procès à son vice. 6+6 a
Mais, chacun pour soi-mêmeest toujours indulgent. 6+6 b
60  Un avare, idolâtreet fou de son argent, 6+6 b
Rencontrant la disetteau sein de l'abondance, 6+6 a
Appelle sa folieune rare prudence, 6+6 a
Et met toute sa gloireet son souverain bien 6+6 b
A grossir un trésorqui ne lui sert de rien. 6+6 b
65 Plus il le voit accru,moins il en sait l'usage. 6+6 a
 « Sans mentir, l'avariceest une étrange rage, » 6+6 a
Dira cet autre fou,non moins privé de sens, 6+6 b
Qui jette, furieux,son bien à tous venants, 6+6 b
Et dont l'âme inquiète,à soi-même importune, 6+6 a
70 Se fait un embarrasde sa bonne fortune. 6+6 a
Qui des deux en effetest le plus aveuglé ? 6+6 b
 « L'un et l'autre, à mon sens,ont le cerveau troublé, » 6+6 b
Répondra, chez Fredoc,ce marquis sage et prude, 6+6 a
Et qui sans cesse au jeu,dont il fait son étude, 6+6 a
75 Attendant son destind'un quatorze ou d'un sept, 6+6 b
Voit sa vie ou sa mortsortir de son cornet. 6+6 b
Que si d'un sort fâcheuxla maligne inconstance 6+6 a
Vient par un coup fatalfaire tourner la chance, 6+6 a
Vous le verrez bientôt,les cheveux hérissés, 6+6 b
80 Et les yeux vers le cielde fureur élancés, 6+6 b
Ainsi qu'un possédéque le prêtre exorcise, 6+6 a
Fêter dans ses sermentstous les saints de l'Église. 6+6 a
Qu'on le lie ; ou je crains,à son air furieux, 6+6 b
Que ce nouveau Titann'escalade les cieux. 6+6 b
85  Mais laissons-le plutôten proie à son caprice. 6+6 a
Sa folie, aussi bien,lui tient lieu de supplice. 6+6 a
Il est d'autres erreurs,dont l'aimable poison 6+6 b
D'un charme bien plus douxenivre la raison : 6+6 b
L'esprit dans ce nectarheureusement s'oublie. 6+6 a
90  Chapelain veut rimer,et c'est là sa folie. 6+6 a
Mais, bien que ses durs vers,d'épithètes enflés, 6+6 b
Soient des moindres grimaudschez Ménage sifflés, 6+6 b
Lui-même il s'applaudit,et, d'un esprit tranquille, 6+6 a
Prend le pas au Parnasseau-dessus de Virgile. 6+6 a
95 Que ferait-il, hélas !si quelque audacieux 6+6 b
Allait pour son malheurlui dessiller les yeux, 6+6 b
Lui faisant voir ses vers,et sans force, et sans grâces, 6+6 a
Montés sur deux grands mots,comme sur deux échasses ; 6+6 a
Ses termes sans raisonl'un de l'autre écartés ; 6+6 b
100 Et ses froids ornementsà la ligne plantés ? 6+6 b
Qu'il maudirait le jour, son âme insensée 6+6 a
Perdit l'heureuse erreurqui charmait sa pensée ! 6+6 a
 Jadis certain bigot,d'ailleurs homme sensé, 6+6 b
D'un mal assez bizarreeut le cerveau blessé, 6+6 b
105 S'imaginant sans cesse,en sa douce manie, 6+6 a
Des Esprits bienheureuxentendre l'harmonie. 6+6 a
Enfin, un médecin,fort expert en son art, 6+6 b
Le guérit par adresse,ou plutôt par hasard ; 6+6 b
Mais, voulant de ses soinsexiger le salaire, 6+6 a
110 « Moi ! vous payer ? lui ditle bigot en colère, 6+6 a
Vous, dont l'art infernal,par des secrets maudits, 6+6 b
En me tirant d'erreur,m'ôte du paradis ?… » 6+6 b
 J'approuve son courroux.Car, puisqu'il faut le dire, 6+6 a
Souvent de tous nos mauxla raison est le pire : 6+6 a
115 C'est elle qui, farouche,au milieu des plaisirs, 6+6 b
D'un remords importunvient brider nos désirs. 6+6 b
La fâcheuse a pour nousdes rigueurs sans pareilles : 6+6 a
C'est un pédant, qu'on asans cesse à ses oreilles, 6+6 a
Qui toujours nous gourmande,et, loin de nous toucher, 6+6 b
120 Souvent, comme Joli,perd son temps à prêcher. 6+6 b
En vain certains rêveursnous l'habillent en reine, 6+6 a
Veulent sur tous nos sensla rendre souveraine, 6+6 a
Et, s'en formant en terreune divinité, 6+6 b
Pensent aller par elleà la félicité : 6+6 b
125 « C'est elle, disent-ils,qui nous montre à bien vivre. » 6+6 a
Ces discours, il est vrai,sont fort beaux dans un livre ; 6+6 a
Je les estime fort ;mais je trouve en effet 6+6 b
Que le plus fou, souvent,est le plus satisfait. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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