LE ROND DOUBLE DU RONDEAU
1. Rondeau triolet
Que les passions fassent silence, que les vains bruits du monde se taisent, que les hommes admirent, et que les anges écoutent: nous allons parler du rondeau, lequel, dit à peu près l'Art Poètique Françoys de Thomas Sebillet (1548), tire son nom du fait qu'on y tourne doublement en rond[1], car on y revient par deux fois à son début. Mon propos est ici de donner de ce double rond une idée plus précise. Toute une famille de formes apparemment hétérogènes se rangeant sous le nom général de rondeaux; c'est en examinant attentivement la spécificité de quelques types importants (je ne prétends pas rendre compte de toute la variété des formes observées) que je chercherai à montrer leur (éventuelle) unité.
Sebillet parle d'abord du rondeau triolet, dont il donne l'exemple suivant[2]:
Votre cul verd couvert de verd
Ha metier d'autre couverture:
S'on le véoit a descouvert, (vé-oit: 2 syll.)
Vostre cul verd couvert de verd:
Celuy qui le verroit ouvert,
Pourroit bien dire a l'aventure,
Votre cul verd couvert de
verd
Ha metier d'autre couverture.
Soit le schéma de rimes (abaa abab), et le schéma de répétition (AB.A ..AB)[3]. La répétition, signalée ici par des italiques, consiste d'abord en la répétition du premier vers (v4), puis des deux premiers (v7-8). Ces reprises du début correspondent à ce qu'on appelle "rentrements" dans d'autres formes de rondeaux, car, suivant le terme de Sebillet, répéter le début du poème, c'est y "rentrer" (retourner).
Il est connu, me signale D. Billy, que le triolet peut s'analyser ainsi: soit une matrice initiale binaire, dont les deux parties sont ici les vers 1 et 2. D'abord, elle est suivie d'un équivalent rimique de sa première partie, soit ici le vers 3 rimant au vers 1, puis d'un équivalent littéral de cette même première partie, soit ici le vers 4, répétant le vers 1. Enfin, elle est suivie d'un équivalent rimique de sa totalité, soit ici les vers 5-6 rimant aux vers 1-2, puis d'un équivalent littéral de cette totalité, soit ici les vers 7-8, répétant les vers 1-2. Mon propos n'est pas d'aller à l'encontre[4] de cette analyse; il est plutôt de compléter ce point de vue à un seul niveau par la prise en considération de deux niveaux différents de structure et leur mise en équivalence.
Seule l'analyse de la strophe en cellules (dont les traités modernes font généralement l'économie) fournit, me semble-t-il, une description satisfaisante de cette "répétition doublée", qui selon Sebillet caractérise le rondeau en général et "touche l'oreille de sa douceur et grace". Ainsi de ce triolet: ce n'est pas seulement une suite de 8 vers, c'est en même temps une suite de 2 quatrains, et chacun de ces quatrains est une paire de distiques (cellules graphiquement distinguées par le jeu de marge dans notre édition)[5]. La reconnaissance de cette triple hiérarchie en vers (huit), distiques (quatre) et quatrains (deux) suggère la caractérisation suivante: le premier ensemble de quatre vers (Quatrain 1) est bouclé par la répépétition de son premier élement (v-1= v1); et le premier ensemble de quatre distiques (rondeau) est bouclé par la répétition de son premier distique (D-1 = D1). Comme toute forme poétique, cette équivalence formelle d'une partie au tout se comprend véritablement, non dans l'espace du papier où les oppositions droit/gauche, haut/bas, sont réversibles, mais selon l'ordre irréversible du temps: au moment où on arrive à la fin du 4ème vers, qui répète le 1er, on perçoit la forme parfaite d'une figure achevée correspondant à un quatrain, et la clôture de cette forme par le dernier vers est marquée par le fait qu'il répète le premier. Mais le poème se poursuit. Et quand on arrive au 8ème vers, qui est la fin du 4ème distique, on peut percevoir, simultanément, l'achèvement du second quatrain de vers, et l'achèvement d'un premier et unique quatrain de distiques dont la clôture est marquée par le fait que le quatrième distique retourne (par répétition) au premier. Ainsi prend sens le fait qu'on répète d'abord un seul vers, puis deux: c'est la manifestation en surface d'une structure temporelle à deux niveaux qu'on peut, à première vue, caractériser ainsi:
Analyse du double rond du triolet (1): Le rondeau triolet se caractérise par
une double structure emboîtée, avec bouclage par répétition finale de l'élément
initial, l'identification de cet élément se faisant d'abord au niveau des vers
(bouclage du quatrain initial - disons: petit
rond -par retour au premier vers), puis au niveau des distiques (bouclage
du triolet, ou grand rond, par retour
au premier distique: grand rond).
(Il vaudrait la peine d'analyser ce double rond, avec changement de niveau, en prenant pour objet un triolet avec sa musique; car à la fin du Moyen-Age, les triolets étaient souvent chantés, et nombre d'entre eux n'étaient pas du tout destinés à être "lus" comme de la poésie versifiée; ce n'est pas mon propos, et du reste je suis incompétent pour faire cette étude[6].)
La perception de cette analogie entre le petit et le grand rond suppose[7] la faculté de comparer un niveau supérieur à un niveau inférieur de la construction métrique; comparaison, ici, de la structure dont les éléments sont des groupes de vers (distiques) avec une structure dont les éléments sont les vers. Pourquoi le second quatrain n'est-il pas répétitivement bouclé de la même manière que le premier, ou à la place du premier? Il y a, selon l'ordre du temps, quelque chose de commun au premier et au tout, qu'il n'y a pas entre le second et le tout: quand on arrive à la fin du premier quatrain, il est la totalité de ce qu'on a perçu du poème; mais quand on arrive à la fin de second, celui-là n'est à lui seul qu'une partie (terminale) de ce qu'on a perçu jusque-là. Seules des parties initiales du poème (dont le poème entier est un cas particulier) peuvent, à l'instant où elles s'achèvent - ce qui n'a pas encore été dit n'existant pas encore - apparaître comme poème entier. Le saut de niveau, des vers aux distiques, qu'implique la perception de cette équivalence me semble être d'un type banal en musique[8].
