Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BRB_1/BRB39
Auguste BARBIER
Ïambes et poèmes
1831
LAZARE
LE GIN
Sombre génie, | ô dieu de la misère ! 4+6 a
Fils du genièvre | et frère de la bière, 4+6 a
Bacchus du nord, | obscur empoisonneur, 4+6 b
Écoute, ô Gin, | un hymne en ton honneur. 4+6 b
5 Écoute un chant | des plus invraisemblables, 4+6 a
Un chant formé | de notes lamentables 4+6 a
Qu'en ses ébats | un démon de l'enfer 4+6 b
Laissa tomber | de son gosier de fer. 4+6 b
C'est un écho | du vieil hymne de fête 4+6 a
10 Qu'au temps jadis | à travers la tempête 4+6 a
On entendait | au rivage normand, 4+6 b
Lorsque coulait | l'hydromel écumant ; 4+6 b
Une clameur | sombre et plus rude encore 4+6 a
Que le hourra | dont le peuple centaure, 4+6 a
15 Dans les transports | de l'ivresse, autrefois 4+6 b
Épouvantait | le fond de ses grands bois. 4+6 b
Dieu des cités ! | à toi la vie humaine 4+6 a
Dans le repos | et dans les jours de peine, 4+6 a
À toi les ports, | les squares et les ponts, 4+6 b
20 Les noirs faubourgs | et leurs détours profonds, 4+6 b
Le sol entier | sous son manteau de brume ! 4+6 a
Dans tes palais | quand le nectar écume 4+6 a
Et brille aux yeux | du peuple contristé, 4+6 b
Le Christ lui-même | est un dieu moins fêté 4+6 b
25 Que tu ne l'es : | — car pour toi tout se damne, 4+6 a
L'enfance rose | et se sèche et se fane ; 4+6 a
Les frais vieillards | souillent leurs cheveux blancs, 4+6 b
Les matelots | désertent les haubans, 4+6 b
Et par le froid, | le brouillard et la bise, 4+6 a
30 La femme vend | jusques à sa chemise. 4+6 a
Du gin, du gin ! | — à plein verre, garçon ! 4+6 b
Dans ses flots d'or, | cette rude boisson 4+6 b
Roule le ciel | et l'oubli de soi-même ; 4+6 a
C'est le soleil, | la volupté suprême, 4+6 a
35 Le paradis | emporté d'un seul coup ; 4+6 b
C'est le néant | pour le malheureux fou. 4+6 b
Fi du porto, | du sherry, du madère, 4+6 a
De tous les vins | qu'à la vieille Angleterre 4+6 a
L'Europe fait | avaler à grands frais, 4+6 b
40 Ils sont trop chers | pour nos obscurs palais ; 4+6 b
Et puis le vin | près du gin est bien fade ; 4+6 a
Le vin n'est bon | qu'à chauffer un malade, 4+6 a
Un corps débile, | un timide cerveau ; 4+6 b
Auprès du gin | le vin n'est que de l'eau : 4+6 b
45 À d'autres donc | les bruyantes batailles 4+6 a
Et le tumulte | à l'entour des futailles, 4+6 a
Les sauts joyeux, | les rires étouffants, 4+6 b
Les cris d'amour | et tous les jeux d'enfants ! 4+6 b
Nous, pour le gin, | ah ! Nous avons des âmes 4+6 a
50 Sans feu d'amour | et sans désirs de femmes ; 4+6 a
Pour le saisir | et lutter avec lui, 4+6 b
Il faut un corps | que le mal ait durci. 4+6 b
Vive le gin ! | Au fond de la taverne, 4+6 a
Sombre hôtelière, | à l'œil hagard et terne, 4+6 a
55 Démence, viens | nous décrocher les pots, 4+6 b
Et toi, la mort, | verse-nous à grands flots. 4+6 b
Hélas ! La mort | est bientôt à l'ouvrage, 4+6 a
Et pour répondre | à la clameur sauvage, 4+6 a
Son maigre bras | frappe comme un taureau 4+6 b
60 Le peuple anglais | au sortir du caveau. 4+6 b
Jamais typhus, | jamais peste sur terre 4+6 a
Plus promptement | n'abattit la misère ; 4+6 a
Jamais la fièvre, | aux bonds durs et changeants, 4+6 b
Ne rongea mieux | la chair des pauvres gens : 4+6 b
65 La peau devient | jaune comme la pierre, 4+6 a
L'œil sans rayons | s'enfuit sous la paupière, 4+6 a
Le front prend l'air | de la stupidité, 4+6 b
Et les pieds seuls | marchent comme en santé. 4+6 b
Pourtant, au coin | de la première rue, 4+6 a
70 Comme un cheval | qu'un boulet frappe et tue, 4+6 a
Le corps s'abat, | et sans pousser un cri, 4+6 b
Roulant en bloc | sur le pavé, meurtri, 4+6 b
Il reste là | dans son terrible rêve, 4+6 a
Jusqu'au moment | où le trépas l'achève. 4+6 a
75 Alors on voit | passer sur bien des corps 4+6 b
Des chariots, | des chevaux aux pieds forts ; 4+6 b
Au tronc d'un arbre, | au trou d'une crevasse 4+6 a
L'un tristement | accroche sa carcasse ; 4+6 a
L'autre en passant | l'onde du haut d'un pont 4+6 b
80 Plonge d'un saut | dans le gouffre profond. 4+6 b
Partout le gin | et chancelle et s'abîme, 4+6 a
Partout la mort | emporte une victime ; 4+6 a
Les mères même, | en rentrant pas à pas, 4+6 b
Laissent tomber | les enfants de leurs bras, 4+6 b
85 Et les enfants, | aux yeux des folles mères, 4+6 a
Vont se briser | la tête sur les pierres. 4+6 a
mètre profil métrique : 4+6
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