Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BAN_3/BAN162
Théodore de BANVILLE
Les Exilés
1867
LE CHER FANTÔME
Ô larmes de mon cœur,lorsque la bien-aimée 6+6 a
Fut morte, et que sa tombe,hélas ! Fut refermée, 6+6 a
Quand tout fut bien fini,quand je demeurai seul, 6+6 b
Ayant vu cette enfantcousue en son linceul, 6+6 b
5 Oh ! Je ne pleurai passon âme, non, sans doute ! 6+6 a
Car tout me disait bienque l'âme prend sa route 6+6 a
Vers les déserts du cieléthéré ; qu'étant dieu, 6+6 b
Elle s'élanceravers les astres de feu 6+6 b
Comme un puissant oiseau,pour se plonger, ravie, 6+6 a
10 Dans les ruissellementsde joie et dans la vie. 6+6 a
Mais je pleurais sa formeadorable, son corps 6+6 b
la grâce divineavait mis ses accords, 6+6 b
Et dans son effrayanteet chaste et fière allure 6+6 a
Cet or en fusionqui fut sa chevelure ! 6+6 a
15  Quoi ! Disais-je, cet or,ces roses, ces blancheurs, 6+6 b
Cette chair, couraientles plus douces frcheurs, 6+6 b
Ces noirs sourcils, les cilsque la brise querelle, 6+6 a
Sa prunelle la flammeétait surnaturelle, 6+6 a
Son bras pur, ces lueursfauves qui m'enivraient, 6+6 b
20 Ces pourpres, ces rougeurs,ces lèvres qui s'ouvraient 6+6 b
Voluptueusementainsi que des corolles, 6+6 a
Tout cela n'est plus riendésormais ; ses paroles 6+6 a
Ne dérouleront plusdes notes de cristal ! 6+6 b
Ô douleurs, ô ruine,ô délire fatal ! 6+6 b
25 Quoi ! Ce chef-d'œuvre entierde formes et de lignes, 6+6 a
Son jeune sein, plus blancque la plume des cygnes, 6+6 a
Et ce vague frissonde rose d'Orient 6+6 b
la lumière passeet joue en souriant, 6+6 b
Ces dents la caresseaimante se mutine, 6+6 a
30 Cet ensemble de grâceet de force enfantine, 6+6 a
Ce beau type idéalsur la terre jeté 6+6 b
Dans sa perfectionet son étrangeté, 6+6 b
Va s'endormir sous l'herbeet, dépouille flétrie, 6+6 a
Cet objet merveilleuxde mon idolâtrie 6+6 a
35 Dans la nuit du tombeau,dans l'immuable hiver, 6+6 b
Lambeau meurtri, pâtureeffroyable du ver, 6+6 b
Sentira donc sur luices bouches assassines 6+6 a
Dans la terre gluante passent des racines ! 6+6 a
 Puis sa chair, ses os mêmeen cendre s'en iront ; 6+6 b
40 L'arbre insensible et durpoussera dans son front, 6+6 b
Et les buissons, les fleurs,l'herbe du cimetière, 6+6 a
Nourris d'elle à jamais,la boiront tout entière ! 6+6 a
Elle fera grandirles rameaux chevelus, 6+6 b
Et de tant de trésorsil ne restera plus 6+6 b
45 Que le lys meurtrieret la rose sanglante ! 6+6 a
 C'est ainsi qu'en ma têteen feu, de pleurs brûlante, 6+6 a
Je roulais ma misèreet mon affreux souci. 6+6 b
Moi, le fougueux athlèteà la lutte endurci, 6+6 b
Je sentais mon courage,archer vainqueur de l'ombre, 6+6 a
50 Fuir étonné devantl'horreur de la nuit sombre, 6+6 a
Comme aussi ma vertu,ce cavalierant, 6+6 b
Frissonner sur le gouffreimmense duant. 6+6 b
Pâle, éperdu, pensif,pris dans un noir délire, 6+6 a
Je n'osais même plustoucher la grande lyre. 6+6 a
55 Pendant plus de trois ansprivé de ma raison, 6+6 b
Et revoyant toujoursle verre de poison 6+6 b
Dans sa petite maintremblante, avec délice 6+6 a