Le schéma rimique évident du triolet est:
[ab aa] [ab ab]
Mais s'en tenir là est s'en tenir au niveau des vers. Considérons maintenant les distiques comme des vers, c'est-à-dire comme si on avait affaire au quatrain de 8-8-syllabes suivant:
Votre cul verd couvert de verd
ha metier d'autre couverture:
S'on le véoit a descouvert, vostre cul verd couvert de verd:
Celuy qui le verroit ouvert, pourroit bien dire a l'aventure,
Votre cul verd couvert de
verd - Ha metier d'autre couverture.
Ce "quatrain" a pour schéma rimique (ab aa), et pour schéma de répétition (A. .A); ce sont exactement les schémas d'équivalence, en rime et en répétition, du quatrain de 8-syllabes initial du triolet. Cette observation confirme le caractère gigogne du rondeau: les rimes forment la même équivalence partie/tout (des vers aux distiques) que les répétitions. La forme rimique définitive du quatrain de distiques (triolet) est équivalente à la forme rimique provisoire achevée au terme du premier quatrain de vers (j'appelle forme "provisoire" du poème ce qui peut apparaître comme sa forme globale à un moment où il n'est pas encore achevé parce que ce qui est déjà perçu peut déjà apparaître comme une totalité; forme "définitive", sa forme globale totale, percevable quand il est effectivement achevé). On peut objecter que, du (ab aa) de vers au (ab aa) de distiques, il y a inversion des terminaisons -erd et -ure. Mais il y a une équivalence structurale, banale en poésie, entre figures rimiques (réseaux d'équivalences); et de plus, au Moyen-Age et jusqu'au 16e siècle, l'inversion des terminaisons rimiques d'une strophe à l'autre est une pratique banale: elle ne risque vraisemblablement pas (en cette fin du Moyen-Age) de masquer l'équivalence structurale.
En essayant de mieux expliciter que ci-dessus la signification métrique du double rond du triolet, on peut donc proposer l'analyse suivante:
Structure du triolet (2): La forme totale définitive du triolet,
acquise à la fin du vers 8, est équivalente à la forme totale provisoire du
"noyau" achevé par le vers 4.
Le noyau s'analysant comme
composé d'une matrice dont l'élément initial est repris rimiquement, puis
bouclé répétitivement (d'où le schéma rimique (a. aA) en notation mixte traditionnelle), la
totalité re-présente donc le même schéma,
à cette différence seulement que chaque élément y représente un distique
du noyau, au lieu d'un vers. Le triolet total est donc ici un quatrain
(répétitivement) bouclé de distiques comme le noyau est un quatrain bouclé de
vers.
Si le quatrain initial peut apparaître comme un noyau par rapport à la totalité qu'il préfigure, inversement le triolet entier apparaît comme une forme expansée de ce premier quatrain[9].
L'analyse proposée ici[10] implique l'existence de deux trous dans les réseaux de rimes: au niveau des vers, dans le quatrain 1, le vers 2, en -ure, ne rime à rien (vers blanc, hors-rime). Et au niveau des distiques, dans le poème entier, le distique 2, en -erd, est également hors-rime. Pour éviter cette conséquence, on peut, certes, signaler que le vers en -ure du premier quatrain rime avec ceux du second (comme le vers en -erd du second quatrain, avec ceux du premier); ou encore, peut-être, que, de la même manière, le vers blanc du premier quatrain de vers et le vers blanc du quatrain de distiques riment d'un groupe à l'autre (ces équivalences sont impliquées par le fait qu'au niveau des distiques du triolet total, l'ensemble v5-v6 est rimiquement équivalent à l'ensemble v1-v2). Cette sorte d'excuses a sans doute une part de pertinence: ces équivalences ont pu, au moins, servir de passeport au rondeau pour s'installer, dépouillé de sa musique, dans le domaine de la poésie littéraire[11]. Mais elle ne doit pas masquer l'essentiel: la structure rimique des quatrains de ce type (ancien) de rondeau est tout à fait éloignée du système de la poésie littéraire même à cette époque. Elle est, par contre, tout à fait banale, rapportée à son domaine d'origine: la chanson (on ignore, du reste, si l'auteur de ce rondeau avait prévu, ou non, qu'il pourrait être consommé sous forme de lecture, sans la moindre structure musicale); on observe par exemple la même séquence rimique (avec une structure de répétition différente) dans les chansons du type Dodo l'enfant do: ab aa, sans doute déjà familier à l'époque de Marot: d'abord, une première paire dont le premier élément ne trouve pas rime dans le second; puis une seconde paire, où la même terminaison est reprise, et trouve rime à la fin; le tout étant rimiquement bouclé (v4 = v1)[12].
2. Sur une
apparence de refrain
Le Jeu du Prince des Sots de Gringore (vers 1510) commence par une séquence (sans doute chantée en représentation) de trois sizains rimés ainsi[13]: (3 ¥ [aab bba]). Chacun de ces sizains se termine par le même vers: C'est trop joué de passe-passe. Il est tentant de parler alors d'un "refrain", qui scanderait par sa répétition la fin de ces "strophes".
