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Félix ARVERS
POÉSIES
1833
MES HEURES PERDUES
La Saint-Barthélemy
I
Les prêtres avaient dit : « En ce temps-là, mes frères, 12
On a vu s'élever des docteurs téméraires, 12
Des dogmes de la foi censeurs audacieux : 12
Au fond du Saint des saints l'Arche s'est refermée, 12
5 Et le puits de l'abîme a vomi la fumée 12
Qui devait obscurcir la lumière des cieux. 12
L'Antéchrist est venu, qui parcourut la terre : 12
Tout à coup, soulevant un terrible mystère, 12
L'impie a remué de profanes débats ; 12
10 Il a dressé la tête : et des voix hérétiques 12
Ont outragé la Bible, et chanté les cantiques 12
Dans le langage impur qui se parle ici-bas. 12
Mais si le ciel permet que l'Église affligée 12
Gémisse pour un temps, et ne soit point vengée ; 12
15 S'il lui plaît de l'abattre et de l'humilier : 12
Si sa juste colère, un moment assoupie. 12
Dans sa gloire d'un jour laisse dormir l'impie, 12
Et livre ses élus au bras séculier ; 12
Quand les temps sont venus, le fort qui se relève 12
20 Soudain de la main droite a ressaisi le glaive : 12
Sur les débris épars qui gisaient sans honneur 12
Il rebâtit le Temple, et ses armes bénites 12
Abattent sous leurs coups les vils Madianites, 12
Comme fait les épis la faux du moissonneur. 12
25 Allez donc, secondant de pieuses vengeances, 12
Pour vous et vos parens gagner les indulgences ; 12
Fidèles, qui savez croire sans examen, 12
Noble race d'élus que le ciel a choisie, 12
Allez, et dans le sang étouffez l'hérésie ! 12
30 Ou la messe, ou la mort !» — Le peuple dit : Amen. 12
II
A l'hôtel de Soissons, dans une tour mystique, 12
Catherine interroge avec des yeux émus 12
Des signes qu'imprima l'anneau cabalistique 12
Du grand Michel Nostradamus. 8
35 Elle a devant l'autel déposé sa couronne ; 12
A l'image de sa patronne, 8
En s'agenouillant pour prier. 8
Elle a dévotement promis une neuvaine, 12
Et tout haut, par trois fois, conjuré la verveine 12
40 Et la branche du coudrier. 8
« Les astres ont parlé : qui sait entendre, entende ! 12
Ils ont nommé ce vieux Gaspard de Châtillon : 12
Ils veulent qu'en un jour ma vengeance s'étende 12
De l'Artois jusqu'au Roussillon. 8
45 Les pieux défenseurs de la foi chancelante 12
D'une guerre déjà trop lente 8
Ont assez couru les hasards : 8
A la cause du ciel unissons mon outrage. 12
Périssent, engloutis dans un même naufrage. 12
50 Les huguenots et les guisards ! » 8
III
C'était un samedi du mois d'août : c'était l'heure 12
Où l'on entend de loin, comme une voix qui pleure, 12
De l'angélus du soir les accens retentir : 12
Et le jour qui devait terminer la semaine 12
55 Était le jour voué, par l'Église romaine. 12
A saint Barthélémy, confesseur et martyr. 12
Quelle subite inquiétude 8
A cette heure ? quels nouveaux cris 8
Viennent troubler la solitude 8
60 Et le repos du vieux Paris ? 8
Pourquoi tous ces apprêts funèbres, 8
Pourquoi voit-on dans les ténèbres 8
Ces archers et ces lansquenets ? 8
Pourquoi ces pierres entassées, 8
65 Et ces chaînes de fer placées 8
Dans le quartier des Bourdonnais ? 8
On ne sait. Mais enfin, quelque chose d'étrange 12
Dans l'ombre de la nuit se prépare et s'arrange. 12
Les prévôts des marchands, Marcel et Jean Charron. 12
