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ARV_1/ARV23
Félix ARVERS
POÉSIES
1833
PIÈCES INÉDITES
A Mon Ami ***
Tu sais l'amour et son ivresse 8
Tu sais l'amour et ses combats ; 8
Tu sais une voix qui t'adresse 8
Ces mots d'ineffable tendresse 8
5 Qui ne se disent que tout bas. 8
Sur un beau sein, ta bouche errante 8
Enfin a pu se reposer, 8
Et sur une lèvre mourante 8
Sentir la douceur enivrante 8
10 Que recèle un premier baiser — ! 8
Maître de ces biens qu'on envie 8
Ton cœur est pur, tes jours sont pleins ! 8
Esclave à tes vœux asservie, 8
La fortune embellit ta vie 8
15 Tu sais qu'on t'aime, et tu te plains ! 8
Et tu te plains ! et t'exagères 8
Ces vagues ennuis d'un moment, 8
Ces chagrins, ces douleurs légères, 8
Et ces peines si passagères 8
20 Qu'on ne peut souffrir qu'en aimant ! 8
Et tu pleures ! et tu regrettes 8
Cet épanchement amoureux ! 8
Pourquoi ces maux que tu t'apprêtes ? 8
Garde ces plaintes indiscrètes 8
25 Et ces pleurs pour les malheureux ! 8
Pour moi, de qui l'âme flétrie 8
N'a jamais reçu de serment, 8
Comme un exilé sans patrie, 8
Pour moi, qu'une voix attendrie 8
30 N'a jamais nommé doucement, 8
Personne qui daigne m'entendre, 8
A mon sort qui saigne s'unir, 8
Et m'interroge d'un air tendre, 8
Pourquoi je me suis fait attendre 8
35 Un jour tout entier sans venir. 8
Personne qui me recommande 8
De ne rester que peu d'instants 8
Hors du logis ; qui me gourmande 8
Lorsque je rentre et me demande 8
40 Où je suis allé si longtemps. 8
Jamais d'haleine caressante 8
Qui, la nuit, vienne m'embaumer ; 8
Personne dont la main pressante 8
Cherche la mienne, et dont je sente 8
45 Sur mon cœur les bras se fermer ! 8
Une fois pourtant — quatre années 8
Auraient-elles donc effacé 8
Ce que ces heures fortunées 8
D'illusions environnées 8
50 Au fond de mon âme ont laissé ? 8
Oh ! c'est qu'elle était si jolie ! 8
Soit qu'elle ouvrit ses yeux si grands, 8
Soit que sa paupière affaiblie 8
Comme un voile qui se déplie 8
55 Éteignit ses regards mourants ! 8
— J'osai concevoir l'espérance 8
Que les destins moins ennemis, 8
Prenant pitié de ma souffrance, 8
Viendraient me donner l'assurance 8
60 D'un bonheur qu'ils auraient permis : 8
L'heure que j'avais attendue, 8
Le bonheur que j'avais rêvé 8
A fui de mon âme éperdue, 8
Comme une note suspendue, 8
65 Comme un sourire inachevé ! 8
Elle ne s'est point souvenue 8
Du monde qui ne la vit pas ; 8
Rien n'a signalé sa venue, 8
Elle est passée, humble, inconnue, 8
70 Sans laisser trace de ses pas. 8
Depuis lors, triste et monotone, 8
Chaque jour commence et finit : 8
Rien ne m'émeut, rien ne m'étonne, 8
Comme un dernier rayon d'automne 8
75 J'aperçois mon front qui jaunit. 8
Et loin de tous, quand le mystère 8
De l'avenir s'est refermé, 8
Je fuis, exilé volontaire ! 8
— Il n'est qu'un bonheur sur la terre, 8
80 Celui d'aimer et d'être aimé. 8
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