Mais ce vers répété est aussi le premier vers du premier sizain. Si on sait d'autre part que beaucoup des sotties des 15e et 16e siècle commencent par un triolet, ceci suggère une analyse toute différente. - D'abord, rappelons une chose évidente, mais qui cesse de l'être dès qu'on regarde les vers "sur le papier", en oubliant l'ordre du temps: Quand il y a relation de répétition entre le premier vers d'un poème et un autre, par exemple le dernier, cette relation n'apparaît que dans la seconde occurrence; quand le premier vers apparaît, il est nouveau; l'effet de répétition est associé à la perception de la seconde occurrence, seule proprement dite "répétitive". - En ce sens il y a trois, plutôt que quatre vers répétitifs dans les sizains de Gringore. A la fin du 6e vers, est achevé un sizain, forme totale provisoire bouclée par retour (répétition) de son dernier vers à son premier. A la fin du 12e vers, est achevée une paire de sizains, forme totale provisoire bouclée par retour de dernier vers à son premier. Et de même pour la forme totale définitive du triplet de sizains. Le premier vers de ces trois formes totales (dont une seule définitive) est évidemment toujours le même - le premier du poème-, alors que le (provisoirement) dernier vers change d'identité à mesure que le poème ou le chant se prolonge. C'est donc comme un triolet, avec rond triple au lieu de double. Mais il y a cette différence essentielle, qu'ici, à chaque forme totale (provisoire ou non), c'est au même niveau des vers qu'opère la répétition, alors que, dans le véritable triolet ci-dessus, la répétition saute du niveau des vers à celui des cellules de strophes.
3. Géants et jumeaux
La Farce de Folle Bobance[14] (vers 1500) commence par un morceau de seize 4-6-syllabes présentant le schéma de rimes et de répétitions suivant:
rimes: abba abab abba abba
répét: ABCD ..AB .... ABCD
Ca ressemble à un triolet, quoique ça n'en présente pas exactement la séquence rimique et répétitive, et puis 16 vers, ça ne fait pas huit. Mais regroupons ces vers deux à deux; alors ils deviennent les composants de 8 "vers" (de mesure 8-8), les 4 quatrains deviennent 4 "distiques"; et on s'aperçoit alors que les schémas de rimes et de répétitions de l'ensemble ainsi réanalysé sont exactement semblables à ceux du triolet du cul verd. Si on veut que la définition du triolet couvre ces cas, qui ne semblent pas très rares, il faut la généraliser, en parlant non pas spécifiquement de "vers" et de "distiques", mais plus généralement d'unités métriques à deux niveaux, celles du niveau supérieur étant des paires d'unités du niveau inférieur.
On est prêt pour les rondeaux jumeaux?
Voici une pièce rare: des rondeaux
jumeaux anonymement présentés dans L'Art
de Rhétorique (vers 1470) par Jean Molinet, qu'on peut soupçonner d'être le
père. Leur point de départ est la devise de Charles le Téméraire, Je l'ai empris, bien en aviengne (j'ai
inséré des interlignes pour éclaircir l'analyse):
Je l'ai empris, A
Bien en aviengne. b A
Pour avoir pris, a
Je l'ay empris. A B
Ou qu'il soit pris a
Ne dont qu'il viengne, b A
Je l'ai empris, A
Bien en aviengne. B A
Affin qu'a hault bruit je parviengne b a
Par prouesse qui m'a souspris, a b
Je l'ai empris, bien en aviengne. b A
Pour avoir pris, je l'ai empris. a B
Molinet caractérise ainsi ses petits jumeaux[15]: "ils tiennent ensemble, et est le plus petit en son tout partie du grand". Et en effet: les 8 petits vers (4-syllabes) font un triolet semblable à celui du cul verd (comme je l'ai indiqué en regard par la première notation traditionnelle télescopant rimes et répétitions); mais si on considère comme vers les 4 distiques formés par ces 8 petits vers, le poème entier est un huitain de 8-syllabes, dont le premier vers (= 2 petits vers) est égal au 4ème, et dont le premier distique (4 petits vers) est égal au 4ème (les deux derniers 8 syllabes); cf. seconde notation verticale. Molinet a donc construit un rondeau emboîtant de 8-syllabes à partir d'un rondeau initial, commun, de 4-syllabes. Cet exercice de style démontre une parfaite compréhension de la structure du rondeau, qu'on cherche en vain dans la description même de cette forme; si Molinet s'était explicitement rendu compte qu'un triolet EST déjà en soi une paire de jumeaux emboîtés, il se serait aperçu qu'il était en fait père de triplés: ce poème commence par un triolet-noyau de 4-syllabes, commence par un triolet-noyau de 4+4-syllabes, et commence par (est) un triolet noyau de 8+8-syllabes .
Revenons au rondeau de Votre cul verd - couvert de verd. Le tiret inséré signale la possibilité de diviser le premier vers en deux demi-vers métriquement équivalents (4-syllabes), terminés par le même mot: verd. C'est comme l'ébauche, imparfaite, d'un troisième rond, à l'intérieur du premier vers. La rime entre les 2-syllabes de couvert - de verd semble prolonger cette involution à l'intérieur du deuxième demi-vers (mais, outre que celui-ci est loin de réaliser exactement la structure d'un rond de rondeau, il n'est pas initial du poème et ne peut prétendre au statut de totalité provisoire). Ainsi le début de ce triolet semble esquisser, en direction du plus-en-plus-petit, ce que le rondeau jumelé de Molinet réalise en direction du plus-grand.
4. Rondeau non triolet
Voici un "rondeau" typique (non triolet) placé par Clément Marot en tête de ceux de L'adolescence Clémentine (environ 1520, publié ici d'après une édition récente):
RONDEAU
RESPONSIF A UN AUTRE
QUI SE COMMENCAIT: MAITRE CLEMENT, MON BON AMI[16]
En un rondeau sur le commencement
Un vocatif, comme "maître Clément",
Ne peut faillir rentrer par huis ou porte:
Aux plus savants poètes m'en rapporte,
Qui d'en user se gardent sagement.
Bien inventer vous faut premièrement,
L'invention déchiffrer proprement,
Si que Raison et Rime ne soit morte
En un rondeau.
Usez de mots reçus communément,
Rien superflu n'y soit aucunement,
Et de la fin quelque bon propos sorte:
Clouez tout court, rentrez de bonne sorte,
Maître passé serez certainement
En un rondeau.