70 D'un projet ignoré mystérieux complices. 12
Ont à l'Hôtel-de-Ville assemblé les milices, 12
Qu'ils doivent haranguer debout sur le perron. 12
La ville, dit-on, est cernée 8
De soldats, les mousquets chargés ; 8
75 Et l'on a vu, l'après-dînée. 8
Arriver les chevau-légers : 8
Dans leurs mains le fer étincelle ; 8
Ils attendent le boute-selle. 8
Prêts au premier commandement ; 8
80 Et des cinq cantons catholiques, 8
Sur l'Évangile et les reliques, 8
Les Suisses ont prêté serment. 8
Auprès de chaque pont des troupes sont postées : 12
Sur la rive du nord les barques transportées ; 12
85 Par ordre de la cour, quittant leurs garnisons, 12
Des bandes de soldats dans Paris accourues 12
Passent, la hallebarde au bras, et dans les rues 12
Des gens ont été vus qui marquaient des maisons. 12
On vit, quand la nuit fut venue, 8
90 Des hommes portant sur le dos 8
Des choses de forme inconnue 8
Et de mystérieux fardeaux. 8
Et les passans se regardèrent : 8
Aucuns furent qui demandèrent : 8
95 — Où portes-tu, par l'ostensoir ! 8
Ces fardeaux pesans, je te prie ? 8
— Au Louvre, votre seigneurie. 8
Pour le bal qu'on donne ce soir. 8
IV
Il est temps ; tout est prêt : les gardes sont placés. 12
100 De l'hôtel Châtillon les portes sont forcées ; 12
Saint-Germain-l'Auxerrois a sonné le tocsin : 12
Maudit de Rome, effroi du parti royaliste, 12
C'est le grand-amiral Coligni que la liste 12
Désigne le premier au poignard assassin. 12
105 — « Est-ce Coligni qu'on te nomme ? » 8
— « Tu l'as dit. Mais, en vérité, 8
Tu devrais respecter, jeune homme. 8
Mon âge et mon infirmité. 8
Va, mérite ta récompense ; 8
110 Mais, tu pouvais bien, que je pense, 8
T'épargner un pareil forfait 8
Pour le peu de jours qui m'attendent ! » 8
Ils hésitaient, quand ils entendent 8
Guise leur criant : « Est-ce fait ? » 8
115 Ils l'ont tué ! la tête est pour Rome. On espère 12
Que ce sera présent agréable au saint père. 12
Son cadavre est jeté par-dessus le balcon : 12
Catherine aux corbeaux l'a promis pour curée. 12
Et rira voir demain, de ses fils entourée, 12
120 Au gibet qu'elle a fait dresser à Montfaucon. 12
Messieurs de Nevers et de Guise, 8
Messieurs de Tavanne et de Retz, 8
Que le fer des poignards s'aiguise, 8
Que vos gentilshommes soient prêts. 8
125 Monsieur le duc d'Anjou, d'Entrague, 8
Bâtard d'Angoulême, Birague, 8
Faites armer tous vos valets ! 8
Courez où le ciel vous ordonne, 8
Car voici le signal que donne 8
130 La Tour-de-l'horloge au Palais. 8
Par l'espoir du butin ces hordes animées. 12
Agitant à la main des torches allumées, 12
Au lugubre signal se hâtent d'accourir : 12
Ils vont. Ceux qui voudraient, d'une main impuissante, 12
135 Écarter des poignards la pointe menaçante. 12
Tombent ; ceux qui dormaient s'éveillent pour mourir. 12
Troupes au massacre aguerries, 8
Bedeaux, sacristains et curés, 8
Moines de toutes confréries. 8
140 Capucins, Carmes, Prémontrés, 8
Excitant la fureur civile, 8
En tout sens parcourent la ville 8
Armés d'un glaive et d'un missel. 8
Et vont plaçant des sentinelles 8
145 Du Louvre au palais des Tournelles 8
De Saint-Lazare à Saint-Marcel. 8
Parmi les tourbillons d'une épaisse fumée 12
Que répand en flots noirs la résine enflammée, 12
