Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BOI_2/BOI3
Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX
SATIRES
1666-1716
SATIRE II
A M. DE MOLIÈRE
Rare et fameux esprit,dont la fertile veine 6+6 a
Ignore en écrivantle travail et la peine, 6+6 a
Pour qui tient Apollontous ses trésors ouverts, 6+6 b
Et qui sais à quel coinse marquent les bons vers, 6+6 b
5 Dans les combats d'espritsavant mtre d'escrime, 6+6 a
Enseigne-moi, Molière, tu trouves la rime. 6+6 a
On dirait, quand tu veux,qu'elle te vient chercher : 6+6 b
Jamais au bout du verson ne te voit broncher, 6+6 b
Et, sans qu'un long détourt'arrête ou t'embarrasse, 6+6 a
10 A peine as-tu parléqu'elle-même s'y place. 6+6 a
Mais, moi, qu'un vain caprice,une bizarre humeur, 6+6 b
Pour mes péchés, je crois,fit devenir rimeur, 6+6 b
Dans ce rude métier mon esprit se tue, 6+6 a
En vain, pour la trouver,je travaille et je sue, 6+6 a
15 Souvent j'ai beau rêverdu matin jusqu'au soir : 6+6 b
Quand je veux dire blanc,la quinteuse dit noir. 6+6 b
Si je veux d'un galantdépeindre la figure, 6+6 a
Ma plume pour rimertrouve l'abbé de Pure ; 6+6 a
Si je pense exprimerun auteur sans défaut, 6+6 b
20 La raison dit Virgile,et la rime Quinault ; 6+6 b
Enfin, quoi que je fasse,ou que je veuille faire, 6+6 a
La bizarre toujoursvient m'offrir le contraire. 6+6 a
De rage, quelquefois,ne pouvant la trouver, 6+6 b
Triste, las, et confus,je cesse d'y rêver, 6+6 b
25 Et, maudissant vingt foisle démon qui m'inspire, 6+6 a
Je fais mille sermentsde ne jamais écrire. 6+6 a
Mais, quand j'ai bien mauditet Muses et Phébus, 6+6 b
Je la vois qui partquand je n'y pense plus. 6+6 b
Aussitôt, malgré moi,tout mon feu se rallume, 6+6 a
30 Je reprends sur-le-chample papier et la plume, 6+6 a
Et, de mes vains sermentsperdant le souvenir, 6+6 b
J'attends de vers en versqu'elle daigne venir. 6+6 b
Encor si, pour rimer,dans sa verve indiscrète, 6+6 a
Ma Muse, au moins, souffraitune froide épithète ! 6+6 a
35 Je ferais comme un autre,et, sans chercher si loin, 6+6 b
J'aurais toujours des motspour les coudre au besoin. 6+6 b
Si je louais Philisen miracles féconde, 6+6 a
Je trouverais bientôt :à nulle autre seconde ; 6+6 a
Si je voulais vanterun objet nonpareil, 6+6 b
40 Je mettrais à l'instant :plus beau que le soleil ; 6+6 b
Enfin, parlant toujoursd'astres et de merveilles, 6+6 a
De chefs-d'œuvre des cieux,de beautés sans pareilles, 6+6 a
Avec tous ces beaux mots,souvent mis au hasard, 6+6 b
Je pourrais aisément,sans génie et sans art, 6+6 b
45 Et transposant cent foiset le nom et le verbe, 6+6 a
Dans mes vers recoususmettre en pièces Malherbe. 6+6 a
Mais, mon esprit, tremblantsur le choix de ses mots, 6+6 b
N'en dira jamais uns'il ne tombe à propos, 6+6 b
Et ne saurait souffrirqu'une phrase insipide 6+6 a
50 Vienne à la fin d'un versremplir la place vide ; 6+6 a
Ainsi, recommençantun ouvrage vingt fois, 6+6 b
Si j'écris quatre mots,j'en effacerai trois. 6+6 b
 Maudit soit le premier,dont la verve insensée 6+6 a
Dans les bornes d'un versrenferma sa pensée, 6+6 a
55 Et, donnant à ses motsune étroite prison, 6+6 b
Voulut avec la rimeenchner la raison ! 6+6 b
Sans ce métier, fatalau repos de ma vie, 6+6 a
Mes jours, pleins de loisir,couleraient sans envie : 6+6 a
Je n'aurais qu'à chanter,rire, boire d'autant, 6+6 b
60 Et, comme un gras chanoine,à mon aise, et content, 6+6 b
Passer tranquillement,sans souci, sans affaire, 6+6 a
La nuit à bien dormir,et le jour à rien faire. 6+6 a
Mon cœur, exempt de soins,libre de passion, 6+6 b
Sait donner une borneà son ambition, 6+6 b
65 Et, fuyant des grandeursla présence importune, 6+6 a
Je ne vais point au Louvreadorer la fortune, 6+6 a
Et je serais heureux,si, pour me consumer, 6+6 b
Un destin envieuxne m'avait fait rimer. 6+6 b
 Mais, depuis le momentque cette frénésie 6+6 a
70 De ses noires vapeurstroubla ma fantaisie, 6+6 a
Et qu'un Démon, jalouxde mon contentement, 6+6 b
M'inspira le desseind'écrire poliment, 6+6 b
Tous les jours, malgré moi,cloué sur un ouvrage, 6+6 a
Retouchant un endroit,effaçant une page, 6+6 a
75 Enfin, passant ma vieen ce triste métier, 6+6 b
J'envie, en écrivant,le sort de Pelletier. 6+6 b
 Bienheureux Scudéri,dont la fertile plume 6+6 a
Peut tous les mois sans peineenfanter un volume ! 6+6 a
Tes écrits, il est vrai,sans art et languissants, 6+6 b
80 Semblent être formésen dépit du bon sens ! 6+6 b
Mais ils trouvent pourtant,quoi qu'on en puisse dire, 6+6 a
Un marchand pour les vendre,et des sots pour les lire ; 6+6 a
Et quand la rime enfinse trouve au bout des vers, 6+6 b
Qu'importe que le restey soit mis de travers ? 6+6 b
85 Malheureux mille foiscelui dont la manie 6+6 a
Veut aux règles de l'artasservir son génie ! 6+6 a
Un sot, en écrivant,fait tout avec plaisir ; 6+6 b
Il n'a point en ses versl'embarras de choisir ; 6+6 b
Et, toujours amoureuxde ce qu'il vient d'écrire, 6+6 a
90 Ravi d'étonnement,en soi-même il s'admire. 6+6 a
Mais, un esprit sublimeen vain veut s'élever 6+6 b
A ce degré parfaitqu'il tâche de trouver ; 6+6 b
Et, toujours mécontentde ce qu'il vient de faire, 6+6 a
Il plt à tout le monde,et ne saurait se plaire ; 6+6 a
95 Et tel dont en tous lieuxchacun vante l'esprit 6+6 b
Voudrait pour son reposn'avoir jamais écrit. 6+6 b
 Toi donc, qui vois les maux ma Muse s'abîme, 6+6 a
De grâce, enseigne-moil'art de trouver la rime, 6+6 a
Ou, puisque enfin tes soinsy seraient superflus, 6+6 b
100 Molière, enseigne-moil'art de ne rimer plus. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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