Pour reconnaître le rapport de ceci avec un rondeau triolet, il faut analyser correctement la structure strophique. Le premier paragraphe, rimé en (aabba), n'est PAS, en son époque, ce qu'il risque d'être dans notre lecture, ou selon l'analyse de métriciens modernes qui collent automatiquement ensemble les vers successifs qui riment entre eux: (aa bb a), suite de deux distiques (aa) et d'un monostiche (Martinon lui-même semble en défaut sur ce point[17]). La fréquence dominante, dans les rondeaux de ce type, des coupes syntaxiques principales à la fin du 3ème vers, indique la coupe: (aab ba). Par analogie avec les nombreux rondeaux (dits "simples") à paragraphe premier en (ab ba), forme variante de (ab ab) par inversion rimique du deuxième distique, on peut analyser ici le quintil comme une strophe à deux cellules, variante de (aab ab) par inversion rimique du distique final.
L'analyse traditionnelle du rondeau-triolet s'adapte de la manière suivante.
Examinons la séquence rimique globale du rondeau, dont nous n'avons pour l'instant analysé que la première strophe:
([aab
ba],
[aabc], [aabbac],)
On n'y retrouve pas le "double rond" d'un triolet. On ne l'y retrouverait pas non plus, si (en plus) on coupait le premier "a" (premier vers) en "cd" pour montrer qu'il est fait de deux éléments dont le premier revient à la fin des deux derniers paragraphes. Détail curieux: la seconde rime en "c" est séparée de la première par plus d'une couleur rimique (du "a" et "du "b", et même cinq vers au total); c'est plutôt surprenant, dans des oeuvres généralement conformes au Principe de Proximité.
Mais nous sommes partis sur une fausse piste. Nous croyions examiner une séquence rimique de vers. Or les deux rentrements représentés par la lettre "c" ne riment pas, parce que l'homophonie du mot rondeau au "vers" 9 avec le mot rondeau au "vers" 15 ne constitue pas métriquement une rime. Ce ne sont même pas des vers, car répéter deux fois de suite la même chose n'est pas versifier (J'ai soif! J'ai soif! n'est pas des vers). Dans la poésie française, l'équivalence de rime, ou de mètre, implique une équivalence de forme qui ne découle pas simplement d'une identité de signe (Arbitraire métrique). Un vers peut être vers et rimer même s'il est répété, mais à condition que, comme dans le triolet, il soit aussi, d'autre part, équivalent en structure syllabique et terminaison à un autre vers terminé par un autre mot. Dénués de justification métrique (c'est particulièrement net quand ils sont extraits d'un vers simple), les rentrements de ce rondeau peuvent être provisoirement exclus, comme hors-mesure ou "extra-métriques", de sa description métrique. (La situation paraîtrait peut-être différente s'il s'agissait d'analyser la structure musicale d'un rondeau chanté; mais, que le présent rondeau ait pu être chanté ou non, dans le recueil dont nous le tirons, il est à lire: dans la préface, Marot s'adresse explicitement à ses "lecteurs", qu'il invite à "lire hardiment").
Le rondeau débarrassé de ses rentrements (extra-métriques en quelque sorte[18]) et réduit à ses 13 véritables vers (sur 15 lignes) présente la séquence rimique suivante[19]:
aab-ba aab
aabba
La composition strophique, avec ses reprises, apparaît. C'est d'abord un quintil de deux cellules; puis une réapparition de la cellule initiale (tercet aab ); puis une réapparition du quintil initial coupé en [aab ba]. Pour que le double rond apparaisse avec évidence, il suffit maintenant de regrouper les deux premiers groupes en un seul :
[aab-ba aab] [aab-ba]
On peut formuler cette analyse:
Double
rond du rondeau: Le
rondeau commence par un quintil dont la première cellule est un tercet aab; à la fin du 8ème vers, on obtient un huitain (quintil augmenté d'un
tercet), bouclé par le retour, à la fin, de la forme de cellule initiale aab. De même, le rondeau entier est bouclé par le retour, à la fin, de la
forme de strophe initiale aab ab. Ce double rond est analogue à celui d'un
triolet.
Dans certaines éditions anciennes, la structure du rondeau est plus clairement marquée que dans les éditions modernes présentant une tripartition en trois paragraphes équivalents: la division majeure est marquée par un interligne séparant le huitain initial du quintil final. Le tercet de retour (v6-8) est soudé au quintil (huitain), mais en est distingué par décalage à la marge de son premier vers.
5. Bouclage verbal ou strophique
Sur le fond de la ressemblance ainsi dégagée apparaît nettement la différence première entre ce rondeau et un triolet: alors que la double boucle du rondeau triolet est principalement réalisée par le retour des mots (répétition), celle du rondeau "responsif" est principalement marquée par le retour de formes de type strophique (même schéma de rime et mêmes rimes). Ceci nous permet d'opposer[20] un type de rondeau à bouclage principalement "verbal" (triolet) et un type de rondeau à bouclage principalement "strophique". Cette opposition de base en entraîne naturellement une autre: Contrairement au bouclage verbal, le bouclage strophique tend par nature à impliquer des unités formées de plusieurs vers. Ainsi le premier retour du triolet peut être le retour d'un seul vers (ex. Votre cul verd couvert de vers ), alors que le premier retour du rondeau strophique cité porte sur une longueur de trois verts cellule, tercet); par suite, alors que le retour passe au niveau de la cellule de strophe (ab) dans le triolet, il passe à celui de la strophe (aab ab) dans le rondeau strophique. Enfin la forte analogie observée, dans le triolet, entre la figure dont les éléments sont les vers et celle dont les éléments sont les cellules strophiques n'apparaît pas (ou pas nettement) dans l'autre type de rondeau.