A la rouge clarté du feu des pistolets, 12
150 On voit courir des gens à sinistre visage, 12
Et comme des oiseaux de funeste présage, 12
Les clercs du Parlement et des deux Châtelets. 12
Invoquant les saints et les saintes, 8
Animés par les quarteniers, 8
155 Ils jettent les femmes enceintes 8
Par-dessus le Pont-aux-Meuniers. 8
Dans les cours, devant les portiques. 8
Maîtres, écuyers, domestiques. 8
Tous sont égorgés sans merci : 8
160 Heureux qui peut dans ce carnage, 8
Traversant la Seine à la nage. 8
Trouver la porte de Bussi ! 8
C'est par là que, trompant leur fureur meurtrière, 12
Avertis à propos, le vidame Perrière, 12
165 De Fontenay, Caumont, et de Montgomery, 12
Pressés qu'ils sont de fuir, sans casque, sans cuirasse. 12
Échappent aux soldats qui courent sur leur trace 12
Jusque sous les remparts de Montfort-l'Amaury. 12
Et toi, dont la crédule enfance, 8
170 Jeune Henri le Navarrois. 8
S'endormit, faible et sans défense, 8
Sur la foi que donnaient les rois ; 8
L'espérance te soit rendue : 8
Une clémence inattendue 8
175 A pour toi suspendu l'arrêt ; 8
Vis pour remplir ta destinée, 8
Car ton heure n'est pas sonnée, 8
Et ton assassin n'est pas prêt ! 8
Partout des toits rompus et des portes brisées, 12
180 Des cadavres sanglans jetés par les croisées, 12
A des corps mutilés des femmes insultant ; 12
De bourgeois, d'écoliers, des troupes meurtrières. 12
Des blasphèmes, des pleurs, des cris et des prières. 12
Et des hommes hideux qui s'en allaient chantant : 12
185 « Valois et Lorraine 5
Et la double croix ! 5
L'hérétique apprenne 5
Le pape et ses droits ! 5
Tombant sous le glaive. 5
190 Que l'impie élève 5
Un bras impuissant ; 5
Archers de Lausanne, 5
Que la pertuisane 5
S'abreuve de sang ! 5
195 Croyez-en l'oracle 5
Des corbeaux passans, 5
Et le grand miracle 5
Des Saints-Innocens. 5
A nos cris de guerre 5
200 On a vu naguère, 5
Malgré les chaleurs, 5
Surgir une branche 5
D'aubépine franche 5
Couverte de fleurs ! 5
205 Honni qui pardonne ! 5
Allez sans effroi, 5
C'est Dieu qui l'ordonne, 5
C'est Dieu, c'est le roi ! 5
Le crime s'expie ; 5
210 Plongez à l'impie 5
Le fer au côté 5
Jusqu'à la poignée ; 5
Saignez ! la saignée 5
Est bonne en été ! » 5
V
215 Aux fenêtres du Louvre, on voyait le roi. « Tue, 12
Par la mort Dieu ! que l'hydre enfin soit abattue ! 12
Qu'est-ce ? ils veulent gagner le faubourg Saint-Germain ? 12
J'y mets empêchement : et, si je ne m'abuse, 12
Ce coup est bien au droit. — George, une autre arquebuse, 12
220 Et tenez toujours prête une mèche à la main. 12
Allons, tout va bien : Tue ! — Ah. Cadet de Lorraine, 12
Allez-vous-en quérir les filles de la reine. 12
Voici Dupont, que vient d'abattre un Écossais : 12
Vous savez son affaire ? Aussi bien, par la messe, 12
225 Le cas était douteux, et je vous fais promesse 12
Qu'elles auront plaisir à juger le procès. 12
Je sais comment la meute en plaine est gouvernée ; 12
Comment il faut chasser, en quel temps de l'année. 12
Aux perdrix, aux faisans, aux geais, aux étourneaux ; 12
230 Comment on doit forcer la fauve en son repaire ; 12
Mais je n'ai point songé, par l'âme de mon père, 12
A mettre en mon traité la chasse aux huguenots ! » 12
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