Je pleurai cette enfantqui fut mon Eurydice, 6+6 a
Et, comme un naufragéqui sous le gouffre vert 6+6 b
60 Évanoui, rigideet par les eaux couvert, 6+6 b
Ne sentant même plusle froid qui le dévore 6+6 a
Ni le ruissellementglacé, gémit encore 6+6 a
Parmi l'obscuritémurmurante des flots, 6+6 b
Même dans mon sommeilje poussais des sanglots. 6+6 b
65  Mais une nuit, au seindes sinistres féeries, 6+6 a
Tandis que je dormaissous le fouet des furies, 6+6 a
Et que dans le cruelsilence mes tourments 6+6 b
S'exhalaient par des pleurset des gémissements, 6+6 b
Je la revis, c'étaitbien elle ! Dans un rêve. 6+6 a
70 Oh ! Si belle toujours !Sa chevelure d'Ève, 6+6 a
Comme une vapeur d'or,voltigeait à l'entour 6+6 b
De son front ; son visageétincelait d'amour, 6+6 b
Et mes regards, ferméspour les choses profanes, 6+6 a
Voyaient le sang courirdans ses bras diaphanes ! 6+6 a
75 Lumineuse, trnantun long vêtement bleu, 6+6 b
Contre la cheminée brûlait un grand feu 6+6 b
Elle appuya sa maind'opale radieuse, 6+6 a
Et toute son allureétait mélodieuse ! 6+6 a
 L'ardent rayonnementque projette l'esprit 6+6 b
80 La faisait resplendirtout entière ; elle ouvrit 6+6 b
Sa bouche dont la lignet ravi Praxitèle 6+6 a
Et parla : « cher, ô cherexilé, disait-elle 6+6 a
En laissant résonnerle cristal de sa voix, 6+6 b
Ne pleure plus ! Je vistelle que tu me vois, 6+6 b
85 Frche comme le lyset la rose trémière. 6+6 a
Mes cheveux fulgurants,effluves de lumière, 6+6 a
Vivent ; et ces couleurs,ces formes, ces contours 6+6 b
Que tu nommais jadismon corps, vivent toujours, 6+6 b
Mais beaux, mais rajeunispar une apothéose, 6+6 a
90 Et ma lèvre d'enfantsourit, sanglante et rose ! 6+6 a
L'âme silencieuseet le corps sont tous deux 6+6 b
Immortels sans retour,et ce serpent hideux 6+6 b
Qui mord, en se tordant,le talon de ses mtres, 6+6 a
La mort, ne détruit pasla figure des êtres. 6+6 a
95 Ce qui meurt ici-basnt dans l'infini bleu. 6+6 b
Écoute bien ceci :quand le pouce de Dieu 6+6 b
S'est imprimé, rêveur,sur une face humaine, 6+6 a
L'empreinte vit, malgréla mort, malgré la haine, 6+6 a
Malgré la sombre nuitd' l'esclave aux beaux yeux 6+6 b
100 Une seconde foiss'élance radieux. 6+6 b
 Oui, sans doute, la mort,l'être affreux que tu nommes 6+6 a
La mort, mange et détruitl'enveloppe des hommes ; 6+6 a
Elle plante sa dentcruelle dans nos chairs, 6+6 b
Et, pour le désespoirde ceux qui nous sont chers, 6+6 b
105 Avec les ossementsd' veut sortir un ange 6+6 a
Elle fait de la cendreinerte et de la fange ; 6+6 a
Mais, quand son noir travailest fini, quand sa main 6+6 b
A pendant bien des jourstorturé l'être humain, 6+6 b
Lorsqu'elle a transforméce chef-d'œuvre en poussière, 6+6 a
110 Alors, du limon vil,de la cendre grossière, 6+6 a
tout s'arrêteraitpour le stoïcien, 6+6 b
Rent un corps nouveau,tout pareil à l'ancien, 6+6 b
Effrayant comme luipour la mort altérée, 6+6 a
Mais fait d'une substanceencor plus éthérée. 6+6 a
115  Dans ses veines, aprèsle formidable exil 6+6 b
De la terre, circuleun sang vif et subtil ; 6+6 b