Les rentrements ont été assez mis en quarantaine. Maintenant on peut les laisser revenir. Bien sûr, donc, il y a du retour verbal dans le rondeau à retour strophique: le premier huitain de Marot est verbalement bouclé par retour du début de son premier vers; le rondeau entier, de même. Mais ce bouclage est extra-métrique: le rentrement 1 (ligne 9) n'est pas intégré au huitain qu'il boucle; le rentrement final (ligne 15) n'est pas intégré au quintil final ou à l'ensemble strophiquement bouclé. Né par transposition du rondeau triolet (conversion du retour verbal en retour strophique), le rondeau strophique a gardé en appendice ombilical un reste rabougri[21] de sa forme d'origine: son rentrement, c'est son nombril. (Cela, encore, n'est dit que de la structure littéraire; avec une structure musicale, ce serait peut-être une autre affaire[22]).
Parmi les rondeaux strophiques les plus communs, les métriciens des 15e et 16e siècle distinguent le "simple" et le "double". Le "double" est celui que nous avons vu. Le schéma métrique du "simple", aussi illustré par Marot, est le suivant (rentrements non compris):
[[ab ba] ab], [ab ba],
Soit: d'abord un sizain, composé d'un (ab ba) augmenté, et bouclé par retour de la forme de son distique initial; finalement un rondeau, bouclé par retour de la forme de son quatrain initial. Ce que ne montre pas le schéma métrique: chaque bouclage strophique est extérieurement bouclé par la répétition extra-métrique des premiers mots de ce qui n'est d'abord qu'un sizain, et qui est enfin un rondeau (12 lignes, dont 10 sont des vers, et dont la 7e et la dernière sont des rentrement). La différence entre les rondeaux dits "simple" et "double" consiste donc uniquement dans la constitution de la première cellule de la strophe initiale, quatrain ab ba ou quintil aab ba, le reste s'ensuivant. L'un et l'autre ont en commun de se développer à partir d'une strophe du type
anb ba
où "n" (nombre d'occurrences du premier "a") vaut 1 dans le rondeau dit "simple" (à base de quatrain, et 2 dans le rondeau dit "double" (à base de quintil).
La différence entre le rondeau strophique "simple" et le "double" est donc théoriquement mineure (détail dans la cellule 1 de la base), et invite surtout à observer ce qu'ils ont en commun. Dans les deux cas il s'agit d'une strophe simple à deux cellules (schéma ci-dessus), variante du type littérairement plus commun anb ba par l'ordre inverse de la cellule finale. Cet ordre a un avantage particulièrement évident dans le cas de la base quatrain: dans une base ab ab augmentée par retour de la forme du premier distique, on obtiendrait un sizain ab ab ab, où il ne serait pas rimiquement évident que le troisième distique reprend le premier plutôt que le second (semblable). Un autre avantage est imaginable: un quatrain ou quintil anb ba est déjà en soi bouclé par le fait que son dernier vers rime avec son ou ses premiers vers; cela peut être une trace de l'origine (triolet), et comme une esquisse d'image de la boucle de rondeau à l'intérieur même de sa base.
Roger de Collerye[23] a adressé à Marot un rondeau à base [ab ba] commençant par ce vers: Clement Marot, je veu, par ton Epistre, dont la seule particularité "métrique" est que le premier rentrement est Clement, et le second Clement Marot. Cette différence imite le triolet, où le second rentrement englobe le premier. Un intérêt de ce rondeau est que le caractère non-métrique du rentrement n'y est même pas, comme d'ordinaire, masqué par l'égalité mutuelle des deux rentrements: chacun n'étant équivalent à l'autre ni en structure syllabique, ni en terminaison, il est bien clair, là, que les rentrements sont hors rime et hors mètre.
Essayons pour finir de donner une caractérisation générale du rondeau "simple" ou "double", c'est-à-dire de ce qui est le plus fréquemment désigné sous le terme de "rondeau": Sa forme entière, équivalente à son noyau initial, est comme lui bouclée suivant le schéma (a.a), où les deux extrémités équivalentes sont des cellules (noyau) puis des strophes (rondeau entier), l'unité médiane étant du type cellule[24], et où l'équivalence est celle de schéma métrique (mêmes mètres et même schéma de rimes, sur les mêmes rimes). Indépendamment de cette structure métrique, le rondeau est équivalent à son noyau en ce que tous deux sont bouclés en (A ? A), où les "A", expressions équivalentes mots pour mots, peuvent n'avoir aucun statut métrique en-dehors d'une éventuelle musique, et où le symbole "?" est choisi pour désigner une suite verbale quelconque n'ayant éventuellement aucune unité propre (le premier A correspond à une sous-partie du premier vers, qui ne correspond qu'occasionnellement avec un hémistiche; le second - le rentrement - est hors mesure et pour ainsi dire surnuméraire; il y a généralement coïncidence - égalité de rentrement - entre les A bouclant le noyau et ceux qui bouclent le rondeau entier). La strophe de base est généralement du type anb ba, le rondeau étant dit "simple" pour n = 1, "double" pour n = 2.
Ce qu'il y a de commun au double rond du rondeau simple ou double et à celui du triolet est donc essentiellement ceci: le rondeau en général commence par un noyau métriquement autonome, et cette partie initiale et le tout sont équivalemment bouclés en (A?A), l'équivalence impliquant les mêmes propriétés au niveau du noyau et du tout, mais impliquant des unités métriques de niveau différent (les unités impliquées au niveau du noyau sont des parties composantes des unités impliquées au niveau du tout).
Quoique toutes les formes du rondeau paraissent marquées par l'association originelle avec la musique, le rondeau simple ou double (exception faite de ses rentrements) apparaît, par contraste, beaucoup plus littéraire que le triolet, dont les paroles paraissent à l'inverse caractéristiquement des paroles de chant. Ce contraste est notamment lié au schéma rimique (a.aa) combiné avec le schéma de répétition (A..A) pour les quatre premiers vers ou les quatre distiques du triolet, alors que le rondeau simple ou double est construit sur une base strophique normale dans la poésie littéraire de l'époque.
6. Triolet non triolet
Voici un des Rondeaux de Charles d'Orléans[25] (15e siècle):
Fiés vous y !
A qui ?
En quoy ?
Comme je voy,
Riens n'est sans sy.
