Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BAU_1/BAU126
Charles BAUDELAIRE
LES FLEURS DU MAL
1857-1861
FLEURS DU MAL
CXXII
Un voyage à Cythère
Mon cœur, comme un oiseau, | voltigeait tout joyeux 6+6 a
Et planait librement | à l’entour des cordages ; 6+6 b
Le navire roulait | sous un ciel sans nuages, 6+6 b
Comme un ange enivré | du soleil radieux. 6+6 a
5 Quelle est cette île triste | et noire ? — C’est Cythère, 6+6 a
Nous dit-on, un pays | fameux dans les chansons, 6+6 b
Eldorado banal | de tous les vieux garçons. 6+6 b
Regardez, après tout, | c’est une pauvre terre. 6+6 a
— Île des doux secrets | et des fêtes du cœur ! 6+6 a
10 De l’antique Vénus | le superbe fantôme 6+6 b
Au-dessus de tes mers | plane comme un arome, 6+6 b
Et charge les esprits | d’amour et de langueur. 6+6 a
Belle île aux myrtes verts, | pleine de fleurs écloses, 6+6 a
Vénérée à jamais | par toute nation, 6+6 b
15 Où les soupirs des cœurs | en adoration 6+6 b
Roulent comme l’encens | sur un jardin de roses 6+6 a
Ou le roucoulement | éternel d’un ramier ! 6+6 a
— Cythère n’était plus | qu’un terrain des plus maigres, 6+6 b
Un désert rocailleux | troublé par des cris aigres. 6+6 b
20 J’entrevoyais pourtant | un objet singulier ! 6+6 a
Ce n’était pas un temple | aux ombres bocagères, 6+6 a
Où la jeune prêtresse, | amoureuse des fleurs, 6+6 b
Allait, le corps brûlé | de secrètes chaleurs, 6+6 b
Entre-bâillant sa robe | aux brises passagères ; 6+6 a
25 Mais voilà qu’en rasant | la côte d’assez près 6+6 a
Pour troubler les oiseaux | avec nos voiles blanches, 6+6 b
Nous vîmes que c’était | un gibet à trois branches, 6+6 b
Du ciel se détachant | en noir, comme un cyprès. 6+6 a
De féroces oiseaux | perchés sur leur pâture 6+6 a
30 Détruisaient avec rage | un pendu déjà mûr, 6+6 b
Chacun plantant, comme un | outil, son bec impur 6−6 b
Dans tous les coins saignants | de cette pourriture ; 6+6 a
Les yeux étaient deux trous, | et du ventre effondré 6+6 a
Les intestins pesants | lui coulaient sur les cuisses, 6+6 b
35 Et ses bourreaux, gorgés | de hideuses délices, 6+6 b
L’avaient à coups de bec | absolument châtré. 6+6 a
Sous les pieds, un troupeau | de jaloux quadrupèdes, 6+6 a
Le museau relevé, | tournoyait et rôdait ; 6+6 b
Une plus grande bête | au milieu s’agitait 6+6 b
40 Comme un exécuteur | entouré de ses aides. 6+6 a
Habitant de Cythère, | enfant d’un ciel si beau, 6+6 a
Silencieusement | tu souffrais ces insultes 6+6 b
En expiation | de tes infâmes cultes 6+6 b
Et des péchés qui t’ont | interdit le tombeau. 6+6 a
45 Ridicule pendu, | tes douleurs sont les miennes ! 6+6 a
Je sentis, à l’aspect | de tes membres flottants, 6+6 b
Comme un vomissement, | remonter vers mes dents 6+6 b
Le long fleuve de fiel | des douleurs anciennes ; 6+6 a
Devant toi, pauvre diable | au souvenir si cher, 6+6 a
50 J’ai senti tous les becs | et toutes les mâchoires 6+6 b
Des corbeaux lancinants | et des panthères noires 6+6 b
Qui jadis aimaient tant | à triturer ma chair. 6+6 a
— Le ciel était charmant, | la mer était unie ; 6+6 a
Pour moi tout était noir | et sanglant désormais, 6+6 b
55 Hélas ! et j’avais, comme | en un suaire épais, 6+6 b
Le cœur enseveli | dans cette allégorie. 6+6 a
Dans ton île, ô Vénus ! | je n’ai trouvé debout 6+6 a
Qu’un gibet symbolique | où pendait mon image… 6+6 b
— Ah ! Seigneur ! donnez-moi | la force et le courage 6+6 b
60 De contempler mon cœur | et mon corps sans dégoût ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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