Sa lèvre, qu'un rayontouche, se rassasie 6+6 a
D'air immatérielsaturé d'ambroisie ; 6+6 a
Son esprit est lumière,et ses sens plus parfaits 6+6 b
120 Pénètrent d'un seul coupla cause et les effets. 6+6 b
Mais ce qui fut d'abordsa beauté sur la terre 6+6 a
Survit dans son aspectdivin que rien n'altère, 6+6 a
Et, lorsqu'il est permisà l'homme sans remords 6+6 b
De les voir dans un rêve,il reconnt les morts. 6+6 b
125 Oui, regarde-moi bien,je vis, blanche, enflammée, 6+6 a
Pure, mais telle enfinque tu m'as tant aimée, 6+6 a
Superbe comme Hélèneà la clarté du jour. 6+6 b
Et quand, né de la fangeet de l'ombre, à ton tour 6+6 b
Tu te verras surgiréperdu vers l'aurore, 6+6 a
130 N'emportant d'ici-basque ta lyre sonore, 6+6 a
Nos chers liens d'amourne seront pas brisés, 6+6 b
Et tu retrouverasmon front sous tes baisers. 6+6 b
 Seulement, désormais,les ombres sépulcrales 6+6 a
Ont fui mes yeux emplisde lueurs sidérales ; 6+6 a
135 Mon pied, qui de l'espaceouvert n'est plus banni, 6+6 b
Bondit d'un vol charmantdans le libre infini ; 6+6 b
Mes sens plus compliquéset qui percent les voiles 6+6 a
Peoivent dans l'étherle parfum des étoiles 6+6 a
Et voient distinctementles formes de l'azur. 6+6 b
140 La musique des cieux,le chant jadis obscur 6+6 b
Des sphères, dans son rhythmearrive à mon oreille ; 6+6 a
Les constellationsde la vte vermeille 6+6 a
Pendent à ma portée,et je touche à leurs nœuds 6+6 b
Épars, et dénouantmes cheveux lumineux 6+6 b
145 Au vent du ciel baignédans le concert des astres, 6+6 a
Je l'écoute, appuyéeau pied des bleus pilastres, 6+6 a
Tandis que tout un chœurau vol démesuré 6+6 b
Accourt au flamboiementde mon vol azuré. 6+6 b
Vois-les, ces cheveux d'or le rayon se pose, 6+6 a
150 Ce front, ces bras de neigeet ce talon de rose, 6+6 a
Et cette bouche folleheureuse de fleurir, 6+6 b
Ne pleure plus jamaisce qui ne peut mourir, 6+6 b
Et que ta voix parmiles hommes se déploie 6+6 a
Dans un immense chantlyrique, ivre de joie. » 6+6 a
155  Vision, vision !Toujours tu brilleras 6+6 b
Devant ma face, avecla neige de ses bras 6+6 b
Et je suivrai toujoursdans une ombre sacrée 6+6 a
Sa chevelure d'orpar des flammes dorée. 6+6 a
C'est pourquoi je seraijoyeux, comme un sculpteur 6+6 b
160 Dont l'âme virginaleet dont l'œil contempteur 6+6 b
Ne veut pas une tacheà la blancheur des marbres ; 6+6 a
Près de la source froide,ange, et sous les grands arbres, 6+6 a
Dans un chant triomphalqui se rit du tombeau, 6+6 b
Je redirai la gloireimmortelle du beau. 6+6 b
165 Tout brûlant du baisercéleste d'Eurydice, 6+6 a
Je chanterai l'amour,la clarté, la justice, 6+6 a
Et les hommes pensifss'éblouiront de voir 6+6 b
Mes regards de héros,fixés sur le devoir, 6+6 b
Mépriser tous les vilsintérêts de la terre, 6+6 a
170 Cependant que mon odeouvre, fleur solitaire, 6+6 a
Son calice de pourpreardente épanoui, 6+6 b
Et que je sentirai,dans un rêve inouï, 6+6 b
Cet ange glorieux,vainqueur des épouvantes, 6+6 a
Secouer sur mon frontdes étoiles vivantes. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université