Ce monde cy
A sy
Pour foy.
Fiés [vous y !]
Plus je n'en dy,
N'escry,
Pour quoy ?
Chascun j'en croy
S'il est ainsy;
Fiés [vous y !]
Les vous y! entre crochets (imprimé ici en caractères plus petits pour la commodité de la discussion) sont sans doute un complément de l'éditeur, Pierre Champion, qui lisant seulement Fiés, a justement pensé que ce n'était là que l'initiale d'une répétition plus complète. Commettons l'erreur qu'il n'a pas commise, en lisant seulement "Fiés" à la fin des paragraphes 3 et 4: nous pouvons voir là, comme Champion peut-être, un rondeau strophique à base de aab ba, avec rentrements monosyllabiques (Fiés).
Mais imaginons que Champion n'en a pas rajouté assez après le premier Fiés: et complétons encore plus généreusement la seconde occurrence que la première; nous pouvons imaginer la reconstitution suivante (ajouts en italiques):
Fiés vous y ! A qui ? En quoy ?
Comme je voy, Riens n'est sans sy.
Ce monde cy A sy Pour foy.
Fiés vous y ! A qui ? En quoy ?
Plus je n'en dy, N'escry, Pour quoy ?
Chascun j'en croy S'il est ainsy;
Fiés vous y ! A
qui ? En quoy ?
Comme je voy, Riens n'est sans sy.
Je n'ai pas recherché les documents qui permettraient éventuellement de montrer si cette reconstitution est (plus ou moins) pertinente. Mais on voit comme peu de manipulation permet de lire dans un rondeau strophique ce que nous découvrons maintenant: un triolet de 8-syllabes. La généalogie du rondeau pourrait n'être pas sans rapport avec ce type de ré-interprétation et reconstitution à la lecture (voir aussi la double analyse d'une pièce de la ). Il est particulièrement intéressant d'observer comment le aab ba de l'interprétation, disons, seiziémiste de Champion, s'inscrit à l'intérieur du ab ba supposé du 15e, toutes deux structures apparentées suivant l'analyse que je propose de ces types de strophes (comparer la manière dont la pièce de la Farce de Folle Bobance analysée §3 ci-dessus, qui n'est pas sans rapport avec un rondeau marotique à base de abab, se présente comme un triolet dont les sous-vers auraient été promus au niveau de vers); cette ré-interprétation littéraire souligne le contraste entre la poésie écrite, qui tend à admettre un unique niveau de vers, et le chant, où les structures ambivalentes ou emboîtées sont sans doute plus banales (comme dérivées de structures musicales telles), en sorte que la transcription d'un texte de chant en un poème graphique implique parfois un choix, et un appauvrissement structural[26]. Rappelons que la structure en double rond du triolet du type du cul verd repose elle-même sur une équivalence partie-tout dont les termes sont parallèlement des distiques et des vers.
7. La mort du rondeau
Des deux rondeaux parmi les plus célèbres (aujourd'hui encore) de Marot, voici celui au sujet "de sa grande amie", tel à peu près qu'il apparaît dans des éditions modernes (manuel littéraire de Lagarde & Michard (Bordas), et édition de L'Adolescence Clémentine dans la collection Poésie/Gallimard):
DE SA GRAND AMIE
Dedans Paris, ville jolie,
Un jour passant mélancolie,
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie demoiselle [gai-e]
Qui soit d'ici en Italie.
D'honnêteté elle est saisie
Et crois (selon ma fantaisie)
Qu'il n'en est guère de plus belle
Dedans Paris.
Je ne vous la nommerai mie,
Sinon que c'est ma grand Amie,
Car l'alliance se fit telle,
Par un doux baiser, que j'eus d'elle
Sans penser aucune infamie,
Dedans Paris.
Un lecteur moderne (c'est moi, c'est vous peut-être) a toutes chance de percevoir à peu près les regroupements quasi-métriques suivants (si ce ne sont pas pour lui des vers libres): premier paragraphe de 5 vers rimé en aa bb a, c'est-à-dire commençant par deux distiques du type (aa). Il n'a aucune chance de percevoir ce paquet comme composé d'un tercet et d'un distique: l'enjambement de Je pris alliance nouvelle / A la plus gaie demoiselle (amplifié peut-être par le fait que la valeur de à, signifiant ici à peu près avec, risque d'échapper) n'existe pas pour lui. Dans la métrique de l'époque, le distique final correspondait tout de même au groupe prépositionnel A la plus gaie demoiselle Qui soit d'ici en Italie, et l'enjambement d'une cellule à l'autre était moins fort qu'il ne paraît aujourd'hui, à ayant ici la valeur de avec. Notre lecteur scinde ce distique, en détache le dernier vers, sans rapport avec l'intention de Marot.
Deuxième paragraphe: Il perçoit rimiquement la structure aa bb. Il ne perçoit donc pas le tercet aab, et il perçoit comme rimant Dedans Paris, qui ne rime PAS avec Itali-e (toutes rimes lui sont masculines...). Tiens, ce petit vers répété, Dedans Paris, comme c'est bizarre!
Troisième paragraphe manifestement structuré par les rimes et le sens en: aa bb cc. par nouvelle invention de rime (infami-e = Paris ). Point de quintil en (aab ba) là-dedans; à la place, un groupe ternaire de distiques à rimes bien plates, non équivalent au quintil initial.
Il se trouve, apparemment par hasard, que le seul autre rondeau de Marot cité par Lagarde & Michard est "Au bon vieux temps" qui, présentant un enjambement semblable à sa première frontière de cellule, conforte l'habitude de lire les débuts de rondeaux "doubles" comme des suites de rimes plates.
On peut essayer de percevoir un rondeau strophique selon sa structure d'origine. Cette acrobatie a encore moins de chances de réussite si, comme ici, le poète a enjambé par-dessus une frontière de cellule; si l'éditeur moderne, disloquant le huitain initial (sizain, si le rondeau est "simple"), n'a pas respecté l'intégrité du premier "rond"; si le même intervenant a ponctué en se laissant guider par sa connaissance de la poésie moderne; si le temps a brouillé les sons des rimes. Une musique appropriée, sans doute, pourrait aider...
Si on n'est poussé par tempérament à admirer ce qu'on ne comprend pas, en se laissant aller à une lecture "métrique" moderne, on peut trouver à un rondeau ancien quelque chose de naïf et maladroit comme un dessin d'enfant. Ce qui importe ici, est que ce que le lecteur aime, ou n'aime pas (se le cachât-il), est un poème en grande partie créé par sa propre lecture. De même qu'un poisson dans un aquarium sphérique, on ne peut pas le voir à sa vraie taille, si grands qu'on écarquille les yeux, aujourd'hui, quand on lit un rondeau, on lit autre chose qu'un rondeau: inévitable déformation au passage d'une culture à une autre.
Benoît de Cornulier
[1]Cette explication peut converger, sans
l'exclure, avec celle selon laquelle les "rondeaux" sont à l'origine
des danses où on tourne en rond. Merci à Dominique Billy pour de nombreuses
corrections [que le lecteur sadique ne se laisse pas aller à imaginer qu'il
s'agit ici de châtiments corporels], ainsi qu'à Alfred Nettement (Vie de Marie-Thérèse de France, Paris,
1844:vii) pour l'introit.
[2]Type bien attesté du 13e au 15e siècle; je
ne discuterai pas ici des "rondeaux" d'un type antérieur, par
exemple, de ceux de 6 vers au 12e siècle (cf. Michel Zink, 1980:77). Les
"triolets" du 19e siècle sont des imitations du type illustré ici,
mais, déconnectées qu'elles sont, notamment, de son enracinement musical, elles
risquent de ne présenter avec leur modèle ancien qu'une ressemblance théorique
et, pour ainsi dire, sur le papier.
[3]Deux vers identiques mot pour mot sont représentés par la même lettre capitale, chaque vers non-entrant en relation d'équivalence est représenté par un point. suivant les conventions que j'ai proposées dans "Pour une grammaire des strophes: conventions de codage des structures métriques", dans Le français moderne 56:3/4, p.223-242, octobre 1988. - Quant au sens du triolet cité ici, la ponctuation de l'édition ne décide pas si la proposition conditionnelle formant le distique 2 porte sur ce qui suit ou, comme je le présumerais plutôt selon le sens et la métrique, sur ce qui précède (comme s'il y avait une virgule après "couverture").
Dans les études médiévistes, les schémas de rime et de répétition sont souvent télescopés au moyen de ce qu'on appeler la notation mixte (télescopant les équivalences de rime et de répétition) dans la formule "ABaAabAB" où l'équivalence de lettre marque la rime, et où l'équivalence de lettre majuscule marque en outre la répétition.
[4]En me signalant l'analyse séquentielle
complète sur un niveau, que j'avais négligé dans une version précédente de cet
article, D. Billy estime mon analyse "à la fois révolutionnaire et
aberrante".
[5]Le premier quatrain est rimé en (abaa) comme les textes de chanson du type de chanson
moderne Dodo l'enfant do, et il est
répétitif en (A. .A) alors que ces textes sont répétitifs en (A. A.). Peut-être cette ressemblance, et cette différence,
mériteraient-elles d'être rapportées aux types de musique correspondants ?
[6]Sur la musique de rondeau, voir notamment
la thèse d'Ouvrard (1979).
[7]Il n'y a aucune raison de croire à priori
que nous percevions tous les rapports imaginables entre la forme d'ensemble
d'un texte et celle de ses parties. Par exemple, quelque cas qu'en fassent les
métriciens, il est douteux que l'équivalence du nombre des vers d'une strophe
(ici, 8) et du nombre des syllabes de ses vers (ici justement 8) soit
perceptible à la lecture (je parle ici du poème non chanté).
[8]Un saut de niveau comparable est supposé
dans la perception de la régularité de slogans aussi simples que, par exemple, Etudiants - ouvriers - solidarité!, si
l'analyse que j'en propose dans "Musique et vers: sur le rythme des comptines"
et "De gallina" dans Le
Français Moderne) est exacte: si on considère le niveau ou une syllabe sur
deux est pertinente (temps relativement "fort"), la durée d'attaques
de étudiants est égale à celle de ouvriers; si on considère le niveau ou
une syllabe sur quatre est pertinente (la première de étudiants, de ouvriers,
et de solidarité, et la dernière de
ce dernier mot), la durée d'attaques de l'ensemble Etudiants, ouvriers est égale à celle de solidarité (j'appelle durée
d'attaques d'une expression la durée qui s'écoule de sa première à sa
dernière attaque de syllabe, en ne considérant que les syllabes pertinentes au
niveau envisagé; il peut s'agir, musicalement, d'attaques de notes).
[9]Cette analyse suppose une certaine autonomie du noyau: existe-t-il des noyaux de triolet à un seul niveau (sans équivalence partie initiale / tout)? On peut remarquer que la fameuse romance sans paroles "Il pleure sur mon coeur" de Verlaine est un quatrain de quatrains dont chacun est formé comme un triolet-noyau, où l'équivalence de répétition se réduirait au dernier mot ou syntagme; j'ignore si cette ressemblance est en partie fortuite, ou non.
C'est volontairement que dans la présente analyse j'évite, contrairement à certains spécialistes (par ex. M. Zink, 1980), d'employer le mot refrain à propos de ce que je considère comme un cas de bouclage par répétition; il me semble utile de réserver - conformément je crois à l'usage vulgaire - le mot refrain à des cas de répétition périodique, comme quand une série de couplets se terminent ou sont suivis chacun par une même suite de mots.
Les rondeaux rimés en abb
abab abbabb, à schéma de
répétition ABC ..AB ...ABC - remarquez que la notation mixte leur est
inapplicable parce que des vers diférents s'y répètent sous le même timbre
rimique -, si on les analyse comme je fais pour les rondeaux à noyau quatrain,
ont pour matrice un tercet dont le premier élément est un distique et le second
un monostiche, ce qui fournit un argument pour considérer que abb y a pour structure ab-b plutôt que a-bb comme des métriciens modernes pourraient
être tentés de le croire. On trouve de tels rondeaux par exemple chez Eustache
Deschamps (fin XIVe).
[10]Adam de La Vigne a écrit des triolets du
type décrit ici, mais où en plus le vers 5 répète le vers 3. On peut y
voir une équivalence entre le second quatrain (seconde unité de l'ensemble
total définitif à deux strophes) et le second distique, qui est la seconde
unité de l'ensemble total provisoire Q1, lesquels commencent tous deux par le
même vers. Ainsi dans le triolet "O qu'il est lect!" (Sotise à huit personnaiges du Recueil Picot, tome 2, p. 41).
[11]Comparer la manière dont Desbordes-Valmore
"régularise" sur le papier les (abaa) de "Qu'en avez-vous fait?" en
faisant rimer les b d'un quatrain à l'autre (sans égard au
Principe de Proximité, en sorte que la régularisation reste superficielle).
[12]On pourrait distinguer (et rapprocher) les
triolets et les chansons du type Dodo
l'enfant do d'une part, et les triolets quatrains d'autre part, sous le nom
d'abraa et d'abara, où les lettres a
et b donneraient le schéma rimique,
et où la lettre r indiquerait le
caractère répétitif du vers qu'elle précède; en tout cas, une terminologie
brève serait utile. - Les notations télescopées du type Ab Aa (triolet) et Ab aA (type Dodo)
sont commodes, mais sur le papier seulement.
[13]Sur la coupe de ces sizains en tercets (non
certaine, et marquée ici pour faciliter la lecture), voir "Sur la métrique
de Rabelais".
[14]Recueil de Picot, tome 1.
[15]Si on ne regarde que le mètre, cet ensemble
se trouve avoir la même forme de mètres que la strophe du moine Alexis dans
"Le blason de faulses amours" (vers 1486). Mais la structure est
différente: la strophe d'Alexis est un sizain jumelé, où le premier tercet du
second sizain reçoit une clausule métrique par allongement en 8-syllabe, mètre
qu'adopte le dernier tercet; alors que dans les présents triolets jumeaux, il y
a brusque changement de mètre d'un composant à l'autre.
[16]D'après l'édition de ce recueil par F.
Lestringant (Gallimard, 1987).
[17]Martinon lui-même (1912:205, italiques
miennes) présente ensemble les quintils rimés aabba et abbaa comme des "formes à rimes plates, sans césure
possible", et commente: "deux paires de rimes de suite, de quelque
façon qu'on les accompagne, ne feront jamais une strophe"; aabba est, insiste-t-il, "un couplet de rondeau (...), c'est-à-dire
quelque chose d'absolument artificiel et conventionnel, mais dont on avait
l'habitude, et qu'on fut tenté de transporter tel quel dans la chanson ou dans
l'ode (...). Ronsard, qui pourtant méprisait le rondeau, n'a pas craint de
mettre cette forme en alexandrins" dans l'ode du Livre IV "Belleau, s'il est permis...". - Or la
ponctuométrie de cette ode de Ronsard est limpide: 116 19, et confirme la
structure aab ba, qui est plus directement apparentée aux
quatrains dits embrassés qu'aux séries de rimes dites plates. Le contresens de
Martinon (lié à son ambition de faire une théorie générale et quelque peu
normative des strophes) est d'autant plus surprenant qu'à la page suivante,
commentant des aabba de Magny, il observe, comme si c'était une
singularité, que "le poète a mis ici la césure au troisième vers", et
commente: "Mais alors ne dirait-on pas la forme aabab, dont on aurait interverti les deux derniers vers"; ainsi, dans
son illusion moderne, il aperçoit la vérité, mais comme une sorte d'illusion.
[18]On pourrait imaginer d'imprimer les
rentrements de manière à les faire sentir comme extra-métriques.
[19]Les virgules signalent le découpage en
paragraphes.
[20]Cette opposition peut être nuancée compte
tenu du fait que le second rond d'un triolet, se faisant au niveau des
distiques, ne ramène pas seulement des mots, mais bien la forme même du
distique avec son schéma rimique de cellule [ab].
[21]J'ai lu quelque part que le rentrement
avait pu naître de contresens de lecture (d'un type en effet commun), la
notation du début d'une forme (vers ou cellule) à répéter entière étant prise
en soi pour complète. Ainsi Martinon (1912:202) a pris pour quintils des
sizains d'une chanson de Hesnault dont le premier vers, répété en 5e position,
indiquait en fait la reprise de tout le distique initial. Ainsi l'une des
manières dont le chant influence la poésie littéraires est par contresens, ce
qui, après tout, est une des moteurs du genre.
[22]Certaines chansons de Boby Lapointe
illustrent bien la manière dont la structure musicale permet d'insérer entre
les "vers" des mots comme intrus: c'est rendu possible par le fait
que la musique mesure des durées entre événements, et qu'à l'intérieur d'une
durée on peut fourrer un peu n'importe quoi...
[23]Oeuvres
de Roger de Collerye, pub.
par C. d'Héricault, Paris, Jannet, 1855.
[24]Cette cellule complétant une strophe simple
n'est pas elle-même nettement différente d'une strophe simple.
[25]Charles d'Orléans, Poésies éditées par Pierre Champion, vol. 2 Rondeaux (rondeau 41 p. 313) Paris, Champion, 1927.
[26]Cf. "La Marseillaise et la Marseillaise" dans Poétique 77, février 1989, p. 116-117 pour d'autres exemples de problèmes de transcription, ou "Musique et vers, sur le rythme des comptines" (§9 "Changements de niveau métrique") dans Recherches Linguistiques 11, Université de Paris-8, automne 83, p.114-171.